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Montée de l’ensauvagement quotidien.
Éric Delbecque, expert en sécurité intérieure, fustige notre aveuglement face à la montée de l’ensauvagement quotidien.
Nous vivons dans une réalité totalement schizophrène. D’un côté, un climat idéologique de plus en plus pesant s’acharne à vouloir nous faire croire que nous sommes des victimes en puissance, des dominés, des preuves ambulantes d’une injustice quelconque, peu importe laquelle. Bien évidemment, pour qu’il existe des opprimés, il faut des « méchants », des bourreaux, des oppresseurs. Les activistes de tout poil – au sens propre parfois, au sens figuré en permanence – canardent donc l’État, le gouvernement et les forces de sécurité en poussant des cris d’orfraie lorsque les pouvoirs publics font leur travail : maintenir l’ordre public, condition élémentaire du système démocratique.
De l’autre, le constat alarmant, chaque jour plus évident, d’un ensauvagement du quotidien. La preuve nous en est fournie, une fois de plus, par deux drames déchirant la banalité de l’existence ordinaire. Un chauffeur de bus à Bayonne, Philippe Monguillot, perd la vie parce qu’il a voulu faire respecter la loi, parce qu’il a manifesté son choix d’une citoyenneté responsable. Peu de temps auparavant, une jeune gendarme de 25 ans, Mélanie Lemée, meurt sur un barrage routier, à Port-Sainte-Marie, fauchée mortellement par un automobiliste voulant échapper à un contrôle. Visiblement parce qu’il transportait de la drogue et qu’il circulait sans permis de conduire. En résumé, de petits délinquants décidèrent dans les deux cas de marcher sur les lois de la République.
On nous expliquera une nouvelle fois que les criminels ne sont pas vraiment des criminels, et que la « société » ou les institutions devraient occuper la place des accusés. On connaît la chanson du « oui mais »… Cette pratique est usée parce qu’elle se révèle terriblement malhonnête intellectuellement. La raison ? Le but de tous ceux qui tentent de minimiser les responsabilités individuelles consiste à négocier la loi : c’est l’extension du domaine de la jungle, au détriment de l’État de droit. La justice dispose des instruments nécessaires pour faire preuve de discernement et proportionner les peines. Elle peut notamment évaluer des circonstances atténuantes (ou, à défaut, aggravantes). La chaîne pénale sait faire preuve de nuance. Ce que nous vivons depuis des années doit se lire dans un tout autre schéma d’explication que celui, désormais absurde, d’une « répression aveugle ». Chez les défenseurs des incivilités, des délits et des crimes endeuillant le social régulièrement, il s’agit d’obtenir une loi « molle », une application à géométrie variable, en fonction de tel ou tel communautarisme, de tel ou tel activisme de rue ou médiatique, de telle ou telle théorie abusivement partiale du moment (le « privilège blanc » ou la légitimité de la violence anticapitaliste).
Au fond de ces drames, la véritable question qui se pose est celle du rapport à la règle partagée, à la conception de ce que doit être la res publica , la chose commune. Pour les plus cohérents avec eux-mêmes, l’utopie serait par conséquent un monde où l’on examinerait le crime en fonction de son auteur, où toute sanction serait discutable selon le potentiel de nuisance que l’on représente. La loi immémoriale de la horde, en somme. Relire Pierre Clastres nous éclairerait sans aucun doute (et René Girard), aussi, en particulier ce qu’il nous a appris sur la « violence mimétique ») : son Archéologie de la violence en tête. Il y décrit fort lumineusement les petites communautés closes, agressives, portées à faire la guerre à ce qui ne leur ressemble pas. Tout communautarisme (ethnique ou nationaliste, idéologique ou religieux, corporatiste ou criminel) porte en ses flancs une brutalité sans limites. C’est cela qui dévore la civilité, qui affaiblit à chaque instant la démocratie.
Le “monopole de la violence physique légitime” détenu par les pouvoirs publics permet de ne pas régresser vers l’état de nature.
