Des députés français dénoncent l’impunité de la Chine
Face à l’éradication des Ouïghours
« La France regarde avec beaucoupd’attention l’ensemble des témoignages relayés par la presse et les organisations de défense des droits de l’Homme », a déclaré le chef de la diplomatie devant l’Assemblée nationale.
« Ce qui trans-paraît de l’en-semble des infor-mations que nous avons ou lisons, ce sont des camps d’internement pour les Ouïghours, des détentions massives, des disparitions, du travail forcé, des stérilisations forcées, la destruction du patrimoine culturel ouïghour et en particulier des lieux de culte, la surveillance de la population et plus globalement tout le système répressif mis en place dans cette région », a-t-il déclaré.
Or, « toutes ces pratiques sont inacceptables. Nous les condamnons avec beaucoup de fermeté », a appuyé le ministre, exigeant que Pékin autorise l’accès d’observateurs indépendants internationaux dont la Haut-commissaire aux droits de l’homme de l’ONU au Xinjiang, « en toute liberté ».
L’internement des Ouïghours est une pratique « révoltante et inacceptable, et nous la condamnons fermement », a aussi déclaré France Info le ministre de l’Economie Bruno Le Maire. Cette question « doit évidemment faire partie de la discussion que nous avons avec nos partenaires chinois », a-t-il également affirmé.
Des députés français dénoncent l’impunité de la Chine
Cette prise de position forte, applaudie à l’Assemblée nationale, intervient au moment où des députés français, Aurélien Taché (Val d’Oise) en tête, ont appelé Emmanuel Macron à « prendre des positions fortes et à agir pour que la Chine soit traduite devant la Cour pénale internationale pour crime contre l’humanité, pour que les persécutions que subit la communauté ouïghoure cessent immédiatement et fassent l’objet de réparations à hauteur du préjudice subi ».
Dans une lettre envoyée à l’Elysée, les 29 députés signataires ont dénoncé « une volonté claire de la part de la Chine d’éliminer progressivement cette communauté ethnique qui, selon les termes utilisés par le régime, « affaiblit l’identité nationale et l’identification à la race nationale chinoise » ».
« N’ayons pas peur d’utiliser des termes forts, il s’agit bien ici d’une entreprise organisée et institutionnalisée d’éradication d’une population », soulignent-ils. « Le comportement de la Chine vis-à-vis de la population ouïghoure fait peser une menace grave le droit international et représente une atteinte inacceptable aux libertés que nous reconnaissons comme fondamentales et à la dignité humaine. Ces pratiques, comme l’impunité dont jouit depuis trop longtemps le régime chinois, ne sont pas acceptables. En gardant le silence alors que des femmes, des hommes et des enfants sont persécutés chaque jour, nous nous rendrions complices de ces exactions. »
Ces députés appuient ainsi la requête de Ouïghours exilés, qui ont récemment exhorté la CPI à ouvrir une enquête pour génocide et crimes contre l’humanité envers leur peuple, bien que la Chine ne reconnaît pas la compétence de cette institution judiciaire internationale.
Sans surprise, la Chine a dénoncé, mercredi 22 juillet, des « mensonges » après les critiques de la France. Néanmoins, les preuves s’accumulent contre elle. Dernièrement, une vidéo montrant un transfert de prisonniers, mains liées et yeux bandés, a été massivement partagée sur la Toile ces derniers jours.
Rebiya Kadeer, la porte-drapeau des Ouïghours : « Notre indépendance, une vraie question de vie ou de mort »

Rebiya Kadeer : C’est tout à fait normal. Nous devons nous ouvrir pour nous faire connaître. Et puis j’ai été tellement bien accueillie en Europe, surtout en France, que je me dois de vous accueillir.
Vous êtes exilée aux États-Unis depuis plusieurs années. Quel est votre ressenti par rapport à l’organisation du gouvernement du Turkestan oriental en exil ici-même aux États-Unis, présidé par Erkin Ablimit (depuis novembre 2019) ?
Rebiya Kadeer : Je suis très satisfaite de la tenue et de l’aboutissement de cet événement. Je soutiens totalement ce gouvernement en exil. Je le reconnais officiellement et lui souhaite bonne chance. Cela fait longtemps que je suis son action alors qu’il n’était qu’en préparation.
Quelle est aujourd’hui votre place et votre rôle vis-à-vis de ce gouvernement ouïghour en exil ?
