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Les Musulmans de France à l’appel des Préfets.
Le Cabinet du Préfet contacte les musulmans et les amis des musulmans en Savoie : « A la demande de Monsieur le ministre de l’Intérieur, des assises territoriales de l’islam de France auront lieu en Savoie, pour inscrire l’organisation de l’islam dans le cadre de nos institutions Républicaines ». M. ALLEGRET-PILOT (cabinet du Préfet) me propose d’intervenir sur : « la Formation des Imams et des Aumôniers ». Je travaille sur ce sujet depuis plus de 2 années.
La rencontre est présidée par le préfet, Louis AUGIER. Elle a lieu à l’Université Savoie-Mont-Blanc le 14 septembre 2018 en présence du Président de l’Université, Denis VARASCHIN. Une soixantaine de personnes sont présentes.
Le Préfet de la Savoie présente les objectifs de ces assises territoriales voulues par le Président de la République et le Premier Ministre « ….dans un souci de représentativité, dira-t-il, nous avons sollicité la présence de membres du monde associatif, politique, économique, intellectuel, sportif et artistique. Vous êtes conviés à participer aux assises territoriales de l’islam de France et il me semble que vous pourriez très utilement apporter des idées …en vue de faire part aux représentants de l’État du diagnostic et des propositions que vous faites sur l’organisation de la deuxième religion de France s’agissant surtout de la gouvernance, du financement du culte, de la formation des imams et des aumôniers ». Le préfet rappelle également qu’il n’a pas attendu ces assises pour rencontrer les responsables musulmans en Savoie : « Vous avez aussi rencontré les agents des Renseignements territoriaux. Je vous ai déjà réunis et continuerai à le faire ! », promet-il.
Denis VARASCHIN, Président de l’Université Savoie-Mont Blanc insiste sur les bienfaits et l’importance de la formation et de l’éducation à assurer à l’intention tout particulièrement des ministres du culte musulman».
- ALLEGRET-PILOT, qui a la charge de l’organisation veille à ce qu’une restitution des propositions soit faite et qu’à la suite des intervenants la « parole soit donnée à la salle ».
Clément BENELBAZ, Maître de Conférence en Droit Public, à l’Université Savoie-Mont Blanc, rappelle les principes et valeurs sur lesquels repose la laïcité: celle-ci ne se réduit pas à la liberté de religion ou à la neutralité ; elle est l’un et l’autre, mais aussi davantage. Ses deux principaux éléments sont la liberté de conscience et la séparation, proclamés dans les deux premiers articles de la loi de 1905 et dont le législateur a pris soin de préciser le sens.
Cela signifie l’absence de tout dogmatisme professé par l’Etat : si celui-ci est laïque, il écarte tout endoctrinement ; car il n’est ni religieux, ni antireligieux, il est a‑religieux. Les cultes sont affranchis de tout contrôle étatique ; l’Etat de son côté s’est libéré de toute tutelle confessionnelle. Dans le même temps il assure leur protection.
La loi pose le principe de l’absence de distinction entre les cultes reconnus, quelle que soit leur ancienneté ou le nombre de leurs fidèles. L’égalité est un principe de la laïcité, comme elle l’est de la République. La laïcité garantit non seulement la liberté de conscience mais aussi l’égalité entre les cultes. Chacun est considéré de la même façon par l’Etat laïque, qui n’en favorise ni défavorise aucun. Les personnes publiques ne doivent pas entraver l’exercice des religions, ni s’immiscer dans les consciences individuelles, ce qui constitue une première règle d’abstention, d’obligation négative. Mais elles doivent aussi agir si, justement, les droits et libertés se trouvent menacés ou entravés, ce qui constitue alors une règle d’action, d’obligation positive.
La laïcité n’est donc pas une option spirituelle parmi d’autres. Elle est la garantie de leur existence et de leur coexistence jusques et y compris la liberté de croire ou ne pas croire.
La Séparation est une composante indissociable de la laïcité. La séparation, troisième élément de la laïcité, implique des restrictions voire des interdictions : les principes de non reconnaissance et de non subvention proclamés dans la loi aident à mieux cerner et définir la laïcité, mais inversement, ils ne peuvent eux-mêmes se comprendre sans elle. Ce principe de non subvention est ainsi un élément essentiel de la séparation, et donc de la laïcité ; c’est aussi une garantie que la liberté de chaque culte sera assurée. Ainsi, un financement public ne peut être attribué à un culte, directement ou indirectement.