Que faire ? Avant même de se poser la question des moyens à mettre en œuvre, d’abord faire progresser de nouveau l’idée que la loi protège les libertés individuelles et la sécurité des corps, la vie des êtres humains… Mais également qu’elle implique que l’on ne se rebelle pas contre les forces de l’ordre dans un régime démocratique (certes imparfait, tout en constituant cependant une chance pour ses citoyens) et que le « monopole de la violence physique légitime » détenu par les pouvoirs publics permet de ne pas régresser vers l’état de nature. Les brutes sont des brutes, pas des victimes.
N’importe quelle femme, n’importe quel homme, a le droit de contester, discuter, lutter pour ses convictions ou même ses intérêts. En revanche, dès qu’un individu choisit la violence pour s’imposer face aux décisions nées du vote, dès qu’il tente de s’exonérer des normes minimales de la vie en société, il mérite la rigueur, rationnelle et non vengeresse, du Code pénal. Refuser ce raisonnement, ce n’est pas choisir la liberté, c’est militer pour la barbarie.
Désarmer les forces de l’ordre, c’est désarmer la République. Pour l’expert en sécurité, la machine publique n’est peut-être pas parfaite, mais elle fonctionne correctement, malgré un climat délétère. Dijon, Stuttgart… Nous vivons en effet dans une société d’injustice. Mais pas celle que veulent nous vendre des activistes venus des nébuleuses idéologiques de l’ultragauche, du décolonialisme ou même parfois simplement de petits délinquants profitant de l’effet d’aubaine dans le but de s’exonérer de leurs responsabilités et de prétendre au statut d’éternelle victime. L’injustice, c’est de vivre dans une arène médiatique permanente où des activistes et des idéologues, voire des parlementaires « Insoumis », soutenus par des bobos inconséquents et des amateurs de postures avantageuses, ambitionnent de prendre la place de la chaîne pénale, du système judiciaire et de l’ensemble de l’édifice politico-administratif. Tout en désarmant au passage les forces de l’ordre !
Marche blanche à Bayonne à la suite de la mort de Philippe Monguillot, conducteur de bus. Il a été victime d’une agression d’une extrême violence
Ceci afin d’im-poser leur propre vision du monde, qu’ils prétendent démocratique et émancipatrice, alors même qu’elle ressemble fort à un état de nature en quête de boucs émissaires (à la mode de Hobbes et René Girard. Dans leur monde idéal règne le lynchage réputationnel : les procédures, ainsi que les preuves, n’ont plus aucune importance. Pas davantage que la présomption d’innocence, la modération ou le sens des nuances. Sous leurs applaudissements, les réseaux sociaux accèdent au rang d’unités d’enquête, de police judiciaire… Dans notre pays, un État de droit (il faut tout de même le rappeler), il existe des magistrats, des inspections générales (de la police, de la gendarmerie, de l’administration, etc.), des mécanismes de recours, et une pluralité d’intervenants dans le débat public qui garantissent un minimum de droits pour tous. Prétendre le contraire est inepte.
Certes, c’est incontestable, des erreurs sont toujours possibles, des absurdités bureaucratiques irritent souvent et légitimement les citoyens, des privilèges choquent parfois – à raison – ceux dont la vie quotidienne ne s’articule pas sur des réseaux d’amis et de connivence. Tout cela est vrai. Pour autant, on ne peut pas à chaque instant dire n’importe quoi en prétendant que la démocratie représente une imposture. Nous n’habitons pas en Chine ou en Corée du Nord.
