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Une aubaine pour d’autres puissances qui en profitent pour tenter de s’imposer dans la région, où les enjeux ne sont pas des moindres.
Vingt ans, c’est long. Après deux décennies passées à essayer d’affaiblir les talibans, les troupes américaines quittent définitivement l’Afghanistan, comme l’avait annoncé Donald Trump et comme l’a confirmé Joe Biden, suivies des armées de toutes les puissances occidentales. Mais ils ne laissent pas derrière eux un pays pacifié, bien au contraire. Les talibans ne cessent de gagner du terrain, pour le plus grand malheur des populations locales. Une aubaine pour d’autres puissances qui en profitent pour tenter de s’imposer dans la région, où les enjeux ne sont pas des moindres.
Passez une bonne journée, chers abonnés, et un très bon week-end! Il n’y aura pas de lettre lundi prochain, j’espère que vous ne m’en voudrez pas. Nous nous retrouvons sans faute mardi matin.
Louise Darbon
Afghanistan: la déroute des Occidentaux
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D’anciens moudjahidines en armes à la périphérie de la province d’Herat, en Afghanistan, le 10 juillet 2021. JALIL AHMAD/REUTERS |
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Rien ne semble pouvoir faire reculer les talibans. Après vingt ans de conflit entre le gouvernement et le groupe islamiste, ce dernier prend le dessus. Il grignote les territoires les uns après les autres, terrorise et tue militaires et civils. Les Américains, même s’ils sont sur le départ, continue de soutenir l’armée afghane, au moins jusqu’à leur retrait définitif prévu à la fin du mois d’août. Sans le soutien militaire des puissances occidentales, l’armée officielle doit se débrouiller seule et gérer les désertions en nombre et les potentiels affrontements entre milices qui leur viennent en aide. À l’arrière, les expatriés, humanitaires et diplomates fuient les uns après les autres.
Une situation en forme d’aubaine pour deux pays qui se positionnent en remplacement de l’Occident. La Chine, par exemple, s’arrange pour faire ami-ami avec les deux camps opposés de manière à bien s’en sortir diplomatiquement, quelle que soit l’issue du conflit. La Turquie, elle aussi, tente de jouer sur les deux tableaux. Ankara contrôle désormais l’aéroport de Kaboul mais assure aussi, par la voix de son président, ne pas avoir de problème avec l’idéologie talibane. Un bon moyen de ne pas se créer de problèmes. Et le pays peut compter pour cela sur une solide armée de mercenaires qui n’est pas sans rappeler les «Wagner» russes. D’ailleurs, du côté du Kremlin, on cherche à s’assurer que les violences perpétrées par les talibans ne viennent pas trop secouer le voisinage, notamment les pays qui étaient anciennement sous la coupe soviétique. Dans la région, l’alliance Russie-Turquie est solide, prête à résister à toute épreuve et à combler le vide laissé par l’Occident.
L’Inde, enfin, est très vigilante et ne reste pas bien loin, elle qui craint que l’Afghanistan ne se constitue comme base arrière pour les groupes terroristes soutenant la cause pakistanaise. Pour ne chiffonner personne, le pays continue ses discussions avec les talibans, espérant que le pouvoir puisse se partager entre les différentes forces politiques et militaires en puissance. Les talibans, eux, ne veulent rien entendre et appellent tous les groupes qui s’opposent à eux à capituler. Ils ont le mérite de la clarté.
• L’éditorial
Philippe Gélie. Le Figaro
En dépit de leur puissance, de leur volontarisme et de leur prosélytisme démocratique, les États-Unis et leurs alliés n’ont fait que bâtir sur du sable durant deux décennies en Afghanistan. Après y avoir englouti des milliers de vies et des milliards de dollars, à peine plient-ils bagage que leur legs se délite sous leurs yeux. Les talibans se trouvent à nouveau aux portes du pouvoir, l’armée afghane menace de se disloquer, milices et seigneurs de la guerre réapparaissent, la République et ses institutions ne tiennent plus qu’à un fil.
Désastre complet, qui annonce au moins trois types de régression. D’abord pour la population afghane, en particulier les femmes et la jeunesse qui avaient goûté au parfum de la liberté, bientôt condamnées à choisir entre un islamisme moyenâgeux et une nouvelle guerre civile. Sur le front terroriste ensuite, avec le retour d’al-Qaida, resté proche des talibans, et de la branche locale de l’organisation État islamique, qui inquiète de l’Inde à l’Iran. Sur le plan géopolitique enfin, avec le déploiement instantané des Russes et des Turcs, impatients de reprendre pied en Asie centrale : les premiers aux confins tadjik et ouzbek de l’ancien empire soviétique, qu’ils soutiennent face aux risques de débordement du conflit et d’afflux de réfugiés ; les seconds à Kaboul même, où les Américains ont cru bon de leur confier la sécurité de l’aéroport, c’est-à-dire leur sortie de secours… Syrie, Libye, Haut-Karabakh hier, Afghanistan aujourd’hui, Liban demain peut-être : le tandem russo-turc a pris la troublante habitude d’occuper le vide laissé par les Occidentaux.
On se demande lequel de ces spectacles tragiques et humiliants va le plus secouer les opinions aux États-Unis et en Europe. Pour l’instant, la décision de Joe Biden de se retirer d’Afghanistan sans autre forme de précaution reçoit l’approbation lassée d’une majorité d’Américains. Mais c’est avant que ne s’étalent sous leurs yeux le gâchis de leurs efforts passés et le drame renouvelé des prochaines violences. Ce jour-là, l’orgueil blessé des conquérants vaincus pourrait faire payer dans les urnes au brave commandant ayant ordonné la retraite ce que les Afghans vont payer de leur sang.