Si le poil de barbe, arboré et adoré par les salafistes, est islamiquement sacré, Mahomet n’a fait que reprendre une vieille tradition régionale…
Le culte de la pilosité mâle est une très ancienne affaire orientale. « Égyptiens, Babyloniens, Grecs, juifs, tous rivalisaient du poil ! » ironise le rabbin Yeshaya Dalsace, qui cite un verset catégorique du Lévitique (19,27) : « Vous ne couperez point en rond les coins de votre chevelure, et tu ne raseras point les coins de ta barbe. » Au VIIe siècle après J.-C. – lequel, en bon juif, devait probablement porter la barbe –, Mahomet arrive donc dans un environnement déjà foisonnant. Mais le fondateur de l’islam va devenir, selon l’expression consacrée, « le beau modèle », celui qu’il faut imiter en tout, selon la sunna, la tradition, et, selon les hadiths, innombrables versions de ses faits et gestes rapportées par les commentateurs aux siècles suivants.
Au chapitre pileux, les hadiths de Al Boukhari et de Muslim (érudits du IXe siècle) font autorité : « Différenciez-vous des associateurs [mécréants] laissez pousser la barbe et taillez vos moustaches. » La moustache doit donc se faire modeste sous le ciel d’Allah, au bénéfice d’une barbe de plus en longue.
Les sultans ottomans dérogeront à cet usage dès qu’ils s’autoproclameront califes, au XVIe siècle. D’élégantes moustaches relevées en pointe, à la française, au-dessus de barbes savamment peignées, pimentent les portraits des maîtres de la Corne d’Or. Mais on agrémente aussi de fines bacchantes le portrait de Mahomet sur une miniature du XVIIe siècle, reproduite d’après un manuscrit du XIVe siècle. Où l’on voit que figurer le prophète de l’islam n’était à l’époque nullement blasphématoire. L’iconographie, chez les sultans sunnites, comme dans le monde chiite, va de pair avec le sacré.
BEAU MODÈLE
À Istanbul, la mosquée dite « de la petite Sainte-Sophie », ancienne église byzantine Saint-Serge avant la conquête musulmane, détenait une relique de premier ordre : un poil de la barbe de Mahomet. Rapporté d’Égypte au XVIe siècle par on ne sait quels méandres, ce poil unique, conservé dans un écrin précieux, fut dérobé en 1999. On ignore quel sort réserva le destin à ce vestige présumé de la splendeur pileuse du « beau modèle ».
Quand émergent les Frères musulmans, dans l’Égypte de 1928, il s’agit de prendre le contre-pied d’une occidentalisation en plein essor sur les rives du Nil, alors que sur celles du Bosphore, Mustafa Kemal Atatürk, au menton lisse, vient, quatre ans auparavant, d’abolir le califat. Le retour à la barbe s’impose comme un must de la résistance islamique, une preuve du retour à Allah. Dès lors, déferlera un tsunami d’islamisme pileux.
Il est souvent teinté de henné, au motif que le prophète, toujours selon un hadith, raffolait de cette coquetterie. D’où l’abondance des « Barberousse » dans tous les territoires du fanatisme et à travers les récits horrifiques de leurs victimes survivantes. Une exception confirme la règle. Ali Belhadj, le terrible prédicateur du Front islamique armé en 1991, icône des futurs groupes djihadistes algériens, était totalement imberbe. Son menton glabre et son physique fluet l’ont-ils poussé, par compensation, à en remettre dans le machisme le plus sauvage ?
Pour lire les autres épisodes de notre série d’été :
Épisode 1 : Nique la peau lisse ? Petite histoire du retour du poil néoféministe