La police et la gendarmerie font leur travail. Elles appliquent la loi ; quand des usages illégitimes de la force, des fautes individuelles, des manquements à l’éthique ou à la déontologie sont commis, le « système » les sanctionne. La machine publique n’est pas parfaite, sans doute, mais elle fonctionne cependant correctement. On voit bien en revanche ce qui dysfonctionne : le climat mental de notre pays, sa température civique, sa culture républicaine corrodée par le communautarisme, les offensives médiatiques de l’ultragauche et un politiquement correct angoissant qui bâillonne toute forme de liberté de ton et de pensée, à l’ancienne, façon « ordre moral ». Le désarmement policier devient une musique d’ascenseur. Toutefois, il n’est pas uniquement question d’atmosphère idéologique. Du côté des différentes catégories de contestataires, une thématique émerge : celle du désarmement des forces de sécurité intérieure (FSI). Elle constitue l’effet final recherché de nombreuses manœuvres stratégiques et tactiques depuis de longues années. Si l’on suit de près la littérature d’ultragauche, des black blocs aux antispécistes en passant par les antifas et les anarchistes autonomes, le désarmement policier devient une musique d’ascenseur : elle ambiance le reste du discours, de la doctrine. C’est d’ailleurs fort rationnel, bien pensé, solidement charpenté. Cette nébuleuse politique dispose de cerveaux subtils, rusés, peut-être « non disponibles » mais fort bien disposés au raisonnement stratégique et à la « guérilla » informationnelle. La dénonciation opportuniste et fallacieuse de « violences policières » dans l’Hexagone, en manipulant par exemple la séquence de l’interpellation justifiée d’une infirmière agressant les FSI, ou l’exploitation du triste décès de George Floyd (l’appareil policier aux Etats Unis ne ressemble pas au nôtre), s’inscrit dans une habile opération de guerre de l’information. La pression médiatique qui découle des mobilisations de rue, fort restreintes mais puissamment relayées sur certains segments des réseaux sociaux et dans les médias, fabrique une caisse de résonance parisianiste, une bulle digitale favorable à l’épanouissement chirurgicalement ciblé (militants, journalistes, univers académique, personnel politique) du storytelling des activistes.
Cette dynamique agit alors comme une onde visant trois objectifs : elle ambitionne d’influencer les techniques de maintien et de rétablissement de l’ordre, l’appréciation éthique portée sur l’accomplissement au quotidien de leurs missions par les policiers et les gendarmes, et enfin les normes (l’encadrement législatif) qui sous-tendent le travail du ministère de l’Intérieur. Il convient donc, précisément, de se montrer imperméable à cette stratégie d’influence.
N’allons pas croire, et il s’avère capital que les politiques le comprennent, que cette mécanique produit des effets majeurs sur l’immense majorité de la population. Les Français ne font pas de procès à leurs FSI. Ce débat agite le microcosme parisien, intello-bobo et médiatique. Les vrais combats, les véritables défis se situent ailleurs. N’en citons qu’un seul dans le champ qui nous occupe ici : reconquérir les « territoires perdus » de la République… Le désarmement de la police est une plateforme créée par l’ultragauche afin d’organiser la fantasmatique « convergence des luttes » : outil doctrinal et opérationnel cherchant à fragiliser la capacité de résistance de l’État de droit, elle ne sert que les projets de radicaux violents, amoureux des convictions qui s’imposent par le poing. L’armement des forces de l’ordre, utilisé avec discernement et sens des responsabilités, c’est le rempart de la République.
Comment la haine de la police soude l’ultra-gauche. Ces militants profitent des manifes-tations contre les violences policières pour se rassembler et imposer le chaos.
Débordement. Tensions à Paris, le 13 juin, place de la République, lors de la manifestation contre les violences policières, lancée par le comité Adama Traoré. Ici, le drapeau rouge et noir, symbole de la mouvance anarcho-syndicaliste. La haine anti-flics s’est longtemps cantonnée au mouvement anarchiste.
«Un flic, une balle, justice sociale » , « Police partout, justice nulle part » , « Police fasciste, médias complices » . En manif aussi, les modes passent, mais le style reste éternel… Samedi 13 juin, place de la République, ont retenti les slogans désormais classiques « Tout le monde déteste la police ! » ou « Suicidez-vous ! » en direction des forces de l’ordre. Si la haine du flic est née en même temps que la police, elle s’est longtemps cantonnée aux militants de la mouvance anarchiste. Aujourd’hui, la détestation fait tache d’huile et s’étend à un ensemble disparate de collectifs aux contours flous et aux intentions parfois contradictoires. Trotskistes, zadistes, animalistes, antispécistes, antiracistes décoloniaux, black blocs ou Gilets jaunes… La lutte contre les violences policières est devenue le dernier totem agrégeant les radicaux de tous bords. L’insupportable supplice de l’Américain George Floyd et le mouvement d’indignation qui s’est ensuivi aux Etats-Unis pèsent évidemment dans la balance, mais le substrat politique hexagonal est depuis bien longtemps travaillé par ces questions.
