Les Russes avaient compris les premiers qu’on n’impose pas le socialisme à un pays musulman. Les Américains viennent de comprendre qu’on n’impose pas la démocratie à un pays islamique. Le bilan amer de Jean-Paul Brighelli sur le drame afghan.
Voici un pays qui a sensiblement la même taille que la France (autour de 650 000 km2 ), défendue par une armée de (nominalement) 300 000 hommes. En fait, 110 000, la différence étant constituée d’unités fantômes pour lesquelles les commandants percevaient une solde qu’ils se hâtaient d’empocher, et des armes sophistiquées qu’ils offraient à leurs futurs adversaires. Lesquels n’en ont que faire, vu qu’ils préfèrent des armes de basse technologie (les kalachs, dont on façonne n’importe quelle pièce sur une forge improvisée, et les mortiers home made ) plutôt que des outils qui demandent d’avoir fait des études ailleurs que dans le Coran.
Intervenir en 2001 en Afghanistan était de bonne guerre — au sens propre du terme. Mais il fallait s’en retirer très vite…
Ce pays immense et naturellement hostile est tombé dans l’escarcelle des Talibans (70 000 hommes, estimation moyenne) en une semaine. Dans leurs rêves, les Américains pensaient que cela leur prendrait deux mois. Manifestement, ils n’ont rien retenu du Vietnam.
Imaginez quelles conditions politico-stratégiques il faudrait pour que la France soit territorialement conquise en une semaine, les villes prises l’une après l’autre, et son armée évaporée.
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Qu’est-ce à dire ? Une pareille réussite militaire serait impossible si la population était hostile aux Talibans. On nous montre des images d’Afghans affolés, candidats à l’immigration. Quelques milliers, soit. Mais on ne nous montre pas les millions d’Afghans applaudissant le retour des « étudiants en religion ». Et la réimposition d’un ordre islamique.
Rejet de greffe
La greffe démocratique que les nations occidentales, qui se sont bercées d’illusions, ont cru imposer à ce pays tribal n’a pas pris. Elle ne le pouvait pas. Mille milliards de dollars plus tard, force est de constater que le régime des tribus a repris le dessus. On leur coupe les vivres ? La belle affaire ! Ils replanteront des pavots. Justement la consommation d’héroïne repart à la hausse.
Les belles consciences professionnelles, bobos de droite et de gauche, hurlent devant le retour de la loi islamique, qui n’est pas tendre. Mais qui est ce qu’une majorité d’Afghans réclament. Mais si ! Sinon, ils n’auraient jamais ouvert les bras à cette allure à leurs « libérateurs » — et je ne devrais pas mettre de guillemets. Les Russes avaient compris les premiers qu’on n’impose pas le socialisme à un pays musulman. Les Américains viennent de comprendre qu’on n’impose pas la démocratie à un pays islamique.
La démocratie est un concept européen, taillé pour des peuples européens. Elle convient bien à la Grèce du Ve siècle, à la Rome antique, et à quelques nations qui ont emprunté avec succès la voie républicaine. Elle ne convient pas à l’Afghanistan, ni à la Libye, ni à l’Arabie Saoudite, ni à l’Irak, ni… Pas plus que la charia ne convient à la France. Je suggère à celles et ceux qui en feraient volontiers leurs choux gras de s’exiler à Kaboul (ou Ryad, ou Bagdad, ou Téhéran). Ils y trouveront leur rêve. Femmes grillagées là-bas, et mini-jupes ici. Celles qui ont cru au mirage occidental sont bien peu nombreuses, elles sont la croûte alphabétisée dans un pays qui ne l’est guère.
Intervenir en 2001 en Afghanistan était de bonne guerre — au sens propre du terme. Mais il fallait s’en retirer très vite. Personne — sauf, brièvement, l’armée d’Alexandre — n’est venu à bout des Afghans, qui tiennent férocement à leurs principes, à leurs montagnes arides bourrées de métaux rares, et à leur mode de vie. Pas même les Anglais au faîte de leur puissance coloniale.
Un curieux paternalisme
Il ne faut pas forcer les peuples à être autre chose qu’eux-mêmes. C’est pire que du colonialisme, qui a au moins l’avantage d’annoncer la couleur : c’est de la bêtise pure. Xi Jinping ou Poutine usent de procédés qui nous révulsent ? Mais ils sont plébiscités par les Russes, qui aiment les tsars, et par les Chinois, qui ne détestent pas les empereurs. Il va falloir vous y faire, parce que la Chine va dominer le monde incessamment sous peu.
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Mais je ne crois pas les Chinois assez stupides pour imposer leur système politique à des nations étrangères qu’ils auront économiquement conquises. Alors, épargnons-leur les leçons. Les belles âmes ici s’enthousiasment pour un dissident emprisonné, pour des populations déplacées. Curieux paternalisme, qui nous fait juger d’autrui selon nos critères. Nous fabriquons des « tribunaux internationaux » soi-disant compétents extra-territorialement. Mais quelle compétence ont-ils dans des pays qui non seulement ne les reconnaissent pas, mais sont incapables d’en comprendre les ressorts et les motifs ?
Les tribunaux américains se prétendent compétents dans le monde entier dès que des intérêts américains sont en jeu. C’est la limite de l’interventionnisme. En 1801 puis à nouveau en 1815, ces mêmes Américains, qui expérimentaient les jeunes ressorts du système démocratique qu’ils venaient d’instaurer, envoyèrent des bateaux de guerre au Maghreb dans le cadre des « guerres barbaresques » — parce que la piraterie maure gênait leur commerce. Pas pour imposer la démocratie — et d’ailleurs, la victoire acquise, ils se retirèrent intelligemment : Jefferson ou Madison étaient bien plus sensés que Bush Jr, Obama, Trump ou le dernier de la classe, Joe Biden. Les intérêts commerciaux sont compréhensibles et peuvent légitimer l’emploi de la force. Les intérêts moraux sont si fluctuants, d’un pays à l’autre, qu’ils ne peuvent servir de base d’action à qui que ce soit. Pas de façon efficace. Laissons les Afghans se débrouiller entre eux — et surveillons les gens qu’ils fréquentent, au lieu de les armer, ce que les Etats-Unis firent avec Ben Laden dans les années 1980. Occupons-nous de notre pré carré, au lieu de rêver à des expéditions lointaines. La catastrophe libyenne aurait dû éclairer les philanthropes à jolies chemises. Il n’en est rien, ils veulent encore tenter l’aventure — et jouer la carte d’un autre fiasco.