Alors que la guerre s’abat depuis plusieurs semaines maintenant en Ukraine, les évènements portent une résonnance particulière pour le neuro-psychiatre Boris Cyrulnik, dont le père était de nationalité ukrainienne. Il est traversé par avec des sentiments anciens : “l’hébétude, l’incompréhension. J’étais convaincu que je finirai ma vie sans jamais revoir la guerre et les bombardements.“
C’est les Ukrainiens qui, pour l’instant, souffrent, mais on est pas loin et ça me touche personnellement. Parce que quand je vois des images, ça évoque des choses passées. Il y 80 ans, j’étais convaincu que ça ne reviendrait jamais. Ça revient.”
“Quand on est à l’étranger, tout est un stress”
La guerre en Ukraine a jeté trois millions d’Ukrainiens sur les routes de l’exil, essentiellement des femmes et des enfants. C’est sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale. Il y a une réalité psychique de l’exil qui s’ajoute à l’horreur de la guerre : “Pour l’instant, c’est le sauve qui peut. C’est-à-dire que les Ukrainiens qui s’enfuient, qui vont en Pologne, quelques uns viennent en France, sont bien accueillis parce qu’on ne comprend pas le crime de Poutine. C’est tellement impensable. Alors ils sont bien accueillis. Pourtant, pendant la guerre, ils étaient pas très bien engagés, mais leurs enfants ne sont pas responsables des crimes de leurs parents. Donc, pour l’instant, ils sont très bien accueillis et je pense qu’on va les aider. La France, la Pologne, la Roumanie vont aider les Ukrainiens en espérant que vite, ça se rétablira.”
L’exil, “c_’est perdre ses racines, c’est être déraciné. Et quand on est déraciné, on sèche. La langue maternelle a un effet tranquillisant. Les gens âgés qui ont vu passer leur vie dans plusieurs langues disent J’aime parler ma première langue, je me sens bien. Ça m’apaise. Parler parce que c’est la langue maternelle, c’est celle qui nous sécurise. Or, elle est perdue aussi. Ils sont obligés de parler une langue qu’ils maîtrisent moins bien, ou même parfois pas du tout. Donc ils sont constamment à l’étranger. Et quand on est à l’étranger, tout est un stress. Tout est une petite agression. Prendre le bus, ne pas comprendre les phrases, ne pas savoir où dormir, ne pas savoir où manger. Tout est une agression. Mais pour l’instant, ce qu’on voit, c’est des gens qui alternent le désespoir et le sourire. Donc, j’espère que vraiment, rapidement, ça se calmera._”
De quelle manière la guerre en Ukraine inquiète t-elle les enfants ?
Pour le neuro-psychiatre Boris Cyrulnik, “beaucoup d’enfants vivent dans des pays en guerre. Ils s’adaptent par le jeu, c’est-à-dire qu’ils jouent à la guerre. Et pour eux, c’est une manière de maîtriser l’angoisse : ‘on va faire comme si on était des méchants’, mais les méchants vont être vaincus. Et cette mise en scène des enfants est importante parce que c’est comme ça qu’on triomphe de la peur.“
Mais les parents, la société, devront revenir sur ces évènements : “Il faudra parler. Les mères et les gens qui les accueillent devront parler, expliquer, raconter. Et les enfants seront, non pas traumatisés, mais ils seront choqués, bouleversés. Mais pour l’instant, beaucoup de choses se mettent en place qui leur permettront de prédire un bon développement résiliant.“