Les débats autour de l’usage de la force publique ou des discriminations dans la police n’ont jamais suscité d’engouement populaire, « mais le terme fourre-tout de “violences policières” mobilise très nettement » , relève Éric Delbecque, expert en sécurité intérieure et auteur des Ingouvernables. De l’extrême gauche utopiste à l’ultragauche violente (Grasset). Pour l’essayiste, « accepter le terme de “violences policières”, c’est perdre la guerre des mots, car cette expression désigne un système de violences organisées par un régime non démocratique » . Il existe des manquements déontologiques, des fautes, des usages non adaptés de la force publique… « mais en aucun cas des “violences policières” organisées de manière systémique » , avance-t-il
Encerclés. La manifestation, interdite au regard de la crise sanitaire, a été contenue place de la République, les policiers barrant les rues alentour. Après avoir reçu des projectiles, les forces de l’ordre ont lancé des gaz lacrymogènes pour disperser la foule
Sur la plateforme Alliances anti-élites. Dans ces périodes aux colères erratiques, l’ultragauche recrute à nouveau. Les occasions ne manquent pas : avant les actuelles manifestations contre les violences policières, il y a eu Notre-Dame-des-Landes, la loi El Khomri, les Gilets jaunes, la réforme des retraites… « Les militants de l’ultragauche ne se rendent pas compte que les gens qui viennent vers eux ne partagent rien de leur idéologie. Ils ont pour seul point commun le désir de chaos. Or, lorsqu’on instrumentalise la rancœur, c’est le début du chemin vers les rouges-bruns » , alerte Éric Delbecque, qui estime que, si l’ultragauche est persuadée d’organiser la lutte, elle est en réalité dépassée. « Elle est dans cette situation si bien décrite par Jean Cocteau : “Puisque ces mystères me dépassent, feignons d’en être l’organisateur.” » Ces alliances anti-élites obligeront l’ultragauche à révéler son visage profondément antidémocratique, aux antipodes de la gauche sociale, généreuse et émancipatrice, qu’elle prétend servir. « Arrivera aussi le moment où les Gilets jaunes, qui réclament le renforcement de l’État, comprendront qu’ils ne peuvent pas s’entendre avec des militants d’extrême gauche qui rêvent de le désagréger » , prévient l’observateur averti des radicalités politiques.
Cerveaux non disponibles, qui se présente comme « un média d’information anticapitaliste et antiraciste, ouvert à la culture libre et à la contre-culture en général » , on retrouve quantité de publications et d’argumentaires antipolice, notamment une vidéo d’Elsa Dorlin, professeure de philosophie à Paris-8 et autrice de Se défendre. Une philosophie de la violence (La Découverte). Cette spécialiste des questions de race, de genre et de classe considère comme établie l’idée d’un État et d’une police structurellement racistes : « On est dans une guerre où la violence de l’État est niée pour laisser impunies les actions de la police et transformer le mot “violence” en un terme moralement disqualifiant, afin de rendre tous les mouvements de résistance politiquement indéfendables.On préfère qualifier d’ultraviolence les bris de verre d’une banque, d’un fast-food ou d’une sculpture de plâtre, mais on nie la violence totale à l’égard des centaines, des milliers de personnes blessées, mutilées, tuées par la police française. […] Le déni permet à toute une classe de continuer à tirer bénéfice de ces privilèges avec une collaboration active à un pouvoir de mort. » Elle évoque aussi la « colonialité » qui animerait l’imaginaire de la police, dont les techniques de maintien de l’ordre « consistent en des interpellations racistes » .Une source très renseignée souligne que ces sites et ces discours « remarquablement bien construits » entretiennent « un contexte de brouillage général des idéologies et des acteurs » . Une bonne partie des Gilets jaunes sont devenus des Gilets rouges, analyse-t-elle. « On relève aussi d’autres phénomènes intrigants comme la métamorphose spectaculaire de Maxime Nicolle, alias “Fly Rider”, qui s’est mis à tenir un discours presque cohérent et construit sur le sujet des violences policières. Comme on croit assez peu à l’intelligence spontanée, on suppose qu’il a été pris en main par des types de l’ultragauche. »
Convergence des luttes. Des plateformes qui entretiennent le flou sur leur identité politique tout en se consacrant à l’observation de la police, il y en a de plus en plus. Le sociologue et chercheur au CNRS Sebastian Roché a dénombré une trentaine de groupes mobilisés autour du thème des violences policières : « Il y a parmi eux des collectifs qui observent et comptent les violences policières, des groupes engagés politiquement, d’autres qui luttent contre la nature coercitive d’un État libéral ou qui sont organisés autour de la mémoire de leurs proches. Ces groupes ne sont pas coordonnés, ils n’ont pas le même agenda, pas la même composition sociologique ou ethnique. Aujourd’hui, nous assistons à la rencontre de tous ces groupes » , explique-t-il.
