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Vingt-deux mosquées radicales fermées : “L’administration s’est mise en ordre de bataille”
Le taureau par les cornes
Par Marianne
La mosquée “Al Madina al Mounawara”, à Cannes, le 12 janvier 2022.
Valery Hache / AFP
Ces derniers mois, 99 lieux de culte musulmans ont été contrôlés par l’État, a appris « Marianne » auprès du ministère de l’Intérieur. Le dernier en date, la mosquée Al Madina Al Mounawara à Cannes, a été fermé. Une stratégie d’une ampleur tout à fait inédite en France.
Une de plus. Mercredi 12 janvier, Gérald Darmanin a annoncé sur BFMTV la fermeture de la mosquée Al Madina Al Mounawara, située avenue du Petit-Juas à Cannes. « Nous lui reprochons des propos antisémites, des soutiens au Collectif contre l’islamophobie en France et à BarakaCity », a expliqué le ministre de l’Intérieur. Une déclaration confirmée par le maire LR de la ville David Lisnard, selon qui la décision intervient « après un travail minutieux de recherches des services de l’État et de multiples signalements effectués directement par la municipalité depuis 2015 ».
Beauvais, Pantin, Allonnes… Ces derniers mois, les fermetures de lieux de culte suspectés de diffuser une idéologie radicale se sont multipliées. « Pendant ce quinquennat, l’administration s’est mise en ordre de bataille », a confié à Marianne le préfet Christian Gravel, secrétaire général du Comité Interministériel de Prévention de la Délinquance et de la Radicalisation (CPIDR), qui coordonne la réponse des services de l’État sur la question.
UNE STRATÉGIE DE GRANDE AMPLEUR INÉDITE
Le ministère de l’Intérieur tient un compte précis des mosquées radicales fermées par l’État. Sur les 2 623 lieux de culte musulman sur le territoire français, 99 ont été soupçonnés de « séparatisme ». Beauvau explique à Marianne les avoir « tous contrôlés » ces derniers mois. Parmi ces établissements, trente-six respectaient la loi de la République, « suite à un changement d’imam ou de gouvernance associative », précise le ministère. Vingt-deux autres ont été fermés, « du fait de prescriptions administratives, d’une décision de justice, d’une reprise de bail ou d’une fermeture administrative » et cinq font encore l’objet d’une instruction qui « permettra potentiellement d’engager une fermeture, notamment sur la base de la loi “séparatisme” ».
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Une stratégie de fermeture massive tout à fait inédite en France. Selon un haut-fonctionnaire interrogé par Marianne, « lors des précédents quinquennats, ces fermetures se comptaient sur les doigts d’une main ». En cause : l’absence de leviers juridiques et de volonté politique pour mener à bien ces opérations. « La France est confrontée au problème de la radicalisation islamiste depuis au moins trois décennies. La prise de conscience de l’importance de mobiliser tout l’appareil d’État pour prévenir les conditions qui mènent à la radicalisation est toute récente », poursuit la même source.