Rebiya Kadeer : Moi, je reste aux côtés de ce gouvernement et de son président démocratiquement élu. Comme vous avez pu le constater par vous-même, je suis là pour dialoguer, encourager. Je laisse ce gouvernement évoluer par lui-même. Je me présente prioritairement comme dissidente, partisane d’une vraie autonomie (pour le Turkestan oriental, ndlr) sous la forme d’une indépendance. Je me présente comme la mère des Ouïghours à travers le monde, une mère protectrice.

Erkin Ablimit
Je tiens à insister sur un point bien précis : certains autres groupes ouïghours existent à l’étranger mais je ne soutiens que ce mouvement précis mené par Erkin Ablimit, responsable au départ de l’Association des Ouïghours de France, et qui représentera par la suite l’Union Internationale Ouïghoure.
Pourquoi ce mouvement aurait-il plus de légitimité ?
Rebiya Kadeer : Car il fonctionne selon des bases précises, rendues le plus simples possible, et il est démocratique. Il est vraiment très actif pour ce qui est d’informer les gens (sur la cause ouïghoure).
Qu’est-ce que vous ne cautionnez pas chez les autres par exemple ?
Rebiya Kadeer : Le manque de clarté avant tout. Ensuite, il s’agit d’un travail régulier, la dissidence, sur le long terme. En cette période troublée internationalement, il faut détecter au plus vite les intentions.
Je tiens à préciser que nous, les Ouïghours, ne sommes pas des terroristes, contrairement à la récupération faite par la Chine suite aux attentats de groupes radicaux islamistes à travers le monde. Nous n’avons rien à voir avec tout cela. Il y a d’ailleurs même des Ouïghours chrétiens. Justement c’est pour cela que je soutiens exclusivement le gouvernement qui est élu ici aux Etats-Unis car il agit avec un esprit de concertation. Il a un aspect laïque et démocratique, loin d’être obscurantiste puisque même des femmes y participent. Alors je le répète, nous ne sommes pas des terroristes !
Vous venez d’évoquer un acteur important, la Chine. Même à distance, ressentez-vous les pressions exercées par les autorités chinoises ?
Rebiya Kadeer : Bien sûr que oui ! Des pressions sont exercées sur moi et tous les Ouïghours qui résident ici aux États-Unis. Je peux vous citer un épisode survenu il y a dix ans : une voiture m’a délibérément foncé dessus, me cassant les deux jambes et m’envoyant à l’hôpital pour six mois. Ces intimidations continuent et depuis quelques temps, elles reprennent même en s’accentuant.
On doit récupérer notre pays, c’est le principal. C’est vital. C’est une vraie question de vie ou de mort. Les Chinois exercent une pression totale sur nous. Tout le temps. Par conséquent, se séparer d’eux permettrait d’éviter un génocide déjà entamé. Sans indépendance, plus de vie possible.
Vous résidez aux Etats-Unis et vous avez été reçu dans bien des endroits à travers le monde, dont l’Europe. Qu’en est-il du relationnel avec les pays turcophones ?
Que faire ? Quel serait votre première réaction lors de la proclamation de votre indépendance ?
Rebiya Kadeer : Tout d’ abord, sensibiliser encore plus l’opinion publique et les gouvernements afin d’alerter vraiment le monde entier sur la nature des événements. Il faut que tous les pays possibles cherchent à intervenir en informant ou en agissant sous diverses formes, diplomatiques ou commerciales. Que ce soit les États-Unis ou d’autres. Par exemple pourquoi pas la France, en reconnaissant l’existence de notre gouvernement en exil ? Nous souhaitons vivement qu’elle le fasse, cela donnerait l’exemple aux autres pays européens.
Le jour où le Turkestan oriental aura son indépendance, je serai impatiente de m’y rendre, c’est une évidence. À condition que le processus démocratique soit en marche pour effacer la dictature communiste destructrice.
Afin de conclure l’entretien, pourriez-vous délivrer un dernier message ?
Rebiya Kadeer : Alors un message pacificateur sur le fond, c’est le principal. Ensuite, sur la forme, un message multiple, c’est-à-dire celui (appelant à) apprendre à tenir compte des différences, non à les niveler pour les gommer comme le font les Chinois avec nous comme avec d’autres minorités que sont les chrétiens, les adeptes de Falun Gong, les Tibétains…
La gentillesse vous savez, c’est plus que la simple amabilité de répondre aux sollicitations d’un journaliste. En fait, j’ai un devoir d’information, comme vous, mais aussi de prévention. La gentillesse, c’est la compassion, c’est de s’ouvrir aux autres, ce que faisaient au départ les membres de mon peuple avec les caravaniers de la Route de la Soie.