Enfin, conséquence de ce qui précède, les services publics s’obligent à une stricte neutralité dans l’apparence qu’ils donnent d’eux-mêmes à la communauté des citoyens qui font appel à eux. Vus de l’extérieur ou de l’intérieur, les services ne doivent donner l’impression ni de favoriser, ni de défavoriser aucun culte, aucune croyance. Sur le plan organique, il est clair que les locaux des services publics doivent être neutres, et une administration ne peut servir à un quelconque prosélytisme religieux. Il s’agit d’une condition indispensable à l’égalité de traitement des citoyens et à l’impartialité de l’administration publique dont on ne doit pas douter.
Séparation, Egalité Liberté, Neutralité sont les constituants intimement liés de la laïcité. Ainsi, se trouvent garantis le libre exercice des cultes et la liberté de religion, mais aussi la liberté vis-à-vis de la religion : personne ne peut être contraint au respect de dogmes ou prescriptions religieuses.
La République laïque conforte ainsi l’égalité des citoyens. La laïcité n’est pas une conviction mais le principe qui les autorise toutes, sous réserve du respect de l’ordre public.
- ELBAHRAOUI, délégué du Conseil régional du culte musulman (CRCM) en Savoie, prend ensuite la parole : « Mon intervention est axée sur la gouvernance du culte musulman en Savoie, cela pour permettre d’alimenter les propositions de ces assises territoriales de l’Islam en France ».
Il précise que le CRCM est l’instance en Savoie du Conseil Français du Culte musulman (CFCM) et que celui-ci est la seule institution représentative reconnue en tant que telle par les pouvoirs publics. Il rappelle que le CRCM Rhône-Alpes, l’Université Catholique de Lyon, l’Université Jean Moulin Lyon 3 et la Préfecture de Rhône-Alpes, ont structuré et mis en place un Diplôme Universitaire.
Il ajoute cependant, avec franchise et pertinence, que cette gouvernance appelée des vœux de tous, se heurte toutefois à des réalités, à des réticences. Il regrette la gestion communautaire de nombreuses associations. Elles se heurtent, dit-il à des résistances et postures idéologiques politiques, voire patriotes…
Albert FACHLER[1], personnalité de la communauté juive en Savoie, intervient en tant qu’ami de longue date des musulmans : « Convié à participer, aux assises territoriales de l’islam de France, je juge utile de rappeler comment s’est structurée la communauté juive en France. Une grande consultation a été organisée à l’initiative de l’empereur Napoléon ; elle était constituée de notables juifs. Puis un grand Sanhédrin (réunion des grands rabbins) a été convoqué avec pour mission de donner des réponses claires et sans ambiguïté à une série de questions ».
La sécularisation a été la condition de l’émancipation et de l’accession à la citoyenneté française des communautés juives. Les rapports du judaïsme à la modernité ont été l’un des aspects du processus d’émancipation de la communauté juive de France. Les Juifs ont abandonné un certain nombre de prérogatives et de particularismes pour intégrer la communauté nationale. L’échange, un donnant – donnant satisfaisant pour les deux parties, explique une intégration réussie. La représentation par des consistoires civils locaux, régionaux et nationaux, a permis la gestion des communautés par des personnes issues de la société civile, les rabbins étant embauchés par ces associations cultuelles sous l’autorité religieuse du Grand Rabbinat. Le CRIF de son côté représente l’ensemble des associations laïques, culturelles, caritatives, éducatives et sociales. Cette organisation a permis l’émergence d’un leadership fait de personnalités éminentes du monde universitaire, médical, économique et culturel qui est à même de représenter cette population auprès des autorités républicaines. C’est entre autre, ce qui manque aux musulmans. Je souhaite donc ardemment ce type de gestion laïque, par une intelligentsia de professeurs, médecins, etc. pour nos frères musulmans. Ce sont les intellectuels, ces personnalités de la société civile, qui dans leur majorité, dirige la communauté juive.
Le denier point est urgent et incontournable. Il implique une éducation solide, celle des enfants par des parents soucieux d’éviter amalgames, stéréotypes haineux et caricatures, celle des représentants religieux, par la formation, afin de se débarrasser des rabbins ou imams autoproclamés, non qualifiés, incapables de s’exprimer en français et ignorants des lois de la République.
Enfin et de façon également urgente, la censure des contenus racistes, antisémites, islamophobes sur les réseaux sociaux. La parole malveillante a tué par le passé et peut le faire à l’avenir.
