-
Bourse du travail de Bobigny, 4 juillet, colloque sur les mécanismes de l’extrémisme violent dans différents pays.
- Elles ont mis notamment en évidence que les jeunes impliqués dans des processus de radicalisation étaient « isolés à l’ado-lescence », avec des scolarités honorables, sou-vent, mais, pour plus de la moitié, des parcours de vie abîmés. 58 % avaient déjà fait l’objet d’un suivi éducatif ou d’un place-ment, mais, ce furent « des rendez-vous manqués avec la protection de l’en-fance ». La psychologue Malika Mansouri a souligné la protection défaillante de cette institution, comme de la famille qui se résume souvent à une mère. Elle a parlé des « trous filiatoires », de secrets de famille enfouis ou méconnus, et montré qu’il serait risqué de « dissocier le psychique du politique ». En bref, un travail de grande qualité qui ne justifie en rien cette défiance des autorités publiques sous la pression d’une campagne déclenchée par l’extrême droite.
L’une des premières protestations contre ces consignes de boycott est venue de la Commission Islam & laïcité, qui a publié, le 4 juillet, le communiqué suivant. Le colloque de deux jours, organisé à Bobigny sur le thème « Mécaniques de l’extrémisme violent » a été troublé par l’absence d’un de ses organisateurs, Saïd Bouamama, suite à – semble-t-il – un veto venant du ministère de l’intérieur. Ce veto relaie un campagne express initiée par le Rassemblement National, suivi par Figaro Vox, Valeurs Actuelles, Français de Souche. Les officiels qui devaient introduire le colloque se sont fait porter pâle. L’oukase contre Saïd Bouamama est d’autant plus étonnant que Saïd est co-animateur depuis 4 ans du projet que présente ledit colloque, projet soutenu par l’État et la préfecture de Seine-Saint-Denis.
Jomo Kenyatta, Aimé Césaire, Ruben Um Nyobè, Frantz Fanon, Patrice Lumumba, Kwame Nkrumah, Malcolm X, Mehdi Ben Barka, Amílcar Cabral, Thomas Sankara : ces noms reviennent aujourd’hui à l’ordre du jour. Avec l’atmosphère de révolte que l’on sent monter aux quatre coins du monde, ces figures majeures de la libération africaine et de la pensée en action suscitent un intérêt croissant dans les nouvelles générations.
L’intervention qu’il devait faire a été lue, chaudement applaudie, nul doute qu’elle sera publiée, chacun·e pourra alors constater d’abord sa grande qualité et ensuite, qu’elle est à mille lieues de constituer une « complaisance envers le djihadisme. » Cette censure émane de milieux islamophobes, d’extrême droite le Rassemblement National, et du Printemps Républicain.
Le sectarisme destructeur du groupe de pression islamophobe va donc jusqu’à tenter de détruire des structures et projets visant à réinsérer des personnes dites « radicalisées » dans une vie sociale partagée plutôt que de poursuivre une trajectoire dangereuse tant pour les autres que pour elles-mêmes.
La Commission Islam & Laïcité est extrêmement inquiète de la rapidité avec laquelle le gouvernement cède aux pressions du Rassemblement National et de ses alliés islamophobes.
Le 5 juillet un article, publié par Michel Tubiana, président d’honneur de la Ligue des droits de l’homme.
Une association de sauvegarde de l’enfance de Seine-Saint-Denis, reconnue par tous les acteurs institutionnels, organise un colloque sur les mécanismes de radicalisation. Les représentants de l’Etat doivent assister et prendre la parole à la séance d’ouverture. Ils se désistent sans raison apparente. La réalité : ils ne voulaient pas apparaître dans un colloque où devait intervenir Saïd Bouamama. Quand l’Etat cautionne l’extrême-droite…
Une association de sauvegarde de l’enfance de Seine Saint Denis, reconnue par tous les acteurs institutionnels, organise un colloque international sur les mécanismes de radicalisation. Les représentants de l’Etat, le Procureur de la République doivent assister et prendre la parole à la séance d’ouverture. Ils se désistent sans raison apparente.
La réalité est qu’ils ne voulaient pas apparaître dans un colloque où devait intervenir Saïd Bouamama. Mais qu’est-ce que ce sociologue, membre de l’association organisatrice du colloque a-t-il fait pour provoquer un tel comportement ? A-t-il tué ou volé ? Est-il impliqué dans des affaires de mœurs ou de corruption ? Ses propos, ses écrits tombent-ils sous le coup de la loi ? Aurait-il glorifié le terrorisme, le racisme, insulté telle ou telle communauté ? A lire la prose de la meute qui le poursuit, rien de tout cela. Il a fondé avec d’autres le parti des Indigènes et il incarne une pensée dans laquelle certains puisent leurs références. Aussitôt l’Etat est-il sommé de ne pas s’assoir aux côtés de ce dangereux « communautariste » (musulman, forcément musulman…) et le pire, c’est le mot qui convient, c’est que ses représentants obtempèrent !
Je ne m’attarderais pas sur le ridicule qui voit les représentants de l’Etat pratiquer la politique de la chaise vide lors d’un colloque d’une association largement financée par les pouvoirs publics locaux, départementaux et nationaux et appréciée pour son efficacité dans la sauvegarde de l’enfance.
En revanche que l’Etat cautionne ainsi les aboiements d’une meute où l’extrême-droite le dispute à la crétinerie montre à quel point les représentants du pouvoir ont intégré le discours d’exclusion de toute pensée différente.
Ce n’est pas la première fois que cette attrition de la pensée est à l’œuvre. A Lyon un colloque universitaire sur l’Islamisme est annulé, à Paris un débat sur la loi polonaise imposant une vérité sur l’histoire de ce pays durant la deuxième guerre mondiale est perturbé. Là, c’est une œuvre artistique qui est détruite ou une représentation censurée.
Ce qui est ici en cause, c’est la décision de la puissance publique de déférer aux injonctions d’un groupe de pression et d’entériner une doxa qui fait de la République un espace de pensée et d’expression limité.
On est en droit de ne pas partager les idées et les engagements politiques de Saïd Bouamama, et c’est mon cas, mais nul n’est légitime à lui interdire de s’exprimer ou à en faire un pestiféré civil. Et l’Etat moins que quiconque.
Parions, malheureusement, que nous n’avons pas fini d’avoir à dire notre refus de tels interdits.
Michel Tubiana, président d’honneur de la LDH.