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Certaines épidémies ont été si terrifiantes, comma la peste qu’elles ont suscité l’effroi et le chaos.
Les épidémies et les pandémies révèlent des peurs, des fantasmes et attisent toutes sortes de théories complotistes. Depuis la nuit des temps, les êtres humains ont dû supporter tant d’épreuves et d’épidémies (1) ou de pandémies (2), que toutes les maladies ont dû susciter des peurs innombrables, le plus souvent communicatives collectivement et irrationnelles.
Lorsque l’homme est confronté à l’indicible, lorsqu’il est dépassé et atteint par des événements épidémiologiques d’une grande ampleur et/ou des catastrophes naturelles, il peut être désarmé, dépourvu. Il perd ses repères. Il se sent terriblement vulnérable individuellement et/ou collectivement. De plus, sans que forcément, nous nous en rendions compte, ces épidémies rappellent les périodes les plus sombres de notre histoire. Car, chaque époque est confrontée à de terribles pandémies (3).
Or, depuis le mois de janvier 2020, le covid 19 vient frapper à notre porte.
Comme dans d’autres épidémies -mais cette fois, plus particulièrement dans les réseaux sociaux- quelques individus ou groupuscules délirants, en profitent pour diffuser ou relayer de fausses rumeurs, des informations erronées, mensongères ou trafiquées afin d’attiser la peur et/ou de chercher des boucs émissaires. Les complotistes en profitent sur le mode : c’est de la faute à… C’est la faute des…
C’est ainsi que, depuis que l’épidémie a éclaté, en France ou ailleurs, la communauté asiatique a été/est stigmatisée.
Les exemples sont nombreux.
Le 26 janvier 2020, Le Courrier Picard publiait en Une en référence au Covid 19, ce titre ahurissant « Le Péril jaune », en photographie une asiatique, portant un masque. Renvoyant par-là même à un grand fantasme relayé pour dénoncer à la fin du XIXème siècle, le « danger » que les peuples asiatiques surpassent les Blancs et gouvernent le monde. Finalement, le quotidien présentera ses excuses « à tous ceux qui ont pu être sincèrement choqués », en indiquant vouloir « relativiser l’éventuelle panique irrationnelle pouvant se répandre après l’apparition des premiers cas en France » (4).
Parallèlement, dans les réseaux sociaux, de nombreux internautes se sont lâchés littéralement en invectivant la communauté asiatique. Dans les lieux publics, des personnes d’origine asiatique ont constaté des mouvements d’évitement, voire des prises à parties racistes dans certains espaces publics. Il faut le dénoncer : des Asiatiques et des Français d’origine asiatique ont été pris pour cible.
Des enfants d’origine asiatique ont été mis à l’écart ou ont été victimes de « blagues » stigmatisant leur origine. C’est ainsi que le coronavirus sert aussi d’excuse au racisme anti asiatique. La situation était si tendue que, sur Twitter, des internautes ont témoigné de leur détresse, sous l’hashtag #JeNeSuisPasUnVirus
Sinon, le Covid-19 est instrumentalisé dans tous les sens.
Les rumeurs et diverses manipulations se répandent sur Internet aussi rapidement que peut se répandre le virus. C’est ainsi que la question de l’origine du nouveau coronavirus en particulier alimente toutes les théories du complot et les conversations : le virus aurait pu s’échapper d’un laboratoire chinois. Il aurait été fabriqué par les russes, sur ordre du Kremlin. Il aurait été diffusé par la CIA, afin de réduire l’influence économique de la Chine et/ou par le Mossad israélien.
C’est ainsi également que certaines caricatures antisémites circulent dans les réseaux sociaux et sur certaines plateformes.
Dans notre histoire qu’elle soit contemporaine ou plus ancienne, ont été accusés d’empoisonner les puits et/ou de diffuser des épidémies. Notamment, au moyen-âge.
Une grande épidémie va décimer l’Europe, cette fois au moyen-âge, donc.
La peste noire débute dans les années 1340 aux abords de la mer noire. Très rapidement, elle s’étend en Europe, puis atteint certaines régions en Asie. Elle aurait tué près de 30% à 50% de la population européenne de 1347 à 1352. Mais cette épidémie aura d’autres conséquences. De grands massacres ont suivi la peste noire car elle a surexcité la haine et la furie contre les Juifs. Les Juifs ont été accusés d’empoisonner les puits ou de répandre la maladie.
Dans son dernier ouvrage, Criminaliser les Juifs. Le mythe du « meurtre rituel » et ses avatars antijudaïsme, antisémitisme, antisionisme (5), le philosophe Pierre-André Taguieff revient sur ces accusations scélérates. Selon Taguieff, elles étaient censées illustrer et prouver la méchanceté criminelle des Juifs, qui furent alors victimes de grands pogromes.