Albert FACHLER évoque Napoléon Bonaparte qui, en 1808, a structuré les institutions des cultes minoritaires telles que nous les connaissons. Pour devenir des citoyens à part entière (et sortir des persécutions de l’Eglise), les juifs ont accepté les règles imposées par l’Empire puis la République. En organisant le judaïsme français sur un modèle centralisé et hiérarchisé, le Consistoire, Napoléon l’a intégré dans le régime des « cultes reconnus ». L’autorité rabbinique y est largement placée sous la tutelle des représentants laïcs des communautés. La création d’un Consistoire israélite est aujourd’hui encore, un des deux piliers (avec le CRIF, Conseil représentatif des institutions juives de France crée en 1944), de l’organisation du judaïsme en France. A la question de l’attachement des juifs à la France, la réponse sera unanime : «La France est notre patrie, les Français sont nos frères». «Les juifs sont prêts à défendre la France jusqu’à la mort». Ce qu’ils feront lors des deux grands conflits mondiaux au XXe siècle. Il rappelle comment la communauté juive s’est développée grâce aux intellectuels juifs et s’étonne que pour celle des musulmans, les intellectuels soient majoritairement absents.
Jean-Albert ROMEU Prédicateur Laïc Réformé, de l’Église Protestante unie de Savoie, ami des musulmans intervient. Le cadre Républicain et Laïc nous permet de vivre en paix, en respect, en considération et en tolérance entre toutes les religions différentes de notre pays. La France aujourd’hui est plus que jamais multiconfessionnelle, multi-religieuse cela veut dire que nos institutions et l’état respectent, certifient, accordent et protègent l’existence de tous les courants spirituels du pays. L’état républicain peut à tout moment nous assurer la sécurité et la protection de tous les croyants du pays s’ils sont menacés par le fanatisme ; cela correspond aux fondements de nos lois démocratiques. Nous ne pouvons plus dire aujourd’hui : la séparation de l’église et de l’état mais la séparation de l’état et des églises ! La laïcité est un garant de la liberté de croyance, de la liberté de conscience, de la liberté de culte, de la liberté religieuse et de la liberté théologique dans les débats spirituel du pays.
Nous sommes tous traités, respectés et considérés à égalité quelques soient le nombre d’adhérents dans les différentes religions. Il n’y a pas de religions mineures, secondaires et périphériques et des religions majeures et dominantes juridiquement parce que historiques et majoritaires pour l’état et les lois républicaines. Croyants, nous restons des citoyens égaux face à la loi, égaux face aux administrations, égaux face aux collectivités du pays qu’elles soient municipales, départementales, régionales ou nationales.
Cette reconnaissance civique et égalitaire ne nous empêche pas de nous apprécier d’une religion à l’autre. Indirectement la laïcité nous permet de dialoguer et de nous reconnaitre entre les différentes religions du pays. La laïcité ouvre un espace inter-religieux en même temps qu’elle ouvre un espace interculturel dans la francophonie du pays. Le dialogue inter-religieux facilite la reconnaissance mutuelle, car le danger est de vivre dans une indifférence les uns des autres, une indifférence générale et permanente entre citoyens croyants ; cela fragilise la paix publique, cela fragilise la stabilité du pays, cela fragilise la cohésion sociale. Evitons la coexistence dans l’intolérance et la méfiance. L’inter-religieux renforce la fraternité de nos concitoyens quelles que soient leur appartenance religieuse. Car l’enjeu va au-delà de la liberté religieuse garantie et pérennisée, au-delà de l’égalité consolidée des religions face à l’état et aux lois constitutionnelles. Nous devons bâtir une fraternité inter-religieuse avec aussi les agnostiques et les athées. Une France Fraternelle dans le respect de nos choix théologiques.
Foudil BENABADJI, sollicité pour parler de la formation des imams et des aumôniers de Savoie, indique : « Notre tâche, dans la formation, est de familiariser les imams et les aumôniers avec les usages et les particularités juridiques, culturelles, linguistiques, politiques de la société française avec un enseignement face aux problématiques de notre société. L’islam de France est aussi peu organisé que ne l’étaient le protestantisme et le judaïsme au début du 19ème siècle ».
« Dans les 2500 lieux de culte musulmans en France, où officient plus de 300 imams ‘détachés’ (Turcs, Algériens, Marocains), financés par leur pays d’origine, la plupart viennent des pays étrangers, seuls 25 % sont nés en France. Lorsqu’ils arrivent en France, ils ont du mal à accepter qu’ils ne prêchent pas dans un pays à majorité musulmane. Alors que les jeunes français, de culture musulmane, sont nombreux à fréquenter les mosquées, les imams doivent avoir cette double formation, théologique et civique. Un commerçant disait : « Je viens de la mosquée, je n’ai rien compris au prêche de l’imam ».
Il est indispensable de mettre en place, dans un premier temps, une formation hors université e formation à la pratique de la langue française pour ceux qui ne la maitrisent que très insuffisamment voire pas du tout, et ils sont nombreux dans ce cas. L’objectif est de leur permettre de donner des prêches en français, de connaître et respecter l’environnement dans lequel ils sont amenés à exercer. A ce niveau, il faut instaurer DES ATTESTATIONS qui les valoriseraient dans leur bénévolat
Dans un second temps, il faut permettre à celles et à ceux qui ont le niveau du brevet, de participer à une formation complémentaire sanctionnée par un « diplôme universitaire de formation sur le fait religieux et la laïcité» qu’il convient de mettre en place.
