En achetant des Rafale, la Grèce exploite le point faible de la Turquie
Sur terre et sur mer, l’armée turque a le dessus. Mais dans les airs, les Grecs disposent d’appareils plus modernes et de pilotes plus aguerris.
Enfin ! Près de vingt ans après sa mise en service en France, le Rafale a été acheté par un autre pays européen. La Grèce a annoncé samedi 12 septembre son intention d’acquérir dix-huit appareils et leurs armements : de quoi mener la vie dure à la vieillissante aviation turque. Dans le contexte des tensions exacerbées en Méditerranée orientale, Athènes veut aller vite : douze appareils d’occasion seront donc prélevés à l’armée de l’air française et devraient être livrés dès mi-2021, alors que six autres neufs seront livrés d’ici à 2022, probablement avec le standard plus moderne F3R capable de mettre en œuvre les missiles à longue portée Meteor.
En modernisant son aviation, la Grèce frappe un grand coup là où cela fait mal pour la Turquie. En effet, si la marine et l’armée de terre turques sont indiscutablement supérieures à leurs équivalents grecs, il n’en est pas forcément de même dans les cieux. Les avions turcs sont vieux : d’antiques chasseurs bombardiers F-4 de la guerre du Vietnam côtoient des chasseurs F-16 certes modernisés, mais qui gardent les limites d’un avion développé dans les années 1970. Pour ne rien arranger, l’armée de l’air turque ne s’est toujours pas remise des purges massives dans ses rangs, qui ont suivi la tentative de coup d’État ratée en 2016 : les pilotes aguerris ne sont plus légion.
Compléter les Mirage 2000-5
En face, la Grèce aligne aussi des F-4 et des F-16, en moins grande quantité. Mais elle dispose de quelques dizaines de Mirage 2000, dont 24 au standard 2000-5, capables d’abattre des adversaires à plus grande distance. Avec l’ajout des Rafale, qui vont remplacer les plus vieux Mirage 2000, Athènes s’offre une capacité air-air dernier cri, et renforce sa capacité de frappe en profondeur contre des cibles terrestres ou navales. De quoi garantir à la Turquie des dommages majeurs en cas de conflit, et rééquilibrer le rapport de force en Méditerranée orientale.
Pour moderniser son aviation, la Turquie comptait sur le nouveau chasseur furtif américain F-35. Mais après des mois de tergiversations, le Pentagone a finalement mis son veto au déploiement de l’appareil dans une armée qui utilise aussi le système anti-aérien russe S-400. Donald Trump a donc bloqué le contrat à l’été 2019, et Ankara s’est tourné vers Moscou pour négocier l’achat de chasseurs de cinquième génération : une démarche qui pourrait être accélérée par les annonces grecques.
15 000 soldats supplémentaires
Cette nouvelle commande est une bouffée d’air pour Dassault Aviation, qui réclamait durant l’été l’anticipation de livraisons françaises pour sauver ses chaînes de production. Même si certains avions seront prélevés dans les armées françaises, il s’agira bien pour Dassault de fabriquer dix-huit appareils neufs supplémentaires, car il faudra remplacer rapidement les Rafale français vendus d’occasion.
Durant l’été, au plus fort des tensions entre la Grèce et Chypre d’un côté, et la Turquie de l’autre, et sur fond d’incursions turques dans les eaux territoriales européennes, la France avait déployé une frégate et deux Rafale en Méditerranée orientale, pour soutenir ses partenaires européens. Les appareils appartenaient aux forces aériennes stratégiques, celles-là même qui sont chargées de la dissuasion nucléaire : une manière d’appuyer un peu plus le message à Ankara…
L’achat des Rafale fait partie d’un programme de réarmement annoncé par le Premier ministre grec samedi 12 septembre, qui comprend aussi l’acquisition de quatre frégates, via un appel d’offres à venir, ainsi que le recrutement de 15 000 soldats supplémentaires. Pour le pays, qui sort à peine la tête de l’eau après une crise financière apocalyptique, l’effort est énorme.