Herat, 9 juillet 2021. Les combattants d’une milice se sont rassemblées dans la maison de l’ancien gouverneur et chef de guerre des moudjahidines Mohammed Ismail Khan, en soutien aux forces de sécurité afghane dans leur guerre contre les talibans.
Hoshang Hashimi/AFP
Une partie de la population se mobilise pour se défendre contre les talibans, qui auraient pris le contrôle de 160 des 400 districts du pays, alors que les forces régulières du gouvernement de Kaboul apparaissent vaincues, à la fois militairement et moralement. Laissés à l’abandon sur la ligne de front, attendant désespérément leur solde et un armement correct, peu de soldats souhaitent donner leur vie pour un état-major et un gouvernement corrompus. Les officiers supérieurs amassent eux des milliers de dollars assis derrière un bureau confortable et sécurisé, quelque part à Kaboul.
Aucun plan de bataille ne semble clairement défini, et les forces régulières opèrent des « retraits tactiques » des centres de district, laissant la population civile à la merci des insurgés. Dans les premiers jours de juillet 2021, des milliers de soldats apeurés se sont réfugiés au Tadjikistan pour échapper aux attaques des talibans.
DES INSURGÉS GALVANISÉS
Face à l’armée régulière se dresse une force insurrectionnelle motivée qui sent la victoire proche, encouragée par des chefs donnant trop souvent une image enjolivée de la situation. Ainsi, le 9 juin, un porte-parole des talibans a affirmé devant des journalistes à Moscou que l’Émirat islamique d’Afghanistan avait pris le contrôle de 85 % du pays, ce que le gouvernement a farouchement démenti. Le pourcentage est très exagéré, mais les talibans se sentent galvanisés par la perspective de reconquérir le pouvoir.
Les populations rurales étant laissées seules face à leur destin, les civils sont contraints de prendre les armes et de se regrouper sous la direction des chefs de village ou de district, souvent des seigneurs de la guerre.
À Charkint, un district de la province de Balkh, les habitants mettent leur vie entre les mains d’un des rares leaders locaux féminins, une guerrière hazara, Salima Mazari. Si les miliciens ont réussi à repousser les talibans jusqu’à présent, la question est de savoir combien de temps encore ils pourront tenir.
Les Afghans se regroupent selon des lignes ethniques, car ils ne peuvent avoir confiance que dans leur propre communauté et le pays reste fracturé. Si l’Afghanistan est composé à 38 % de Pashtouns (groupe auquel appartiennent les talibans), il compte également 25 % de Tadjiks, 19 % d’Hazaras et 6 % d’Ouzbeks ainsi que d’autres petites minorités (estimations).
Le gouvernement a promis de fournir des armes à la population afin qu’elle puisse remplir son « devoir » de défense nationale. Il n’est pas certain que l’État soit en mesure de tenir sa promesse, car les forces régulières elles-mêmes se plaignent depuis des mois du manque d’armes et de munitions indispensables pour tenir leurs positions. Une partie de la population s’arme au nom de la défense nationale, plus en opposition aux talibans qu’en soutien aux forces gouvernementales. Avec cette multiplication des acteurs combattants, les Afghans voient resurgir le spectre de la guerre civile.
L’IMPORTANCE DES INFLUENCES ÉTRANGÈRES
Après le départ des Soviétiques de l’Afghanistan en 1989, puis la chute trois ans plus tard du régime du président Mohamed Najibullah, les différents groupes de moudjahidines alors vainqueurs s’affrontaient avec un niveau de violence sans précédent. Bien que les partis politiques de l’opposition à l’invasion soviétique se soient réunis dans le cadre de l’accord de Peshawar de 1992 pour former un gouvernement intérimaire, Gulbuddin Hekmatyar, soutenu par les services secrets pakistanais, ambitionne d’exercer le pouvoir seul. Il bombarde Kaboul en 1992, faisant un grand nombre de victimes civiles, sans aucun résultat autre que le chaos. Alors qu’un gouvernement provisoire peine à prendre forme, les différents partis s’opposent violemment, souvent sur des bases ethniques.
En outre, il ne faut pas sous-estimer les interférences extérieures. Si le Pakistan joue un rôle central en soutenant Hekmatyar puis les talibans, les troupes d’Abdlul Rashid Dostum, un général ouzbek qui a longtemps combattu les moudjahidines mais a fait défection, sont soutenues par l’Ouzbékistan ; le Parti de l’unité islamique, Hezb-e-Wadat, chiite, par l’Iran ; la milice wahabite Ittihad-e Islami par l’Arabie saoudite. Finalement, les talibans prennent le dessus et conquièrent Kaboul en 1996, apportant une forme d’ordre, bien que brutale, au pays. Leur accession réussie au pouvoir est due au soutien massif du Pakistan, d’Oussama Ben Laden et de l’Arabie saoudite.
Pourtant, leur règne n’a jamais été totalement accepté. Plusieurs factions de moudjahidines se rassemblent pour former l’Alliance du Nord. Les chefs de guerre s’unissent sous la direction du déjà célèbre général Ahmed Shah Massoud. Les attaques d’Al-Qaida le 11 septembre 2001 contre New York et Washington signent un nouveau tournant pour la guerre avec l’intervention des États-Unis qui s’impliquent directement . Les talibans sont renversés en 2001.
L’ÉCHEC DES DÉSARMEMENTS
Les anciens combattants de ces guerres n’ont jamais mis l’arme au pied. Quatre tentatives de désarmement fondées sur la démobilisation et la réintégration des anciens combattants ont été lancées sous le contrôle des Occidentaux. Ces programmes n’ont jamais été efficaces car mal adaptés au contexte : les Afghans n’avaient pas suffisamment confiance dans le gouvernement nouvellement établi par les États-Unis pour renoncer à leurs moyens de défense. La démilitarisation du pays est un défi de longue haleine et ne sera probablement possible que lorsque le gouvernement se sera montré capable de protéger l’ensemble de la population du pays, ce que le pouvoir de Kaboul a été incapable de faire durant les deux dernières décennies. Depuis quelques mois, les seigneurs de la guerre sont revenus sur le devant de la scène, car le gouvernement recherche ouvertement – ou du moins accepte – leur soutien pour repousser les talibans.