C’est un véritable camouflet pour les femmes turques. Dans la nuit de vendredi à samedi, le président Erdogan a retiré le pays de la Convention d’Istanbul qui lutte contre la violence faite au second sexe. «J’y vois un permis de tuer ! » s’enflamme Burcin, une mère de famille, en ralliant en fin d’après-midi un rassemblement de protestation improvisé devant l’embarcadère des bateaux de Kadikoy, sur la rive asiatique. Le décret présidentiel, qui annule l’engagement de la Turquie, signé en 2011, à adopter une législation réprimant la violence domestique, signale une régression de la condition des femmes en Turquie. Il est d’autant plus choquant qu’il intervient à l’issue d’une année particulièrement meurtrière : en 2020, 300 femmes ont été assassinées en Turquie. Sur la seule année 2021, 77 femmes ont été tuées en 79 jours d’après les ONG. « Annoncer en pleine nuit le retrait de la convention d’Istanbul, alors que nous apprenons chaque jour que de nouvelles violences sont commises contre les femmes, a de quoi remplir d’amertume », s’est insurgé le maire d’Istanbul et rival affiché du président , Ekrem Imamoglu.
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Le sujet faisait débat depuis plusieurs mois, après qu’un responsable du parti islamo-conservateur au pouvoir, l’AKP, eut ouvertement suggéré d’abandonner le traité l’année dernière. Raison invoquée : la charte nuirait à l’unité familiale, encouragerait le divorce et ses références à l’égalité favoriseraient la communauté LGBT, actuellement dans le collimateur des autorités. De quoi faire bondir les associations féminines et les défenseurs des droits de l’homme qui avaient déjà signifié leur inquiétude en descendant à plusieurs reprises dans les rues d’Istanbul et d’autres villes pour exhorter le gouvernement à renoncer à son dessein. En vain.
Cherchant à faire passer la pilule, le gouvernement argue ce samedi qu’il n’a pas besoin d’un tel traité pour que les femmes soient respectées. La Constitution et la réglementation intérieure de la Turquie seront la «garantie des droits des femmes », assure Zehra Zümrüt Selçuk, ministre de la famille, du travail et des services sociaux, selon l’agence de presse Anatolie. Mais la confiance est rompue. «Renoncez à cette décision, mettez en œuvre la convention », ont scandé, ce samedi, des foules en émoi dans plusieurs villes du pays, où l’on a pu les entendre citer à tue-tête les noms de toutes les victimes de féminicides de l’année passée.
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L’annonce, concomitante avec le limogeage du gouverneur de la banque centrale , et qui suit de près la menace d’interdiction du parti d’opposition HDP, intervient dans un contexte particulièrement tendu. D’aucuns voient dans ces décisions à la chaîne une double volonté d’Erdogan de renforcer sa base conservatrice tout en donnant des gages à ses alliés ultranationalistes dans la perspective du scrutin présidentiel de 2023. Un jeu d’équilibriste à la fois risqué et dangereux pour l’avenir du pays que l’Europe – qui venait tout juste d’amorcer un dégel avec Erdogan – observe avec préoccupation. «La décision de la Turquie (…) est une nouvelle dévastatrice (…) qui compromet la protection des femmes », déclare le Conseil de l’Europe dans un communiqué.
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