Les responsables politiques nous récitent cette ritournelle en boucle… en oubliant très souvent de lui donner un contenu.
Depuis plusieurs décennies, l’invocation est omniprésente. Dans les années 1980, c’est la gauche, bientôt rejointe par la droite, qui en appelait avec gravité aux « valeurs de la République » face à l’émergence d’un Front national pourtant bien aidé par le cynisme de François Mitterrand. Certains ténors de la gauche, comme Jean-Pierre Chevènement puis Manuel Valls, ont ensuite employé ces termes pour attirer l’attention sur les échecs de l’intégration et la montée de la menace islamiste. L’air de rien, ils sont nombreux à les avoir imités. Martelée par tous les récents chefs de l’État, l’expression revient aujourd’hui dans la bouche de la plupart des prétendants à l’Élysée, de Xavier Bertrand à Valérie Pécresse, en passant par Anne Hidalgo ou le communiste Fabien Roussel. Même Marine Le Pen a fini par retourner la rhétorique utilisée contre elle jusqu’à plus soif, pour se poser en rempart contre l’islamisme.
Bref, la classe politique entonne cette ritournelle de manière trop pavlovienne pour que cela ne devienne pas suspect. Le RN est qualifié pour le second tour d’une élection ? Ses adversaires appellent à faire bloc au nom des « valeurs de la République ». Un attentat est commis ? On rivalise de discours et de communiqués sur les « valeurs de la République ». La laïcité n’est pas respectée à l’école ? Le ministère crée des « équipes “Valeurs de la République” » censées épauler les enseignants. Et ainsi de suite.
Le grand drame de cette expression, c’est qu’elle est en général employée pour aborder un sujet que l’on craint de nommer. Car, aujourd’hui, quand un responsable politique invoque les « valeurs de la République » il songe surtout à la laïcité. Un autre mot devenu hélas un paravent, puisque parler de la laïcité, c’est souvent penser à l’islam, et particulièrement sa version politique et rétrograde. Dernier exemple éclatant : le plan d’Emmanuel Macron contre le « séparatisme » a finalement été intitulé « projet de loi confortant le respect des principes de la République » … Pourquoi ne pas nommer plus clairement ce que l’on prétend combattre ?
« PLUS DE RÉALISME »
Une autre facilité consiste à discourir sur les « valeurs de la République » tout en évitant soigneusement de les définir. La devise républicaine Liberté, Égalité, Fraternité, est pourtant tout un programme. Mais nombre de ceux qui invoquent en boucle les fameuses « valeurs » oublient souvent de leur donner un contenu. Au risque de tomber dans l’abstraction pure et simple. Imagine-t-on un jeune d’un quartier difficile croire à l’avenir parce qu’il aura entendu parler des « valeurs de la République » ? Conçoit-on un « gilet jaune » guetté par le déclassement reprendre espoir à l’énonciation de cette formule magique ?
Et puis, il y a ce rappel que formule Jean-François Chemain dans le titre de son dernier livre : Non, la France ce n’est pas seulement la République ! * Un ouvrage provocateur dans lequel ce professeur d’histoire, qui a enseigné en ZEP, met en garde contre la facilité des discours sur les valeurs républicaines, lui qui appelle à puiser dans l’histoire et le patrimoine français pour faire aimer aux élèves issus de l’immigration un pays dans lequel ils peinent à se reconnaître. « Moins d’utopie, d’absolutisme, de dogmatisme, de puritanisme, de moralisme, d’inquisition, de sermons, de pontifiements, de célébrations, de péroraisons… conseille-t-il. Et plus de modestie, de réalisme, de démocratie, de liberté, de courage, de joie de vivre, de simple amour des Français et de la France ! » Voilà qui ferait, aussi, de belles valeurs de la République.
* Artège, 2021, 180 p., 14,90 €.
Pour retrouver les épisodes précédents :
Épisode 1 : “Les territoires”, ce poncif d’homme politique qui découvre la France
Épisode 2 : L’escroquerie de la “société civile”
Épisode 3 : “Diversité” : l’un des poncifs les plus idiots de la classe politique
Épisode 4 : “Ça fait quarante ans que…” Stop ! On arrête tout de suite avec cette expression !