Emmanuel Macron, le 14 juillet 2019, à Paris. JEAN-CLAUDE COUTAUSSE POUR « LE MONDE »
L’équation est intellec-tuelle, politique et mémo-rielle. Comment dire le passé lorsqu’on occupe la plus haute fonction en France ? Comment interpréter et abonder le récit français quand on n’a pas éprouvé, autrement que par les lectures, la marque des grands drames ? Emmanuel Macron allait avoir 12 ans au moment de la chute du mur de Berlin, en novembre 1989, dernier événement majeur de sa génération, qui a reconfiguré le destin européen. L’histoire nourrit, ou bien elle leste. La jeunesse du président français, son goût pour les envolées rhétoriques et pour la transgression déterminent sa politique mémorielle, particulièrement riche.
A la tribune du centre Yad Vashem, lors du Forum mondial sur l’Holocauste à Jérusalem , jeudi 23 janvier, il a ralenti son débit et détaché les phrases. Vladimir Poutine venait de chanter la gloire de l’Armée rouge pendant la seconde guerre mondiale, Benyamin Nétanyahou avait profité du moment de recueillement pour évoquer « les tyrans de Téhéran » . Le président français, lui, s’est incliné à la mémoire des disparus. « Il y a la justice, il y a l’histoire avec ses preuves et il y a l’avis de nos nations. Ne les confondons pas » , a-t-il dit.
Est-ce toujours si étanche ? S’exprimant devant trois journalistes du Monde , du Figaro et de Radio J dans l’avion du retour, le chef de l’Etat est longuement revenu sur son approche de l’histoire et sa traduction en discours et en gestes. « Les sujets mémoriels sont au cœur de la vie des nations. Qu’ils soient utilisés, refoulés ou assumés, ils disent quelque chose de ce que vous voulez faire de votre pays et de votre géopolitique. » Il existe un paradoxe dans cette pratique mémorielle soignée, métaphorique, parfois emphatique, mettant en scène les victimes, les héros et la complexité du destin national : son contraste avec tout ce que ses contempteurs ont reproché à Emmanuel Macron dans l’exercice du pouvoir, soit son détachement, un manque d’empathie pour les souffrances ordinaires, une forme de rudesse politique.
Parfois, la mise en scène échoue. En novembre 2018, pendant une semaine, il commémore le centenaire de la première guerre mondiale en se livrant à une « itinérance mémorielle » . Onze départements, dix-sept villes, des cérémonies et des rencontres pour parler de 1914-1918, mais aussi, en filigrane, de 2017-2022, de son quinquennat et du ressentiment populaire croissant à son égard. Trop de parasitages pour marquer l’opinion. Son prédécesseur François Hollande, qui lui était un président plus contemplatif qu’actif, avait également un appétit sans limite pour les commémorations.