Par exemple, le 12 janvier 1349, l’épidémie atteint Friedrichshafen en Allemagne. Accusé d’avoir empoisonné les puits pour provoquer la mort des chrétiens, les juifs sont massacrés par la foule. Le 16 janvier, lors des persécutions consécutives à l’épidémie de peste noire, toute la communauté juive de Fribourg-en-Brisgau (Allemagne) hommes, femmes, enfants, est brûlée sur le bûcher. Ici aussi, on accuse les juifs d’avoir empoisonné les puits pour faire périr les chrétiens. Le 22 janvier 1349, la communauté de Spire, sur le Rhin, est anéantie lors des persécutions qui accompagnent l’épidémie. Le 17 février, les persécutions qui accompagnent l’épidémie de peste noire se propagent à la ville de Mengen (province du Wurtemberg). Les habitants tuent tous les juifs. Le 23 février, les persécutions consécutives à l’épidémie touchent la Suisse où de nombreuses communautés sont exterminées. Les habitants de Saint-Gall brûlent tous les juifs sur le bûcher. Le 24 février, tous les juifs de la ville de Dresde (Allemagne) sont rassemblés et brûlés sur un bûcher. Le 1er mars 1349, la communauté juive de Worms, sur le Rhin, subit à son tour les persécutions. Le 3 mars, c’est le tour de la communauté juive de Constance (en Allemagne) et le 18 mars, les juifs de Baden (Suisse) sont massacrés. Le 22 mars, les juifs de Fulda (Allemagne) sont massacrés à leur tour et le 10 avril, les juifs de Meiningen dans la province de Thuringe subissent le même sort. Le 21 avril, la communauté de Würzburg (Allemagne) est accusée d’empoisonner les puits et de répandre l’épidémie. Les juifs incendient leurs maisons et périssent dans les flammes. Le 26 avril, la communauté entière de de Germersheim (Allemagne) périt sur le bûcher. Le 30 avril, les persécutions qui accompagnent l’épidémie atteignent la petit ville de Radofszell sur le lac de Constance. La communauté est anéantie (6)…
Au final, dans sa lettre aux évêques du 26 septembre 1348, le pape Clément VI se fait le témoin indigné de la circulation de ces accusations et condamne les violences commises contre les Juifs :
« Récemment, une nouvelle infâme est parvenue jusqu’à nous : la peste que Dieu inflige au peuple chrétien pour ses pêchés, voici que des chrétiens la mettent sur le compte des Juifs. Poussés par le Diable, ils les accusent d’empoisonnement. Ils les massacrent sans les laisser recourir à la justice, ils ne ménagent ni les enfants, ni les vieillards, ni les femmes. Il est vrai que ce crime d’empoisonnement mériterait un châtiment terrible, mais on voit que la peste atteint aussi les Juifs… Et puis, comment croire que les Juifs ont pu trouver le moyen de déclencher une catastrophe pareille ? Nous vous ordonnons de profiter de la messe pour interdire à votre clergé et à la population – sous peine d’excommunication – de léser les Juifs ou de les tuer ; s’ils ont des griefs contre les Juifs, qu’ils recourent aux juges compétents (7). »
Lorsqu’une épidémie éclate, il faut toujours faire preuve de responsabilité.
La peur, le stress, la panique peuvent engendrer des comportements douteux et de l’incivisme. Des accusations infondées et malsaines, des théories conspirationnistes peuvent se répandre, sans le moindre fondement que celui de faire du mal à des gens, eux-mêmes victimes d’une épidémie dangereuse. Les accusations mensongères et le complotisme feront alors le lit de toutes les exclusions, des discriminations et des appels à la haine. L’épisode douloureux de la peste noire devrait nous faire réfléchir. Au final, qu’avons-nous appris de l’épidémie de 1349 et de l’antisémite qui frappait alors ?
Notes :
1) Une épidémie est une propagation rapide d’une maladie infectieuse à un grand nombre de personnes, le plus souvent par contagion.
2) On parle de pandémie en cas de propagation mondiale d’une nouvelle maladie.
3) Certaines épidémies ou pandémies ont été si terrifiantes, comma la peste qu’elles ont suscité l’effroi et le chaos. Par exemple, la peste antonine -du nom de l’Empereur romain Antonin, qui règne de 138 à 161- frappe l’Empire romain, dès 166 ou la peste de Justinien en l’an 540. Celle-ci atteint Constantinople en 542, puis remonte vers le nord de l’Europe. Elle aurait fait près de 25 millions de victimes. Au moyen-âge, la variole accompagne les conquêtes musulmanes en Afrique du nord et dans la péninsule ibérique. En l’an mille, elle s’étend sur tout le littoral méditerranéen. En 1500, la présence de la variole en Espagne est à la source de son introduction en Amérique du Sud, par les conquistadors. Elle infeste l’empire inca et la variole est responsable de la disparition de plus des 3 quarts de la population amérindienne, dès 1518. En 1918, la grippe espagnole en 1918 tue près de 30 millions de personnes, certains parlent de 100 millions de morts. Sur la peste, voir par exemple Jean Vitaux, La peste, Paris, PUF, 2010.
4) « Le “Courrier picard” s’excuse après sa une raciste sur l’« Alerte jaune »», L’Obs, 27 janvier 2020.
5) Sur l’excellent livre de Taguieff, voir :
http://www.crif.org/fr/actualites/crifantisemitisme-criminaliser-les-juifs-le-mythe-du-meurtre-rituel-et-ses-avatars-antijudaisme-antisemitisme-antisionisme-par-pierre-andre-taguieff
6) Voir à ce sujet Simon Wiesenthal, Le livre de la mémoire juive. Calendrier d’un martyrologue, Paris, Editions Robert Laffont, 1986, 321 pages.
7) Clément VI, lettre du 26 septembre 1348 ; passage cité par Raymond Darioly, Le Moyen Âge, Lausanne, L.E.P., 1998, p. 386, in Pierre-André Taguieff, Criminaliser les Juifs. Le mythe du « meurtre rituel » et ses avatars antijudaïsme, antisémitisme, antisionisme, Paris, 2020, Ed. Hermann, p. 75.