Je dis aux nations qui ne nous connaissent pas « Croyez en nous ». Nous sommes ouverts à l’idée d’une économie de marché non expansionniste à sens unique. Là encore, nous nous différencions de celles et ceux qui gouvernent la Chine en chantant le radicalisme communiste associé au protectionnisme méprisant. Avant que je n’oublie, je remercie les avancées du Congrès américains qui a su prendre le temps de nous écouter dès le départ.
« Les grands crimes, pour avoir lieu, ont besoin d’immenses silences »

Une soirée, organisée par la présidente de l’Institut Ouïghour d’Europe Dilnur Reyhan et le député européen Raphael Glucksmann (au centre), a été l’occasion de mettre en lumière le destin tragique des Ouïghours en Chine.
La voix des Ouï-ghours a vibré, dimanche 15 décembre, à La Marbrerie de Montreuil (Seine-Saint-Denis) à l’occasion d’une soirée de solidarité avec un peuple dont le destin tragique gagne à être davantage (re)connu auprès du grand public. Malgré les grèves et les perturbations qu’elles génèrent, quelque 150 personnes ont fait le déplacement, signe d’une adhésion à la cause.
Le destin des Ouïghours bascule véritablement en 1949 lorsque le Turkestan oriental, où les membres de cette minorité musulmane turcophone sont majoritaires, est occupé par la Chine communiste. Cette région du nord-ouest, érigée en province sous le nom du Xinjiang, est depuis sous le contrôle implacable du pouvoir central de Pékin.
Leur situation s’est particulièrement aggravée ces dernières années avec la mise en place d’une politique répressive qui a, entre autres actions, mené à leur internement massif. Les organisateurs de la soirée dominicale, le député européen Raphael Glucksmann et la sociologue Dilnur Reyhan, présidente de l’Institut Ouïghour d’Europe, né en début d’année 2019, ont ainsi voulu créer un événement visant à « briser le silence » qui règne autour du sort des Ouîghours, victimes de diverses persécutions par les autorités chinoises, et ce avec le silence voire le soutien, d’une bonne partie de la communauté internationale, eu égard malheureusement à la puissance politico-économique de la Chine.
Des voix de la résistance
Malgré tout, la résistance des Ouïghours dans le monde est de plus en plus active, le but étant de mettre en échec l’effacement en cours de tout un peuple. Dernièrement, c’est le militant ouïgour Ilham Thti qui s’est vu décerner le prix Sakharov par le Parlement européen.
« Tant que nous sommes là, la civilisation ouïghoure ne sera jamais exterminée. C’est pour ça que je suis là et que vous êtes là. C’est pour ça que nous avons organisé cette soirée. Des millions d’autres personnes dans le monde entier se battent pour que la civilisation ouïghoure vive et ne meure jamais et ça n’arrivera pas », a affirmé avec force Dilnur Reyhan, en s’adressant à l’auditoire.
En tant qu’enseignante de la langue ouïghoure, directrice de la revue franco-ouïghoure Regard sur les Ouïghour-e-s et présidente de l’Institut Ouïghour d’Europe, Dilnur Reyhan participe activement à la promotion et à la sauvegarde de la langue et de la culture ouïghoures, un véritable acte de résistance contre la politique de « rééducation » mise en œuvre par le gouvernement chinois depuis 2016 au Xinjiang.
Avant l’instauration de camps d’internement qualifiés par des observateurs comme des « camps de concentration », les Ouïghours de la diaspora, venus en Europe pour y faire des études, pouvaient faire des allers-retours vers la Chine. Depuis trois ans, cela n’est plus possible, indique auprès de Saphirnews Dilnur Reyhan. Désormais, « s’ils retournent en Chine, ils sont amenés directement dans les camps. Cela est arrivé à beaucoup de Ouïghours, revenus chez eux après avoir terminé leurs études en France, ils sont actuellement (portés) disparus ».
C’est la raison pour laquelle le travail engagé par l’Institut Ouïghour d’Europe* – né en début d’année 2019 de l’Association des étudiants ouïghours de France (Oghouz) qui existait depuis une dizaine d’années – est devenue plus importante encore, au vu de l’escalade de la violence et la dégradation des conditions de vie des Ouïghours en Chine. « Actuellement, on estime qu’il y a entre 1,2 et 3 millions de personnes dans le camps », déclare Dilnur Reyhan. A noter, des Kazakhs et des Kirghizes, qui ont l’identité turcique pour point commun avec les Ouïghours, y sont également internés.
