A Grozny (Tchétchénie), s’est réuni un aréopage des plus singuliers, regroupant les chefs religieux principaux du sunnisme, à l’invitation du cheikh d’Al-Azhar, Ahmed Al Tayeb. L’enjeu : définir l’identité du sunnisme et les contours de sa communauté. Le wahhabisme salafiste a été officiellement exclu de la définition, sachant que celle-ci considère que « les gens du sunnisme et ceux qui appartiennent à la communauté sunnite sont les Asharites et les Maturidites, au niveau de la doctrine, les quatre écoles de jurisprudence sunnite, au niveau de la pratique, et les soufis, au niveau de la gnose, de la morale et de l’éthique ». Avant de devenir la doctrine officielle de l’Arabie saoudite, le wahhabisme a connu des péripéties que Hamadi Redissi narre dans son dernier ouvrage, le Pacte de Nadjd. Ou comment l’islam sectaire est devenu l’islam (Seuil, 2016). close volume_off
Trois éléments, poursuit Redissi, feront la puissance de l’Arabie : le pétrole, l’avion et les médias. L’avion fournira les pèlerins en quête de spiritualité, le pétrole lui offrira une surface financière des plus enviables, et la stratégie communicationnelle et d’irrigation de subventions tous azimuts… le reste. L’Arabie sponsorise en effet pléthore d’instituts académiques, cultuels, culturels, scientifiques, dans le monde entier. En fait, le pacte du Quincy est fort utile pour couvrir un autre pacte, celui de Nadjd (1745) entre Muhammad ibn Saoud et Muhammad ibn Abd Al Wahhab.
« Né à l’abri des interférences étrangères, le wahhabisme est la dernière secte médiévale par sa forte immersion dans l’imaginaire médiéval, son univers langagier, ses hantises et ses caprices. Mais le wahhabisme est aussi la première des hérésies modernes. (…)
En fait, on ne peut comprendre l’entente entre le wahhabisme et l’islamisme sans expliquer que les liaisons dangereuses, loin d’être accidentelles ou fortuites, se ressourcent dans une matrice commune. D’un mot, les thèses de l’islam millénariste, misanthrope, indompté, belliqueux, antichrétien, antisémite et misogyne se trouvent à l’état brut dans le wahhabisme. »
Au XIXe siècle, une relation se noue entre le wahhabisme, le salafisme et le nationalisme. L’intuition de Redissi est que ces trois mouvements se fédèrent autour d’une triple hostilité, celle contre le colonialisme, la cléricature et les confréries. Enfin, entre wahhabisme et islamisme, le dernier chaînon manquant est celui des Frères musulmans d’Hassan Al Banna, lui-même bâtissant son programme autour de propositions intégristes de réislamisation.