Abolition de l’esclavage : “Plutôt que laisser déboulonner, édifions des statues!”

Redaction JDD

L’écrivain Claude Ribbe, conseiller spécial auprès du secrétaire perpétuel de l’académie des sciences d’outre-mer, ancien conseiller mémoire du ministre des Outre-mer et président des Amis du général Dumas, appelle à édifier des statues pour commémorer l’abolition de l’esclavage.

La tribune : “Le 4 février 2021, le conseil de Paris approuvait à l’unanimité un vœu de l’opposition, présenté par la municipalité du 17e arrondissement, pour remettre en place, à l’identique, la statue du général Dumas. L’œuvre de Moncel de Perrin, installée en 1913 place du général-Catroux (17e), a été abattue par les collaborateurs en 1942, sous prétexte que le général Dumas ne serait pas ‘une gloire nationale incontestable’. En réalité à cause de ses origines et de la couleur de sa peau. Le choix du 4 février pour présenter ce vœu n’avait rien d’anodin.

C’est une date mémorielle officieuse qui correspond à la première abolition de l’esclavage dans les colonies françaises par la Convention, le 16 pluviôse, an II (4 février 1794). De fait, depuis près de 10 ans, un rassemblement a lieu ce jour-là devant les ‘Fers’ de la place du général-Catroux à Paris. Ce monument représente des chaînes brisées, et il a été inauguré par Bertrand Delanoë en 2009, là où se trouvait la statue du général Dumas.

Cet officier, père de l’écrivain Alexandre Dumas, est né à Saint-Domingue en 1762, d’une mère esclave et d’un père aristocrate. Héros exemplaire de la Révolution, il se distingua non seulement pas sa bravoure, mais aussi par son humanité et sa générosité, puisqu’il se montra hostile à la peine de mort et préféra démissionner de ses fonctions de commandant de l’armée de l’Ouest, au péril de sa vie, plutôt que de massacrer les Vendéens, comme la Convention le lui ordonnait.

En 2022, pour le 260e anniversaire de la naissance du général Dumas, la réinstallation à l’identique s’impose donc plus que jamais

Si l’on peut se féliciter qu’un mémorial bien visible évoquant l’abolition de l’esclavage ait été installé dans la capitale et surtout que cette période douloureuse de l’histoire de France soit rattachée à un champion fédérateur qui lui-même naquit juridiquement esclave, il est évident que les ‘Fers’ de la place du général-Catroux ne suffisent pas à représenter ce magnifique soldat. S’il n’était pas une ‘gloire incontestable’ pour le régime de Vichy, il est sans nul doute un grand homme pour la République. Le Premier ministre, Edouard Philippe, l’avait du reste souligné devant les sénateurs, le 17 juin 2020. En 2022, pour le 260e anniversaire de la naissance du général Dumas, la réinstallation à l’identique s’impose donc plus que jamais.

On peut regretter, à cet égard, les hésitations d’un gouvernement qui s’était engagé à offrir cette statue à la ville de Paris. La série de déboulonnages d’effigies consécutive au mouvement Black Lives Matter aurait pourtant dû permettre d’élaborer une doctrine mémorielle très simple : plutôt que de laisser détruire ou vandaliser les monuments des notables controversés, valorisons les individualités positives de l’histoire de France qui ont été injustement discriminées par le racisme et l’esclavage d’Etat.

En tête de ces personnalités à honorer figure naturellement le général Dumas, dont le nom est inscrit sous l’Arc de triomphe. Anatole France disait qu’il est ‘le plus grand des Dumas’ et que sa vie est ‘un chef-d’œuvre auquel rien n’est à comparer’.

Espérons également qu’une statue du chevalier de Saint-George puisse être prochainement érigée. Ce talentueux musicien-escrimeur fut l’une des plus célèbres figures du 18e siècle et Hollywood n’a pas dédaigné de lui consacrer un film qui sera bientôt projeté sur les écrans du monde entier.

La liste des gloires incontestables de notre histoire susceptibles d’évoquer l’esclavage et de contribuer ainsi à combattre le racisme est facile à établir

La liste des gloires incontestables de notre histoire susceptibles d’évoquer l’esclavage et de contribuer ainsi à combattre le racisme est facile à établir : hormis le général Dumas et le chevalier de Saint-George, qui sont des priorités particulièrement unificatrices, outre Gaston Monnerville, qui a déjà son effigie et son esplanade près du Sénat, on pense bien sûr à Félix Eboué, dont la dépouille est au Panthéon, à Camille Mortenol, qui empêcha la destruction de Paris en 14-18, à l’Afro-Américain Eugene Bullard, pilote de chasse en 1917, à Tony Bloncourt, résistant et martyr de la première heure, fusillé en 1942, à Cyrille Bissette, qui s’engagea contre l’esclavage bien avant Schoelcher.

Sur cette lancée, d’autres effigies des mêmes personnages, ou de célébrités plus locales, pourraient bien entendu orner l’espace public de toutes nos villes.

Construire des statues pour celles et ceux qui le méritent, du fait de leur contribution exemplaire à l’histoire de notre pays, mais qui en ont été injustement privés en des temps heureusement révolus, c’est la meilleure façon de commémorer l’esclavage sans dresser les Français les uns contre les autres, mais au contraire, en les rassemblant autour de modèles universels.”

(*) Ecrivain, normalien, conseiller spécial auprès du secrétaire perpétuel de l’académie des sciences d’outre-mer, conseiller délégué à la mémoire du VIe arrondissement de Paris, ancien conseiller mémoire du ministre des Outre-mer, président des Amis du général Dumas.

Le général Dumas, éditions Tallandier, 2021.