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Les autorités ont failli imposer un confinement total à l’occasion de la fête qui célèbre la fin du ramadan.
Ce n’est pas à proprement parler un marché, mais c’est tout comme. Dès la fin de la matinée, ce rond-point au quartier de Hussein-Dey bouchonne et des dizaines de véhicules s’agglutinent autour des vendeurs de fruits et légumes à la sauvette debout sur le plateau de leurs camionnettes.
Les prix sont moins chers car les pommes de terre et les nouvelles cerises proviennent directement des producteurs de ce qui reste de la ceinture verte d’Alger. « Trop, trop de monde, et la police qui regarde ça sans bouger », s’insurge Fadhéla, la soixantaine, qui a choisi un keffieh aux couleurs palestiniennes comme protection sur son visage. Cette femme au foyer, mère de quatre jeunes hommes, dit ne pas comprendre que les autorités laissent se rassembler une telle foule. La plupart des clients portent effectivement un masque, les vendeurs font semblant d’en porter un, rattaché aux oreilles mais pendant sous leur menton, mais n’ont pas l’impression d’avoir entendu parler de distanciation sociale.
Ainsi se profile l’ambiance de plusieurs rues et ruelles dans les quartiers populaires d’Alger et de sa proche périphérie. À l’approche de la fête de l’Aïd el-Fitr le 24 mai, marquant la fin du ramadan, le rythme des achats s’accélère. Traditionnellement, les familles préparent les gâteaux et se ruent sur les magasins de vêtements pour enfants qui arboreront leurs plus beaux habits pour la fête qui durera deux jours.
Surtout, c’est aussi l’occasion de se rendre visite, des embrassades et des pardons échangés ; la coutume impose aussi de se rendre le premier jour de l’Aïd au cimetière pour prier sur la tombe des proches défunts ou encore de célébrer les nouveaux enfants circoncis lors des derniers jours du mois sacré.
Une fête de convivialité boulimique en gâteaux très sucrés… et un cauchemar pour les autorités en ces temps de pandémie.
Le vendredi 15 mai, le ministre de la Santé, Abderrahmane Benbouzid, a révélé que le Comité scientifique a recommandé au Premier ministre Abdelaziz Djerad de décréter un confinement total dans tout le pays, pour la fin du ramadan et la fête de l’Aïd. Selon le ministre de la Santé « l’Aïd el-Fitr est une occasion de regroupement familial et de possibilité de contagion, c’est aussi une occasion pour les visites familiales et aux cimetières (…) Je pense qu’il faut absolument qu’on mette tous les moyens pour éviter les rencontres et les regroupements. D’ailleurs, nous avons une expérience, tous les cas que nous avons eu à suivre, c’était à l’occasion des fêtes comme à Blida, Médéa ». L’officiel a aussi prévenu contre les circoncisions collectives qui « sont susceptibles d’aller à l’encontre du renforcement des mesures que nous souhaitons prendre pour protéger la population ».
C’est la même inquiétude qu’exprime le professeur Madjid Tabti, chef de service de pédopsychiatrie à l’EHS de psychiatrie Mahfoud Boucebci à Alger : « On devrait reporter la circoncision des enfants cette année, parce que même si elle se fait dans les normes dans un hôpital comme le recommande le Ministère de la Santé, le problème n’est pas dans la circoncision, mais dans la célébration qui suit au sein des familles. L’Algérie est vaste, ce n’est pas seulement Alger, et beaucoup parmi les leurs vont venir leur présenter leurs vœux et assister aux réjouissances. Cela ne peut donc pas être en accord avec le confinement. »
Les rumeurs sur un probable confinement total ont alerté l’opinion publique, car le confinement partiel avec un couvre-feu plus ou moins respecté à Alger à partir de 17 heures, permettait aux Algérois de vaquer presque normalement à leurs occupations, d’autant que plusieurs commerces avaient rouvert depuis le début du mois du ramadan insufflant un semblant de normalité. Certains commençaient à avancer leur date de départ vers leurs familles habitant d’autres villes pour fêter ensemble l’Aïd avant ce confinement général annoncé.
Mais l’avis du comité scientifique n’a finalement pas été suivi par les autorités. Le samedi 16 mai, le haut conseil de sécurité présidé par le chef de l’État, Abdelmadjid Tebboune, a décidé de maintenir le confinement partiel, tout en rappelant que « les mesures déjà prises au niveau national ont prouvé leur efficacité ». « À la limite, les autorités limiteront les déplacements inter-wilayas (préfectures) très fréquents à l’approche de l’Aïd et facteurs aggravants de propagation du virus », confie au Point Afrique une source officielle. Dimanche 17 mai au soir, l’Algérie a enregistré six nouveaux décès du Covid-19, totalisant ainsi 548 le nombre de morts dans le pays depuis le début de la pandémie, alors que le nombre de contaminations a augmenté de 198 nouveaux cas en 24 heures pour un total de 7 019 cas confirmés répartis sur l’ensemble du territoire. La bonne nouvelle est que la courbe des guérisons reste positive avec 98 personnes guéries en 24 heures, avec un chiffre globale de 3 507 guérisons et 11 754 personnes sous traitement.
Ces chiffres ne cachent pas une réalité : le nombre des cas a sensiblement augmenté depuis la réouverture de certains commerces début ramadan, une décision justifiée, selon les autorités, par la crainte d’une catastrophe économique certaine. Cette reprise partielle des activités commerciales s’est, certes, accompagnée de mesures drastiques pour imposer port du masque et distanciation sociale aussi bien pour les commerçants que pour les clients, mais cela n’a pas suffi, apparemment, pour éviter les regroupements tant redoutés.
« Depuis le début du ramadan, les statistiques liées à la propagation de la Covid-19 connaissent une courbe ascendante inquiétante », alertait le quotidien El Watan, expliquant que « le nombre de contaminés par jour est passé d’une moyenne de 120 cas le 24 avril, premier jour du ramadan, à une moyenne quotidienne de plus 180 cas et de 5 à 6 décès ».
« Nous maintiendrons le confinement partiel, mais en parallèle nous renforcerons la vigilance tout en observant l’évolution de la situation pandémique », commente un officiel. « Le virus est de moins en moins virulent et nous n’avons pas de pression sur nos services, heureusement. La majorité des cas détectés sont asymptomatiques et les cas graves se font de plus en plus rares », indique un médecin de garde dans une unité spéciale Covid-19 à l’est d’Alger.
L’idée d’aller vers le port obligatoire du masque dans les lieux publics fait son chemin, à condition d’une disponibilité satisfaisante des masques, alors que sur le terrain, spéculations et détournements par certains grossistes imposent une guerre des prix des masques. Fadhéla, elle, préfère le keffieh pour se protéger. Dans ce marché informel qui s’improvise bruyamment sur ce rond-point près de la station métro Amircouhe, elle s’éloigne de la foule, murmurant d’antiques damnations contre « les inconscients ». Qu’a-t-elle prévu pour l’Aïd ? « Pas trop de gâteaux, même si mon mari s’en plaint », répond-elle en poursuivant, « car j’ai averti toute ma famille au téléphone, je ne veux voir personne durant l’Aïd, et si quelqu’un toque à ma porte, même ma propre sœur, eh bien, je ne lui ouvrirai pas » !