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Nathalie Delattre, par Hadien Mathoux dans Marianne.
La sénatrice de la Gironde (Mouvement radical) a présidé la commission d’enquête sur l’islamisme et les moyens de le combattre. Le rapport met notamment l’accent sur la nécessité de former les élus et les fonctionnaires pour faire face à un défi longtemps négligé.
67 personnes auditionnées, 58 heures de réunion, un rapport final de plus de 200 pages publié le 7 juillet : malgré la crise du coronavirus, qui a considérablement perturbé ses travaux, la commission d’enquête créée le 14 novembre 2019 par le groupe Les Républicains (LR) du Sénat n’a pas chômé pour parvenir à son objectif : dresser un état des lieux général du “développement de la radicalisation islamiste” et proposer des “moyens de la combattre“. Pendant les neuf derniers mois, les sénateurs ont convié à leur table un panel élargi de personnalités : quatre ministres (Jean-Michel Blanquer, Christophe Castaner, Roxana Maracineanu, Gabriel Attal), des universitaires spécialisés (Olivier Roy, Bernard Rougier, Hugo Micheron), des membres des services de l’Etat, et quelques têtes d’affiche de l’opposition à l’islamisme (Zineb El Rhazoui, Mohamed Louizi, Mohamed Sifaoui). Premier constat unanime de la commission d’enquête : “La réalité de la radicalisation islamiste s’est imposée par la multiplication des témoignages de terrain“. Il existe donc bien, pour les sénateurs, “une minorité de la population française de confession musulmane [qui] tend à adopter un comportement dont l’intransigeance prend prétexte de la religion. Ce comportement prescriptif sur le plan des moeurs tend à faire du religieux l’unique mode de rapport aux autres.“
Au passage, Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure de la commission d’enquête, souligne que les travaux sur l’islamisme de ces dernières années se sont principalement focalisés sur “l’action violente ou le risque de violence“, au risque de négliger les dangers plus insidieux que fait peser cette menace : la “remise en cause du vivre ensemble“, de “la liberté de conscience“, de “l’égalité entre les hommes et les femmes“, des “droits des personnes homosexuelles“. En clair, l’impact de l’islamisme sur la vie quotidienne de millions de citoyens français, et au premier chef ceux de confession musulmane “qui ne souhaitent pas vivre l’intégralité de leur vie selon des principes religieux“.
Le rapport, qui présente une synthèse plutôt complète du phénomène islamiste en France, n’hésite pas à dresser un constat par moments sévère de la situation, taclant notamment l’impréparation de l’Etat, des élus et des fonctionnaires, parfois paralysés par une “attitude empreinte de condescendance [qui] tend à faire des comportements radicaux et du refus des lois de la République un trait culturel qui serait propre à certaines populations“. 44 propositions sont listées dans le rapport : celui-ci préconise d’appliquer plus strictement et largement la police des cultes, d’augmenter les moyens affectés au renseignement, de former beaucoup plus rigoureusement les élus locaux et les agents de l’Etat, ou encore d’effectuer un contrôle strict sur les associations subventionnées et l’enseignement hors contrat. De quoi constituer une base de travail intéressante en vue de la la loi contre le “séparatisme” que le gouvernement prépare pour la rentrée ? Pour faire le point, Marianne a interrogé Nathalie Delattre, sénatrice de la Gironde, membre du Mouvement radical et présidente de la commission d’enquête sur la radicalisation islamiste.
Marianne : Le rapport de la commission sénatoriale pointe l’erreur consistant à réduire la question de la radicalisation islamiste à celle des attentats. S’est-on trop focalisés sur le terrorisme jusqu’à oublier que l’islamisme pose problème en France même lorsqu’il n’utilise pas la violence physique ?
Nathalie Delattre : Il a été nécessaire de se déporter dans un premier temps sur le terrorisme, pour pouvoir ensuite oser parler du reste. Ce qui intéressait notre commission d’enquête, c’est de parler du quotidien. Nous sommes désormais en mesure de dire tout haut ce que beaucoup pensaient tout bas : il existe bien un projet de déstabilisation de la société via une norme religieuse qui se place au dessus des lois de la République. Aujourd’hui, les Français et notamment les citoyens musulmans nous demandent de les protéger de l’islamisme radical, de ces personnes qui leur sont nuisibles. Eux veulent simplement vivre tranquillement dans une République laïque, sans subir cette pression continuelle.
