Afghanistan: pourquoi l’Etat islamique et les talibans sont en guerre

Les talibans sont en conflit depuis 2015 avec la branche de l’Etat islamique en Afghanistan, qui a revendiqué l’attentat meurtrier de l’aéroport de Kaboul jeudi. Explications.

D’où vient l’EI-K?

La double attaque suicide, jeudi, à l’aéroport de Kaboul, a été revendiquée par la branche locale de l’EI, l’Etat islamique au Khorasan, surnommée EI-K ou Isis-K en anglais. Elle a été créée peu après 2014 par d’anciens talibans pakistanais issus du TTP (Tehreek-e-Taliban Pakistan), qui ont prêté allégeance au fondateur de l’EI, Abou Bakr al-Baghdadi. Le groupe a ensuite été rejoint par des Afghans déçus par les talibans et ayant fait défection. Début 2015, l’Etat islamique a officiellement reconnu la création de sa province du Khorasan, une région à cheval sur plusieurs pays d’Asie centrale.

Selon l’ONU, le groupe conservait en juin « un noyau d’environ 1.500 à 2.200 combattants dans de petites zones des provinces de Kunar et de Nangarhar, dans l’Est du pays. Vendredi, un porte-parole du nouveau régime taliban a pourtant indiqué à l’AFP que celui-ci avait éradiqué l’EI-K de la totalité des 34 provinces afghanes, sauf celle de Kaboul où subsistent certains éléments.

Deux groupes très différents

Bien que les talibans et l’Etat islamique soient deux groupes sunnites radicaux, ils partagent peu d’autres points communs et sont en concurrence pour contrôler le territoire afghan et ses ressources.

Les talibans sont des islamo-nationalistes dont le combat est voué à la construction d’un émirat en Afghanistan. Le groupe ne cherche pas à s’exporter, ni à recruter des combattants étrangers, encore moins à commettre des attentats à l’international. Comme la majorité de la population afghane, les talibans sont essentiellement des Pachtounes, l’ethnie qui a dominé le pays quasi-continuellement depuis deux siècles.

L’Etat islamique au Khorasan est beaucoup moins bien implantée en Afghanistan, où son arrivée est récente. Il n’est d’ailleurs qu’une émanation d’un groupe qui trouve son origine en Irak, projette des attentats à l’étranger et possède des ramifications dans plusieurs régions du monde, notamment en Afrique et en Asie. L’EI-K se veut plus radical encore que les talibans, qu’il qualifie d’apostats, notamment parce qu’ils négocient avec les Etats-Unis. Le groupe compte des Afghans, des Pakistanais, des Ouzbeks ou encore des Tadjiks dans ses rangs.

Une expansion impossible

L’EI a revendiqué certaines des attaques les plus meurtrières commises ces dernières années en Afghanistan et au Pakistan. Notamment des attentats suicide dans des mosquées, des hôpitaux et dans d’autres lieux publics. Le groupe a notamment ciblé des musulmans qu’il considère comme hérétiques, en particulier les chiites de la minorité hazara. Dans les provinces où il s’est implanté, sa présence a laissé des traces profondes. Ses hommes ont tué par balle, décapité, torturé et terrorisé des villageois et laissé des mines un peu partout.

Mais contrairement à la zone irako-syrienne, il n’est jamais parvenu à gagner du terrain durablement face aux talibans et aux offensives américaines. Selon des évaluations des Etats-Unis et des Nations unies, le groupe n’opère plus qu’au travers de ses cellules dormantes dans les villes, pour des attaques fortement médiatisées, à l’image de celle de Kaboul jeudi.

Un « deal » négocié

Paradoxalement, la présence de l’EI en Afghanistan est devenu un atout pour les talibans aux yeux des grandes puissance étrangères. Dans l’accord conclu en février 2020 avec les Etats-Unis sur le retrait des forces militaires, les talibans ont promis de ne pas laisser le pays servir de base pour l’organisation d’attaques contre les Américains et leurs alliés, comme ce fut la cas avec al-Qaïda au tournant des années 2000. « Il est dans l’intérêt des talibans que l’EI-K ne fasse pas de métastases », a rappelé Joe Biden lors de son intervention télévisée jeudi soir.

Par Thomas Liabot   lejdd.fr
 
Des talibans dans les rues de Kaboul. (Reuters)