Des témoignages de l’horreur
La soirée est rythmée par les interventions de figures institutionnelles proches de la cause ouïghoure tels que Hubert Julien-Laferrière, député de l’Assemblée nationale et membre de la commission des Affaires étrangères, et Raphael Glucksmann, ainsi que la lecture de témoignages de victimes ou de parents de victimes de la répression chinoise.
« A la fin de l’année 2016, ma mère reçoit un étrange appel de son ancien patron en Chine qui lui ordonne de revenir pour demander sa retraite et signer des papiers. Ce fut le début d’un cauchemar », témoigne, dans une lettre, Gilhumar Haitiwaji qui, à l’époque, avait 14 ans. Sa mère décide de partir après une semaine de harcèlements quotidiens et achète un billet d’avion aller-retour pour un court séjour. Une fois arrivée en Chine, elle est arrêtée, interrogée, maltraitée et finalement emprisonnée, avant d’être obligée de rejoindre un camp de « rééducation » où elle restera un an et demi et subira toutes sortes d’humiliations. C’est aussi là qu’on lui demande explicitement de renoncer à sa langue, à sa culture et à son identité ouïghoures.
Il y aussi le témoignage de Olsi Yazeji, un historien albanais qui, en août 2019, a rejoint un groupe de journalistes étrangers pour visiter le Xinjiang. Une fois là-bas, il a pu constater l’horreur et la violence psychologique dans les camps que la propagande chinoise appelle « Vocational Training Centers » destinés, selon la version officielle, à reconvertir de présumés terroristes en citoyens modèles.
Briser le silence pour sauvegarder les droits de tous
Raphael Glucksmann, l’un des premiers eurodéputés à dénoncer ce qui se passe au Xinjiang, a exhorté l’opinion publique à ne pas détourner le regard face aux crimes commis par le régime chinois : « Être solidaires des Ouïghours, ce n’est pas simplement un devoir d’être humain, mais c’est aussi se soucier de son propre avenir, parce que ce qui se passe en Chine ce n’est pas une réminiscence du passé, c’est un modèle d’avenir. »
« Tu as une barbe trop longue, tu vas au camp. Tu as un Coran dans ton sac, tu vas au camp. Tu es pris en train de prier, tu vas au camp. Tu envoies des vœux sur Internet pour une fête religieuse musulmane, tu vas au camp. Et même si tu ne fais pas tout cela, même di tu es un enfant on te sépare de ta famille, on t’incite à dénoncer tes parents », affirme le député.
« Et même si tu es mort, on va te chercher dans ta tombe, on retourne ton cimetière et on fait un parc d’attraction qui s’appelle « La Cité Joyeuse » au-dessus de tombes (le Parc du bonheur qui va être construit sur un cimetière, un site révéré par les Ouïghours car il abritait la tombe d’un de leurs poètes du XXe siècle, Lutpulla Mutelli, ndlr). C’est ça la politique chinoise aujourd’hui dans le Xinjiang. C’est l’effacement d’un peuple au nom de la lutte anti-terroriste et jihadiste. »
Briser le silence est donc un devoir civique parce que « les grands crimes, pour avoir lieu, ont besoin d’immenses silences », continue Raphael Glucksmann. La soirée se termine, symboliquement, avec les chants et les musiques de la tradition ouïghoure, interdits en Chine. Le message est clair : si le silence tue, la musique donne aussi vie et espoir.
Alerté par le sort des Ouïghours en Chine, le CFCM appelle à l’ouverture d’une enquête internationale

La ligne de défense du gouvernement chinois consistant à justifier ses actions uniquement par le prisme de la lutte contre le terrorisme « n’est plus acceptable ».
« Nier en bloc les accusations dont il fait l’objet et refuser l’idée même d’une enquête indépendante est de nature à donner donner crédit aux témoignages des victimes et à prendre en compte les faits graves relatés par de nombreuses sources indépendantes », estime encore le CFCM, qui s’offusque au passage du soutien affiché de nombreux pays membres de l’Organisation de la coopération islamique (OCI) envers la Chine.
Dans un contexte où les réactions d’indignation se multiplient en Occident, en France aussi, face à la Chine, l’instance appelle les musulmans de France « à saisir les moments de prières de l’Aïd al-Adha et du vendredi 31 juillet pour élever des invocations au secours de cette minorité et de toutes les minorités victimes de crimes et de répression que rien ne saurait justifier ».
*L’Institut Ouïghour d’Europe a engagé une campagne de crowdfunding afin de fonder un lieu à Paris visant à faire « découvrir la culture ouïghoure » auprès du plus grand nombre et de « participer à sa protection ».
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