Didier Leschi est directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) et président du conseil de direction de l’Institut d’études des religions et de la laïcité (IREL). © France Fraternités
Qu’est ce qui empêche, selon vous, certains détracteurs de la laïcité de penser le lien entre liberté et laïcité ? Et comment leur expliquer que la laïcité n’est pas un frein à l’exercice du culte ?
Didier Leschi : Je pense qu’ils ont une vision déformée, très certainement parce qu’ils viennent souvent de cultures ou de pays où l’idée qu’on peut avoir une liberté de conscience n’est pas une chose totalement évidente. Du coup, ils n’arrivent pas à penser qu’un pays comme le nôtre et d’autres en Europe sont des pays où on peut complètement avoir une liberté de culte – dès lors qu’on ne trouble pas l’ordre public –, et que cela est un gain de liberté qui est inestimable.
Oui, mais en même temps, vous avez un certain nombre de débats dans le pays qui viennent obscurcir cette notion. Je pense aux débats qui ont lieu au Sénat, où un certain nombre de sénateurs souhaitent faire adopter, par exemple, l’interdiction des signes religieux pour les accompagnateurs de sorties scolaires. Ne pensez-vous pas que de telles décisions et débats participent à troubler les esprits sur ce qu’est véritablement la laïcité ?
Didier Leschi : Vous avez raison. Il est indéniable que la manière dont les débats sont menés ne peut qu’accréditer cette idée qu’il n’y a pas pour tous une liberté de culte, et en particulier pour nos compatriotes musulmans ou pour des personnes de confession musulmane.
Le débat sur les accompagnateurs scolaires fait sans doute partie de la difficulté qu’entraîne ce type de débat et qui peut mener à une sorte de stigmatisation des personnes qui sont de confession musulmane en particulier.
C’est vrai qu’il existe, si vous voulez, une ambiguïté du droit sur les sorties scolaires puisqu’on ne peut être dans une sortie scolaire que pendant le temps scolaire et qu’à partir de cette idée, les personnes qui accompagnent les élèves, même si elles sont volontaires, pourraient être considérées comme des auxiliaires du service public et, à ce titre, tenues à une certaine neutralité. Je crois qu’il faut, en la matière, essayer de bien équilibrer la nécessité de faire participer vraiment les familles à la vie scolaire de leurs enfants et empêcher, dans le même temps, les enfants d’être soumis à une pression religieuse. Ce n’est pas toujours simple, mais je crois que l’idée que la liberté doit l’emporter sur la contrainte en matière de culte, dès lors qu’il n’y a pas de trouble à l’ordre public, me semble être une notion fondamentale depuis la loi de 1905.
Vous avez écrit un guide pratique, en collaboration avec Régis Debray, « La laïcité au quotidien », et vous y rappelez que la liberté de s’exprimer consiste à pouvoir dire, écrire ou montrer tout ce qui ne nuit pas à autrui. Certains considèrent donc que cette liberté ne doit pas mener à l’insulte de leur religion, qui est souvent vécue comme une attaque personnelle. Alors, que leur répondez-vous ? Y a-t-il une limite à la liberté de critique et d’expression ?
Didier Leschi : Il ne peut pas y avoir de limites à la liberté de critique d’une religion, comme d’autres idées, et en particulier dès lors qu’elle touche de manière générale à des débats philosophiques. Et le fait de croire ou ne pas croire, c’est une certaine forme de débat philosophique. Mais par contre, ce qu’on ne doit pas faire, et il y a peut-être souvent un mélange regrettable, c’est de stigmatiser le croyant. Croire, c’est un droit personnel, et on ne peut pas dire à quelqu’un qu’il n’a pas le droit de croire ou de le moquer parce qu’il croit. C’est la règle générale.
Maintenant, il y a des espaces particuliers, en particulier dès lors qu’on est dans le domaine de l’art. Je pense, par exemple, au dessin de presse ou à la caricature où il peut y avoir des formes d’expression mais elles ne doivent pas amener à cette idée que la personne elle-même est stigmatisée. On peut stigmatiser ou on peut critiquer sa croyance, mais on ne peut pas dire « Un tel parce qu’il croit est un imbécile ». On peut penser que telle idée n’est pas raisonnable ou peut-être même idiote, mais c’est une appréciation qui ne doit pas amener à une critique des personnes elles-mêmes.
Nous sommes là sur le fil de la responsabilité. Autrement dit, vous combinez liberté d’expression et responsabilité. Est-ce cela que vous êtes en train de nous dire ?