La loi dite « confortant les principes de la République », appelée initialement « contre les séparatismes », bouscule les équilibres trouvés en 1905-1909 et porte atteinte aux principes de liberté et d’égalité entre les associations.
Quelle liberté dans le respect de la séparation des cultes et de l’Etat ?
La loi du 9 décembre 1905 a instauré un régime de séparation. Dans un tel cadre, qu’est ce qui justifie que le nouvel article 19 de la loi du 9 décembre 1905 rende certaines dispositions statutaires obligatoires… pour les seules associations cultuelles ? Nous n’avons aucune réserve à l’égard des principes affirmés d’organisation collégiale et de transparence… mais ces principes ne concernent-ils pas toutes les associations ? Tant que cette exigence demeure limitée à un type d’association, elle contribue à jeter le discrédit sur cette forme d’association.
La loi fait plus que doubler le nombre des obligations comptables et déclaratives des associations pour l’exercice d’un culte, ce qui rend plus difficile l’action des bénévoles, au risque de freiner l’acceptation de telles responsabilités… et donc de finir par porter atteinte à la liberté même d’exercice du culte.
Enfin la loi crée de nouvelles contraintes pour toute association régie par la seule loi du 1er juillet 1901 qui organise des « activités en relation avec l’exercice public du culte ». Quelles sont les situations précisément concernées ? Une association qui n’a pas pour objet l’exercice direct du culte mais conduit des activités sociales, culturelles, de jeunesse ou de préservation du patrimoine pourra-t-elle être concernée ? Une définition si imprécise peut tout à fait permettre une interprétation abusive et crée une forte insécurité juridique.
Quelle égalité de traitement entre les associations ?
Selon la loi de 1905, les associations cultuelles se constituaient librement (article 30 du décret du 16 mars 1906). Si telle disposition des statuts ou telle activité pouvait sembler ne pas respecter les dispositions législatives, les tribunaux judiciaires étaient compétents, comme pour toute association (loi du 1er juillet 1901, article 7). Mais la loi du 24 août 2021 donne compétence au seul préfet pour la reconnaissance du caractère cultuel (art. 19-1 loi 1905) et, en conséquence, accroît la compétence des tribunaux administratifs.
La loi donne même au préfet la compétence de retirer la qualité d’association cultuelle : a-t-on mesuré toutes les conséquences pratiques d’un tel retrait (en ce qui concerne l’affectation d’édifices du culte, la continuité d’un bail emphytéotique, les libéralités acceptées et les reçus fiscaux délivrés, etc…) et, à maintenir une telle possibilité, ne serait-il pas plus justifié de mentionner la possibilité de mettre fin à l’exercice de ces droits, et non de les retirer ? Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs déjà émis une telle réserve d’interprétation en ce qui concerne l’article 12 de la loi (relatif au contrat d’engagement républicain).
Jusqu’à présent les associations avaient l’obligation de nommer un commissaire aux comptes à partir d’un certain montant de dons (153 000 €), seuil identique pour toutes les associations. La loi instaure plusieurs nouveaux motifs à une telle obligation, en fonction du régime juridique de l’association et des activités concernées : 50 000 € pour les cultuelles au regard des ressources et avantages provenant de l’étranger, 100 000 € pour le budget des associations 1901 exerçant le culte ou ayant des « activités en relation avec l’exercice public du culte ». Qu’est- ce qui justifie de telles différenciations, qui ne peuvent être perçues que comme discriminatoires, alors même que le ministère des finances reconnaît lui-même que les flux les plus importants provenant de l’étranger concerne les domaines sportif et culturel ?
Or de telle obligations ne sont pas sans avoir aussi des conséquences financières. En application des décrets publiés, une association peut recevoir de l’étranger jusqu’à 49 999 € par an sans avoir une obligation de faire certifier ses comptes (soit 299 994 € en six ans, durée du mandat d’un commissaire aux comptes) alors qu’une association cultuelle qui recevra une seule fois 60 000 € (pour contribuer par exemple à la réfection d’une toiture) devra supporter la charge financière d’un commissaire aux comptes pendant six ans.
Quels objectifs et quelles conséquences ?
Les informations rapportées par la presse montrent que le gouvernement disposait déjà des pouvoirs nécessaires pour lutter contre les conséquences répréhensibles du séparatisme, et jusqu’à présent ont pu déjà être sanctionnés les liens qui, dans des cas exceptionnels, ont été établis entre l’un des responsables d’une associations pour l’exercice du culte et les auteurs d’acte de terrorisme. Qu’est-ce donc qui justifie vraiment la plupart des décisions du titre 2 de la loi du 24 août 2021, qui relèvent plus d’un gallicanisme désuet, en totale contradiction avec les principes de la loi du 9 décembre 1905 ?
La publication des décrets d’application renforce les difficultés que rencontrent quotidiennement les responsables associatifs, en accroissant les exigences de la loi. A titre d’exemple, l’article 75 de la loi ajoute à l’article 21 de la loi du 9 décembre 1905, parmi les obligations des associations cultuelles, celle de dresser la liste des lieux de culte dans lesquels elles organisent habituellement l’exercice du culte, liste à présenter « sur demande du représentant de l’Etat dans le département. » Or les articles 2 et 4 du décret n° 2021-1844 du 27 décembre 2021 inscrivent deux fois cette liste dans la liste des documents à déposer systématiquement : d’une part lors de la déclaration préalable et d’autre part lors de la déclaration de la qualité cultuelle ! De même l’article 77 de la loi mentionne au nouvel article 19-3 de la loi du 9 décembre 1905 l’obligation d’une déclaration à l’autorité administrative de toute réception d’un versement ou avantage supérieur à un certain montant. L’article 4 du décret 2022-619 du 22 avril 2022 fixe ce seuil à 15 300 €… mais l’article 7 indique la liste des éléments de déclaration à faire parvenir y compris lorsque le montant ou la valorisation de l’avantage ou des ressources est « inférieur » à ce montant !
La loi du 24 août 2021 modifie profondément les aspects collectifs de la liberté religieuse… mais elle peut aussi, en contraignant les possibilités d’organisation, aboutir à limiter la pratique religieuse, et donc à porter atteinte à une liberté individuelle fondamentale.
Quels recours ?
Devant tous ces constats et la confirmation des inquiétudes manifestées tout au long du premier semestre 2021, cinq institutions – l’union des associations diocésaines de France, la Conférence des évêques de France (CEF), la Fédération protestante de France (FPF), l’union nationale des associations cultuelles de l’Eglise protestante unie de France (EPUdF) et l’assemblée des évêques orthodoxes de France (AEOF) – ont demandé au Conseil d’Etat le 25 février 2022 d’annuler pour excès de pouvoir certaines dispositions des décrets d’application et de renvoyer au Conseil Constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de certaines dispositions de la loi du 24 août 2021. Avant la promulgation de la loi, des parlementaires avaient déjà saisi le Conseil Constitutionnel sur des dispositions du titre 1 de la loi (exigences minimales de la vie en société). Mais le titre 2 (articles 68 à 88), relatif à l’exercice du culte, n’avait pas été concerné. Le Conseil d’Etat a décidé, le 18 mai 2022, de renvoyer ces questions au Conseil Constitutionnel. Une fois sa décision rendue, il appartiendra au Conseil d’Etat de se prononcer sur les décrets d’application qui, pour le moment, augmentent les obligations, au lieu d’expliciter et clarifier la loi.
Jean-Daniel Roque est président de la commission « Droit et liberté religieuse » de la Fédération Protestante de France (FPF)