« ISLAMOPHOBIE » D’ÉTAT
L’offensive mise en place par le gouvernement vise la neutralisation des espaces où un discours d’incitation à la haine est diffusé. Une stratégie payante ? « Bien sûr, insiste le préfet Christian Gravel. Aujourd’hui, un prédicateur toxique qui distille régulièrement des propos anti-républicains, incitant à la haine, antisémites, homophobes ou anti-chrétiens, ne peut plus se sentir libre de le faire. »
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« Ces fermetures sont utiles, oui, car elles permettent notamment d’empêcher ces groupes de se financer explique à Marianne le chercheur italien Lorenzo Vidino. Mais il faut aussi considérer qu’elles peuvent avoir un impact négatif important sur la population et notamment la communauté musulmane. Pire : elles permettent aux groupes islamistes de se victimiser. » En se plaçant comme victimes d’une « islamophobie d’État ». « Nous avons le devoir de clarifier notre action, répond un responsable au ministère. Le discours des islamistes visant à faire de la France un État raciste, souvent soutenu par d’autres franges militantes, est une calomnie. »
Le préfet Christian Gravel abonde : « L’islamisme est le cancer de l’islam. Lutter contre l’islam politique radical, c’est protéger la République et protéger les musulmans. » À ce titre, le responsable du CIPDR veut rappeler la stratégie globale du gouvernement : « Un pilier régalien, qui consiste à entraver les écosystèmes séparatistes et donc à fermer certains lieux ; un pilier social, qui veut remettre l’État et les services publics au cœur des territoires en difficulté ; et un pilier “islam de France”, qui consiste à accompagner la structuration de l’islam de France. »
DES PROPOS DE HAINE EN LIGNE
Interrogés par Nice Matin au lendemain de la fermeture de la mosquée de Cannes, certains fidèles ont fait part de leur surprise. « Je viens régulièrement prier, et je n’ai jamais entendu de tels propos. Si un individu ou un groupe d’individus a agi ainsi, alors il faut les désigner précisément. Messieurs Darmanin et Lisnard doivent avoir leurs raisons, mais je suis très inquiet d’une fermeture », a témoigné l’un d’entre eux. Thierry Migoule, le directeur général des services de la ville, a précisé qu’il s’agissait en l’espèce « de prises de position sur les réseaux sociaux notamment anti Occident, pro-Erdogan et homophobes ».
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« Il apparaît que la mosquée Al Madina Al Mounawara, multiplie les propos haineux envers la France, ses institutions et ses lois d’une part, tient des propos incitant à la haine envers les homosexuels ou personnes transgenres d’autre part et enfin fait montre d’une haine antisémite explicite », a abondé la préfecture dans un communiqué diffusé mercredi. Sont visés notamment des liens avec « la mouvance islamiste radicale » et des propos tenus par l’ancien recteur de la mosquée, Mustapha Ahmed Dali sur le compte Facebook de la mosquée et sur son compte personnel des messages « de haine sans que [les] instances dirigeantes ne condamnent ou modèrent la teneur de ces messages ».
RADICALISATION EN LIGNE
« La fermeture des lieux de culte est avant tout une stratégie de communication, car aujourd’hui on sait que les recrutements et la radicalisation ont d’abord lieu sur Internet explique à Marianne la chercheuse Florence Bergeaud-Blackler. On ne sait pas véritablement comment agir sur les réseaux Internet, mais sur les mosquées, on peut. »
À ce titre, le ministère assure travailler sur « tous les espaces de socialisation qui contribuent à la diffusion de la propagande islamiste ». Ainsi, dans l’ensemble des départements, le ministre de l’Intérieur et la ministre déléguée à la citoyenneté, Gérald Darmanin et Marlène Schiappa, ont demandé aux préfets d’animer des cellules de lutte contre l’islamisme et le repli communautaire (CLIR) mobilisant tous les services de l’État concernés.
FAIRE ÉMERGER DE NOUVEAUX RESPONSABLES RELIGIEUX
Un travail qui concerne aussi les réseaux sociaux, via « l’unité de contre-discours républicain » du CIPDR. Son objectif : « contrecarrer les logiques séparatistes en ligne, mensonges et manipulations contre la France et la démocratie, et de promouvoir notre modèle de société, nos principes républicains ainsi que nos valeurs universalistes », précise à Marianne le comité interministériel.
Pour Lorenzo Vidino, outre la fermeture de ces lieux de culte et la traque aux islamistes sur Internet, « il faut surtout réussir à faire émerger d’autres figures que des islamistes à la tête de ces mosquées radicales ». C’est d’ailleurs le souhait formulé par David Lisnard, mercredi : « Nous savons que l’immense majorité des musulmans qui fréquentent cette mosquée très ancienne ne partagent pas sa dérive ; certains nous avaient d’ailleurs alertés. Il leur revient donc de faire émerger de nouveaux dirigeants respectueux de la République française et du pays. »
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