À juste titre, Emmanuel Macron, mais à vrai dire tous les démocrates avec lui, s’inquiète d’une montée en puissance des mouvements complotistes qui prônent la désobéissance civile. Cela dit, si l’on veut convaincre, il vaut mieux, plutôt qu’insulter ou sermonner, comprendre la structure psychologique qui les sous-tend. De nombreuses personnes sont en effet convaincues qu’«on nous ment», qu’il y a beaucoup moins de morts qu’on ne le dit, voire que la maladie, comme l’a affirmé le philosophe Italien Giorgio Agamben, n’est qu’une invention des pouvoirs en place destinée à imposer aux peuples des mesures liberticides. Il est clair que les contradictions de nos gouvernants, d’abord hostiles, puis favorables au passe, en même temps qu’une application tardive au beau milieu des vacances, n’ont rien arrangé.
Reste que, derrière des interrogations légitimes, il y a parfois aussi une structure paranoïde impossible à contrer rationnellement. Face au complotisme, en effet, plus vous cherchez à argumenter, à invoquer des faits, plus on vous prendra pour un agent infiltré du complot. Fort heureusement, une majorité de nos concitoyens n’est pas dupe, le souci de soi associé à celui des autres ayant favorisé une prise de conscience des réalités d’une pandémie qui a déjà causé plus de 4 millions de morts dans le monde.
Quand j’étais étudiant en licence de psychologie (convaincu que, n’étant ni normalien ni khâgneux, je ne serais jamais reçu à l’agrégation de philosophie, j’avais entrepris à tout hasard une licence de psycho…), un psychiatre que j’admirais pour son intelligence et ses qualités pédagogiques nous dispensait un superbe cours de psychopathologie. Le professeur Hanus (c’était son nom), nous racontait une blague pour nous faire comprendre la différence entre les psychoses et les névroses. Le psychotique, nous disait-il, est celui qui a quitté le réel et qui se met à délirer.
J’ai connu une dame qui était persuadée qu’il y avait des Mickey dans son évier
À la différence des symptômes névrotiques, le délire constitue en effet la principale caractéristique des psychoses. Le psychotique, poursuivait-il, est celui qui affirme que «deux plus deux font cinq», et si vous tentez de le contredire, il vous prendra vite pour un ennemi, et si vous insistez, il pensera que vous participez de la conspiration ourdie contre lui. J’ai connu une dame qui était persuadée qu’il y avait des Mickey dans son évier. J’essayais de la raisonner: «Madame, vous savez bien que les Mickey, ça n’existe pas, et, de toute façon, ils ne pourraient pas vivre dans les canalisations d’un évier, etc., etc.» Elle en a seulement conclu que j’étais de mèche avec les Mickey…
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Le névrosé, comme le psychotique, pense que deux plus deux font cinq, mais, continuait le professeur, «ça l’emmerde, et le fait que ça l’emmerde est le signe qu’il est beaucoup moins atteint, puisqu’il sait qu’il se trompe, par où il tient encore au réel». Et, de fait, on observe souvent chez les grands névrosés une espèce de honte, une volonté de dissimuler aux autres leurs symptômes, en quoi ils ne sont pas délirants puisqu’ils ont conscience d’avoir un comportement hors norme, même si aucune explication raisonnable n’en vient à bout tant le refoulement et les résistances sont puissantes.
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Un psychiatre allemand a formulé les choses de manière plaisante, mais néanmoins profonde: «Le névrosé, disait-il, construit des châteaux en Espagne, le psychotique y habite et le psychiatre encaisse le loyer!» Amusante description de ce trio singulier, mais qui permet de comprendre deux choses essentielles dont nos gouvernants devraient s’inspirer dans leurs interventions publiques: bien qu’à partir du moment où, dans un État de droit, une décision de l’exécutif est validée à la fois par le Conseil d’État, le Conseil constitutionnel et le Parlement, il soit clairement délirant de continuer à parler de «dictature sanitaire» , il n’en reste pas moins que les penchants paranoïdes n’étant pas affaire d’intelligence, des gens cultivés, souvent des intellectuels de haut vol, peuvent continuer à s’enfermer dans la logique complotiste ; dans ces conditions, nos politiques feraient mieux, pour convaincre ceux qui peuvent encore l’être, de faire monter au créneau des personnalités qui inspirent vraiment confiance (des grands sportifs, des grands artistes? en tout cas, surtout pas des politiques!), plutôt que de faire la leçon à des manifestants qu’aucun argument rationnel ne convaincra jamais que le seul ennemi de nos libertés n’est pas le vaccin, pas même le passe indispensable pour l’attester afin de protéger les autres, mais le virus.