En conclusion, Foudil BENABADJI indique que la Savoie n’a pas encore accueilli la première promotion de diplômés. Le président de l’Université Savoie Mont Blanc lui avait écrit le 4 juillet 2017 : « Notre établissement réfléchit, depuis quelques mois maintenant, à un D.U : LAICITE ET RELIGION, sous un angle essentiellement juridique. Si le projet aboutit, nous vous solliciterons, si vous le souhaitez, pour intervenir dans cette future formation ! ».
Le 31 juillet 2017, Monsieur Cédric BAYLOCQ, Chargé de Mission au Bureau Central des Cultes au Ministère de l’Intérieur, précisait à mon intention : « Suite à notre conversation de la semaine dernière, je vous confirme donc que l’Arrêté du 31 juillet 2017, fixant la liste des formations civiles et civiques devenues obligatoires pour les aumôniers militaires les aumôniers hospitaliers et pénitentiaires, a été publiée récemment au Bulletin Officiel du Ministère de l’Intérieur »
L’année 2019 sera-t-elle l’année savoyarde pour les premiers D.U. ? Avec l’équipe de la société civile qui est prête à intervenir, nous le souhaitons de tout cœur.
Mr Clément BENELBAZ intervient derechef et confirme que la formation des imams et des aumôniers est acquise pour l’année 2019. Mr BENABADJI, très agréablement surpris, propose de fêter cet événement par un méchoui.
Place est alors au public, chacun énonçant tour à tour ses griefs et, plus rarement, ses propositions. Des questions réponses se manifestent dans la salle ; la sensibilité « salafiste » de certains s’exprime et des surenchères fondamentalistes apparaissent.
Hadj Mohamed SERBI intervient pour apporter un complément sur le financement des mosquées, qui se fait essentiellement par des dons et qui ne se fait que par les anciens. Les jeunes, aujourd’hui, fréquentent beaucoup moins les lieux de culte musulmans, ce qui pose un grand problème pour la relève et les perspectives à venir. Il faut penser à mettre en place le système de dotations, très pratique, dans les pays du Maghreb : Maroc, Algérie, Tunisie, géré par le Ministère des Habous. Il faut que l’Etat accompagne les associations dans des projets pour financer les dépenses des mosquées, avoir des bâtiments ou des commerces avec exonérations de taxes et avoir des crédits gérés par des banques islamiques ou un autofinancement par l’Etat.
Un intervenant dans la salle conteste les propos de certains intervenants concernant les dangers courus par nos jeunes et les dérives menées par le salafisme. Il revendique plus de moyens au niveau de l’Etat pour faciliter la création de nouvelles mosquées et que, démunie, la communauté musulmane est ainsi très pénalisée. Il ajoute que s’attaquer sans cesse au salafisme, est un faux problème, celui-ci faisant partie intégrante du contenu islamique. Remous et contestations se manifestent dans la salle …
Haoues SENIGER, assure l’ensemble des intervenants de son soutien et indique son plaisir de travailler ensemble sur le sujet de la formation des agents du culte musulman.
Pour conclure, le Préfet de la Savoie, Louis AUGIER, remercie chaleureusement les conférenciers et particulièrement Alexandre ALLEGRET qui a mis en place ces Assises Territoriales de l’islam en France de façon efficace. Il remercie Denis VERASCHIN d’avoir assuré, au sein des locaux de l’Université Savoie Mt Blanc, cette belle rencontre. Il rappelle que l’Etat n’a pas vocation à structurer l’islam en France, mais qu’il a pour mission de l’aider pour le mettre au même niveau que les autres religions. Compte tenu de la laïcité, l’Etat ne peut pas agir à la place des musulmans. Ces derniers doivent se prendre en charge en se structurant et en collaborant ensemble pour mettre en place cet islam en France.
Foudil BENABADJ
Administrateur de la Conférence Mondiale des Religions pour la Paix (CMRP) et au Comité Directeur de la Fraternité d’Abraham – Membre du dialogue des dialogue entre les “Civilisations, Cultures et Religions” à l’UNESCD – Aumônier pénitentiaire et Hospitalière en Savoie.- Fondateur de l’Institut Inter Culturel Maghreb France (ICMF), de l’Union Des Enfants d’Abraham (UDEA) – de l’Union des Familles de Culture Musulmane (UFCM). 1er prix, ex æquo, André Chouraqui. Palmes d’Or du Bénévolat et Chevalier de la Légion d’Honneur, .Ecrivain.
[1] Albert Fachler est également membre de la Fraternité d’Abraham