Depuis le 15 août 2021, l’Afghanistan se trouve entre les mains des talibans suite à une offensive éclair d’une dizaine de jours. Après l’effondrement des forces gouvernementales, le président Ashraf Ghani a fui le pays. Les scènes de chaos s’enchaînent, tandis qu’à l’aéroport de Kaboul des centaines d’Afghans tentent d’embarquer dans des avions acheminés pour évacuer les ressortissants étrangers.
Vingt ans après le début de la guerre et les accords de Bonn de décembre 2001, qui ont chassé les talibans du pouvoir, qui sont ces insurgés islamistes ? Jean-Charles Jauffret, historien, professeur émérite à l’Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence et auteur de la Guerre inachevée : Afghanistan, 2001-2013 (Autrement), répond à nos questions.
Qu’est-ce qui distingue les talibans qui ont pris Kaboul le 15 août 2021 de ceux qui avaient les clés du pouvoir dans la capitale afghane de 1996 à 2001 ?
En 2001, le groupe au pouvoir était peu financé, tournait en rond et se contentait de maintenir le pays dans l’obscurantisme sans avoir d’autre but que d’installer une contre-société. Vingt ans plus tard, on a affaire à des gens qui sont beaucoup plus performants dans la propagande religieuse.
Ils ont été mieux formés, comme ceux qui sont passés par les madrasa (les écoles coraniques) pakistanaises. Ils veulent établir un Émirat islamique qui soit concentré dans un pays. La grande différence, c’est que les talibans au pouvoir aujourd’hui sont beaucoup plus riches que ceux de l’ancienne génération.
Comment financent-ils leur mouvement ?
Leur première source de financement, et elle est fondamentale, c’est l’argent de la drogue. Dans leurs préceptes religieux, ils la combattent, c’est une déviance, ils s’opposent aussi à ceux qui en tirent un enrichissement personnel mais, dans le cadre actuel, c’est pour la cause.
En 20 ans de présence américaine, la production de drogue au bénéfice des talibans a été multipliée par 34. Plus de 90 % de l’opium mondial est fourni par ce pays, 7 000 à 8 000 tonnes selon les années. Aujourd’hui, ils se sont même diversifiés pour produire de la morphine et de la marijuana.
Ces talibans sont aussi beaucoup mieux armés, on l’a vu avec les commandos qui ont été extrêmement efficaces en prenant plusieurs villes ces 10 derniers jours. Enfin, une autre source de richesse, grandissante, provient de leurs sympathisants, de pays frontaliers, de services de renseignements…
D’où viennent ces talibans au pouvoir aujourd’hui ?
Comme à la fin des années 1990, le groupe majoritaire est issu des Pachtounes, un peuple d’origine iranienne, fondateur de l’Afghanistan moderne, divisé en plusieurs tribus dont la grande majorité se trouve au Pakistan. Les chefs talibans sont généralement des Pachtounes. On peut citer le mollah Mohammad Yaqoub à la tête de la commission militaire des talibans, fils aîné du mollah Omar, leader des talibans jusqu’à sa mort en 2013. Leur numéro 2, Abdul Ghani Baradar, cofondateur du mouvement, est lui aussi pachtoune.
On distingue également d’autres origines, ce qui est nouveau. Se joignent aux talibans tous ceux qui combattent l’occident et les États-Unis. Je pense à ceux qui ont des comptes à régler avec la coalition de l’Otan. C’est un des grands malheurs de cette guerre : les frappes qui ont atteint les mauvaises cibles, les « dommages collatéraux ».
Quand vous lâchez une bombe de 250 kg sur un « méchant » mais que, ce jour-là à cet endroit précis, il y a un baptême ou un mariage et que vous tuez des dizaines de civils, tous ceux qui ont perdu un proche veulent se venger. Le plus grand recruteur des talibans, en dehors de l’origine ethnique, ce sont les frappes de la coalition.
Il y a aussi des éléments nouveaux qui rejoignent ce mouvement car ils souhaitent s’en inspirer. Je pense aux Tchétchènes, par exemple, dans le cadre de leur conflit avec la Russie. Et puis il ne faut pas oublier un acteur majeur : le Pakistan, ce pays qui pense que l’Afghanistan est son arrière-cour et qui finance des groupes terroristes.
On a vu que ces insurgés islamistes demandent le maintien de Médecins sans frontières sur place, par exemple, qu’ils communiquent plus et tentent de se donner une image plus modérée. Le sont-ils vraiment ?
Ils sont d’excellents communicants mais c’est une image de façade. Ces talibans-là me font penser au serpent du Livre de la jungle. Ils ont clamé « Aie confiance » et ont resserré leurs anneaux. Kaboul était leur proie, ils la digéreront et laisseront un pays en sang. Il suffit de voir les témoignages de femmes afghanes qui habitent dans les premières localités qu’ils ont prises.
Ils n’ont qu’un but : rétablir la charia et instaurer un État islamique. Le risque c’est que leur tactique serve de modèle à d’autres pays. Je pense à certains États africains. Mais, ce n’est pas parce que Kaboul est prise que tout est fini.
Oui, une massue est tombée sur l’Afghanistan et sur une communauté internationale lâche, mais les opposants ne resteront pas les bras croisés. On peut citer l’armée nationale afghane ou le fils du commandant Massoud, Ahmad Massoud, qui a appelé ses compatriotes à le rejoindre dans la région du Panchir pour résister aux talibans.