Le CCIF snobe la commission d’enquête
Comment avez-vous choisi les interlocuteurs interrogés par la commission d’enquête ? De Zineb El Rhazoui à Olivier Roy, le panel est large…
La rapporteure de la commission, Jacqueline Eustache-Brinio, peut choisir les personnes qu’elle auditionne. Mais lors de la réunion du groupe, chaque sénateur apporte sa contribution et indique qui il souhaiterait interroger. Au Sénat, nous avons une forte culture de pluralisme, on entend toutes les parties pour se forger une conviction et arriver à un consensus.
En revanche, les choses se sont moins bien passées avec deux organisations soupçonnées de jouer un rôle dans le développement de l’islamisme, à savoir Musulmans de France (ex-UOIF) et le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF)…
Musulmans de France n’a pas répondu à nos sollicitations, quant au CCIF, il a délégué deux personnes non-membres du collectif qui ont elles-mêmes souligné qu’elles ne s’exprimaient pas au nom du CCIF. Les sénateurs ne souhaitent pas en rester là et nous donnerons probablement des suites judiciaires à cette affaire : nul ne peut se soustraire à la commission d’enquête par un artifice.
La norme était à la conciliation, à la médiation, à considérer comme normaux des faits qui devaient faire l’objet d’un signalement.
Le rapport évoque à plusieurs reprises “certains quartiers”, “certains endroits” particulièrement touchés par le phénomène de l’islam radical… Mais on trouve très peu d’exemples concrets. Dispose-t-on d’une liste des lieux où l’islamisme serait en position de force ?
Nous avons posé beaucoup de questions aux services de l’Etat sur les statistiques concernant ces quartiers, mais les renseignements sur ces lieux sont “secret défense”. Il est difficile pour l’Etat de pointer du doigt les endroits où il a engagé une action contre la radicalisation islamiste. On peut toutefois noter que quinze quartiers, situés dans treize départements français, sont concernés par une expérimentation menée par les pouvoirs publics. La commission d’enquête a pu prendre connaissance de la liste de ces quartiers. Par ailleurs, une nouvelle génération d’universitaires, dans le sillage de Bernard Rougier et Hugo Micheron, se lance dans des enquêtes sur le terrain afin de consolider le ressenti.
Y-a-t-il un problème de formation des élus locaux, des fonctionnaires ? A la lecture de vos travaux, on a parfois le sentiment que la France et notamment les agents de l’Etat ne connaissent pas, ou ne croient plus suffisamment en leurs propres valeurs pour les défendre…
On parle beaucoup de formation dans le rapport, effectivement. Nous avons fait le constat d’un besoin urgent de rappeler les notions de laïcité, d’installer des formations à part entière pour les élus locaux et à tous les niveaux de la fonction publique. Les enseignants doivent être tous formés à la laïcité, par exemple. Ces notions ne sont même pas au programme des formations des encadrants sportifs, elles ne sont pas intégrées au BAFA… Il y a eu trop de flottement ou de dérives, alors que les élus et les fonctionnaires sont très fréquemment confrontés à ces problématiques de laïcité, voire à la radicalisation islamiste. La norme était à la conciliation, à la médiation, à considérer comme normaux des faits qui devaient faire l’objet d’un signalement. Jusqu’il y a quelques années, le problème n’était pas perçu. Le rapport de nos collègues députés l’avait montré en juin 2019, la radicalisation peut arriver partout, il faut être vigilant.
Le débat entre “fermeté et inclusion” face à l’islamisme est-il dévoyé ?
Il faut être pragmatique. Il y a des règles à rappeler, mais la solution sera pas la même partout. Dans plusieurs quartiers, la République doit reprendre pied et s’imposer par rapport à la norme religieuse. Ailleurs, il faudra parfois être vigilant sans devoir être trop prégnant. Savoir doser, ne pas surintervenir quand ça ne se justifie pas, être dans une vigilance active.
Votre rapport est très critique quant au fonctionnement des cellules départementales de lutte contre l’islamisme et le repli communautaire (CLIR). Pourquoi fonctionnent-elles mal ?
Nous disposons d’un outil qui n’a pas été utilisé. Aujourd’hui, les préfectures créent des cellules pour tous les sujets, mais sans les moyens humains et financiers pour les faire fonctionner. Ce sont toujours les mêmes personnes qui se retrouvent autour de la table, en traitant les dossiers selon l’urgence du jour. Ces cellules départementales de lutte contre l’islamisme et le repli communautaire, placées sous l’autorité du préfet de département, pourraient être très pertinentes si on leur donnait des moyens. Mais elles sont actuellement incapables de fournir des données des précises quant à leur activité.