La première étude, danoise, se penche sur le risque d’être infecté par le virus. Selon ses résultats, portant sur plus de 470.000 personnes, 38,4 % des testées positives étaient de groupe sanguin O alors que ce dernier représente 41,7 % de la population danoise. Ce n’est pas la première fois que la corrélation entre groupe sanguin et coronavirus est observée: des chercheurs hongkongais l’avaient déjà constatée pour le Sras il y a quinze ans. Jacques Le Pendu, directeur de recherche à l’Inserm-Université de Nantes, a d’ailleurs recensé pas moins de 29 publications étudiant ce lien depuis le début de la crise sanitaire actuelle: «Un consensus se dégage indéniablement, à savoir que les gens de groupe O auraient environ 20 % de risque en moins de contracter le virus, et ceux de groupe A et AB un risque plutôt plus élevé.»
Une histoire d’anticorps
Comment expliquer cette résistance à géométrie variable? Elle est en fait probablement due aux anticorps, ces défenses naturelles utilisées par le système immunitaire pour débusquer puis neutraliser les agents pathogènes. Une personne de groupe sanguin A possède des antigènes A mais développe dès les premiers mois de sa vie des anticorps anti-B ; celle de groupe sanguin B, des anticorps anti-A ; celle de groupe O, à la fois des anticorps anti-A et anti-B, et celle de groupe AB, aucun anticorps.
Or ces antigènes et anticorps, contrairement à ce qu’on pourrait penser, ne sont pas seulement exprimés dans le sang mais aussi dans les cellules spécifiquement ciblées par le virus, comme celles qui se trouvent sur la paroi du poumon ou de l’intestin (les cellules épithéliales). Le virus qui va aller s’accrocher à ces cellules va être répliqué par ces dernières et donc porter la même étiquette. Autrement dit, si la cellule porte le marqueur «groupe sanguin A», le virus va aussi le porter. «Le virus qui vient d’une personne de groupe sanguin A ou B, s’il croise une personne groupe O, va ainsi rencontrer des anticorps anti-A et anti-B qui vont le neutraliser», et donc l’empêcher d’infecter la cellule cible, explique Jacques Le Pendu.
Les personnes de groupe sanguin O sont donc en quelque sorte vaccinées naturellement par leurs anticorps anti-A et B… sauf si, bien sûr, elles sont contaminées par une autre personne du groupe O. Les A sont en revanche moins protégés car ils n’ont que des anticorps anti-B, or les personnes de groupe sanguin B ne sont pas très nombreuses. En France en effet, 44 % des gens sont de groupe A, 42 % sont O, 10 % sont B, et 4 % sont AB, selon l’Établissement français du sang.
«Attention, prévient toutefois le chercheur à l’Inserm: cela ne veut pas dire qu’on ne peut pas être contaminé si on est de groupe O. Il ne faut pas changer de comportement et oublier les gestes barrières. Mais à l’échelle de la population, cela permet une certaine protection, un peu de la même façon que l’immunité collective.»
La seconde étude publiée dans Blood Advances, canadienne cette fois, explore quant à elle le lien entre groupe sanguin et sévérité de la maladie. Portant sur un petit échantillon de 95 patients hospitalisés et gravement malades à Vancouver, elle suggère que les groupes O et B ont moins de chances de voir leur état empirer que les groupes A et AB. Ils sont notamment moins susceptibles d’avoir besoin d’une ventilation mécanique (61 % contre 84 %), de souffrir d’insuffisance rénale (9 % contre 32 %) ou de mourir (14 % contre 24 %). Les auteurs de l’étude restent toutefois prudents: l’échantillon considéré reste petit et le lien avec le groupe sanguin pourrait n’être qu’une partie de l’équation.
À ce niveau-là, «les anticorps n’ont plus aucun rôle à jouer», note en tout cas Jacques Le Pendu, qui avance un élément de réponse: «On sait depuis une vingtaine d’années que les groupes sanguins ont un effet sur la coagulation du sang: le groupe O est ainsi connu pour avoir moins de protéines responsables du contrôle des saignements. Dans la vie normale, cela ne change rien. Mais dans certaines situations pathologiques, on voit l’effet apparaître. Ce n’est pas directement prouvé, mais pour les formes sévères du Covid-19, les O possèdent donc un peu moins de ces facteurs de coagulation et sont donc moins susceptibles de faire des thromboses (obstructions d’un vaisseau sanguin).»
Le coronavirus est-il devenu plus dangereux suite à une mutation ?