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Tu vis l’enfer, quand c’est la canicule, tu étouffes. Je te plains.
Sors tes ciseaux. Déchire ton niqab. Montre ton visage. Tu ne peux pas le cacher éternellement. Ta peau est livide. Elle a besoin de soleil. Tes yeux ont besoin de lumière. Tes poumons ont besoin d’oxygène. La plante ne s’épanouit pas dans l’obscurité. Comme toi, pour vivre, elle doit respirer par tous ses pores.
Je te plains. Tu vis l’enfer. Quand c’est la canicule, tu étouffes. Tu ne peux pas porter ce linceul. C’est injuste. C’est criminel. Libère-toi. Prends des risques. Affronte tes chefs. Accuse-les. Traîne-les devant le tribunal du bon sens.
Pour une fois, décide de ton geste. Ne me dis pas que tu es libre d’être soumise. Ne me déçois pas. Ne fais pas comme ces femmes liges qui revendiquent un oxymore. Leur féminisme « islamique » est une aberration.
Sors tes ciseaux. Découpe ton niqab en morceaux. Jette-le dans le feu. Renais sous un autre habit qui te mettra en valeur. Un visage, c’est important. Ton visage, c’est ton identité. Ton identité, c’est toi. Toi, tu n’es pas les autres. Toi, tu n’es pas le collectif. Appartenir à une communauté ne suffit pas pour exister. Tu es singulière. Tu as tes propres prunelles. Tu as ta propre chevelure. Tu as ton propre teint. Tu as ton propre souffle.
C’est depuis l’enfance qu’on t’a mise dans une prison ambulante. Tu regardes ta vie se faner derrière un grillage. On t’a cloué les ailes. On a fait de toi un oiseau en cage. On t’a habituée à l’obéissance. On t’a imposé des bornes. On a limité tes mouvements. On a tracé tes frontières. On a façonné ta conscience. On a soupesé tes neurones. On a conçu ton vocabulaire. Le seul mot qu’on t’ait appris à répéter, c’est « oui ».Tu acquiesces tout le temps. Tu dis oui au père. Tu dis oui au fils. Tu dis oui au mari. Tu dis oui aux traditions. Tu dis oui à la religion. Tu dis oui au prophète. Tu dis oui aux caïds. Tu dis oui aux corvées. Tu dis oui à la peur. Tu dis oui à la torture. Tu dis oui à la pauvreté. Tu dis oui à la douleur. Tu dis oui à tout. Sauf à toi. Tu t’oublies dans un coin. Tu dis non à ta chair. Tu dis non à ton esprit. Tu dis non à ta liberté. Tu dis non à tes rêves. Tu dis non à l’espoir.
Je comprends ta servitude. Tu n’en es pas responsable. On t’a préparée à obéir. Depuis toujours les hommes pensent à ta place. Les religieux te rabaissent. Les politiques t’oppressent. Les marchands de virilité te bradent. Tu n’as pas le droit de montrer tes atours. Tu n’as pas le droit de montrer tes courbes. On a fait de ton corps une honte. On a fait de ton sourire une mascarade. On a fait de ta beauté un sacrilège. Tu dois taire tes désirs. Tu dois taire tes talents. Tu dois taire tes blessures. Tu dois taire tes révoltes. C’est comme ça. C’est mektoub. C’est écrit dans le Livre saint. C’est dit dans les sourates. C’est estampillé dans la constitution.
Ah, leur code de l’infamie ! Ah, leur livret de famille avec l’espace réservé aux quatre épouses ! Et pourquoi des tuteurs ? Des juges ? Des imams ? Et les us ? Et la tribu ? Et l’hymen ? Et la chasteté ? Et le crime d’honneur ? Et la lapidation ? Tant de termes qu’il faudrait arracher du dictionnaire. Tu dois t’effacer quand tes maîtres sont là. Tu dois écouter quand ils prêchent. Tu dois baisser la tête quand ils te grondent. Ils sont puissants. Ils ont la barbe drue. Comme des sabres, leurs mots sont tranchants. Ils blessent. Ils tuent. Tes maîtres ont des fouets. Ils ont des pierres. Ils ont le pouvoir. Ils ont la religion. Ils ont la charia. Ils ont Dieu. Ils ont le diable. Ils ont les mythes. Ils ont les légendes.
Sois courageuse. Sors tes ciseaux. Déchire ton niqab. Défais tes cheveux. Laisse-les cascader sur tes épaules. Montre tes joues. Embaume-les de crème. Souligne tes lèvres. Redessine tes cils. Mets un pantalon. Mets une jupe. Mets une robe. Chausse des talons. Ou des baskets. Ou des bottines. Mets ce qui te plaît. Peu importe si c’est étrange ou si c’est passé de mode. Dispose comme tu veux de ton corps. Tes mains sont tes mains. Tes pieds sont tes pieds. Tes seins sont tes seins. Ton cœur est ton cœur. Ton ventre est ton ventre. Ton cerveau est ton cerveau. Tu es à toi. Tu n’es la propriété ni de l’homme, ni du Seigneur.
Sois femme. Sois indocile. Sois forte. Sois fragile. Pose tes yeux partout. Enlève les œillères qui te bouchent la vue. Pleure quand tu as du chagrin. Ris quand tu es joyeuse. Guide tes pas où cela t’enchante. Le temps cavale. Personne ne peut l’arrêter. La nature explose. Les vacarmes se mélangent aux couleurs. Les bêtes gueulent. Les abeilles vrombissent. Les rivières gémissent. Le soleil est têtu. Les roues tournent. Ça sent le bitume. Ça sent la rage. Ça sent le sel. Ça sent le sang. Ça sent le désir. Ça sent l’anarchie. Il y a la vie dans l’air. Il y a la mort dans la terre. Tends la main et cueille fleurs et étoiles. Mets-les dans des pots. Colle-les sur les murs. Dépose-les sur les routes. Offre-les aux enfants. Ouvre ta bouche et divague. Dis les poèmes de Taslima Nasreen. Dis les quatrains d’Omar Khayyâm. Bois si tu aimes le vin. Fume si tu le désires. Fais l’amour si tu en as envie. Donne un coup de pied aux oppresseurs. Déhanche-toi. Danse la salsa. Danse la polka. Joue avec ton corps. Montre tes prouesses. Vivre est un jeu. Jouer est un verbe innocent.
Que tu es légère sans ton niqab. Que tu es brave sans tes maîtres. Que tu es belle sans ton foulard. Sois ivre. Bats des ailes. Surpasse les nuages. Plane comme une colombe. Va jusqu’au bout de ta liberté.
© Karim Akouche: Poète, romancier, dramaturge et chroniqueur québécois d’origine kabyle, Karim Akouche vit au Québec depuis 2008.