Nouvelle obsession de Donald Trump, qui les considère comme une organisation terroriste, les antifascistes ou « antifas » consistent en une nébuleuse de groupes affinitaires d’inspiration anarchiste ou communiste, prônant l’action directe pour combattre l’extrême droite sous toutes ses formes. Ainsi, les antifas n’hésitent pas à s’en prendre directement aux forces de police lors des manifestations.
Si la détestation de la police sert de ciment à une famille politique éclectique, c’est que « la violence policière constitue l’expérience commune de la lutte entre des groupes politiquement éloignés » , explique Pierre-François Mansour, auteur du chapitre « La “question décoloniale” et l’islamisme : universités, quartiers populaires et milieu militant » dans Les Territoires conquis de l’islamisme, de Bernard Rougier (PUF). Pour lui, le mouvement des Gilets jaunes a été récupéré par des cadres formés par la gauche radicale, antifasciste et antiraciste, autant de militants politisés capables d’initier une convergence des luttes autour de l’expérience des violences policières. Comme on a pu le vérifier lors de la dernière manifestation place de la République à Paris, on retrouve d’ailleurs, dans l’orbite du comité La Vérité pour Adama, des militants comme Youcef Brakni ou Taha Bouhafs, qui travaillent de longue date sur la convergence des luttes, notamment à travers de nombreux déplacements de terrain pour susciter des alliances. Aussi, lors des manifestations de cheminots, on a vu Assa Traoré publier une vidéo avec le syndicaliste Sud-Rail Anasse Kazib pour appeler à la manifestation.
Toujours dans cette idée d’amorcer une convergence des luttes, l’acte 36 des Gilets jaunes du 20 juillet 2019 s’est d’ailleurs déroulé à Beaumont-sur-Oise en soutien au « combat Adama » . L’appel à la mobilisation relayé par le site Révolution permanente était à l’époque sans équivoque : « Nous, Gilets jaunes, habitants de quartiers populaires, collectif de soutien aux exilé-e-s, habitants de territoires en lutte, syndicalistes, collectifs écologistes, paysan-ne-s, antinucléaires, collectifs antifascistes, organi-sations nationales, appelons tout le monde à converger à Beaumont-sur-Oise. » Le message pour faire la jonction avec les quartiers était alors simple : « Nous sommes Gilets jaunes depuis quarante ans », expliquait alors Youcef Brakni.
« Milice macronienne ». La convergence des luttes tant espérée pourrait cependant bien se fissurer sur la question identitaire. Pour le Gilet jaune Christophe Chalençon, qui appelle régulièrement les généraux de l’armée à marcher sur Paris, aucune convergence des luttes n’est possible avec le comité Adama : « Soyons sérieux, Mme Traoré a dit que les Gilets jaunes étaient un mouvement de fascistes, je ne peux pas cautionner cela ! » explique-t-il au Point , avant de préciser qu’il ne met pas tous les gardiens de la paix dans le même panier, même si, pour lui, « les gens de la BAC [brigade anticriminalité, NDLR] » constituent une « milice macronienne, le dernier rempart capable d’empêcher la chute du pouvoir politique de Macron » . Sa conclusion devrait cependant mettre d’accord toutes les composantes de l’ultragauche : « Le cancer de notre époque, ce sont les partis politiques. »
Le mouvement autonome et le mouvement antifasciste œuvrent à la jonction des colères entre décoloniaux et ultragauche, sur le principe que tout ce qui va à l’encontre de l’État est utile. Les antifas et les autonomistes sont considérés comme des alliés utiles par les décoloniaux, lesquels suscitent cependant une certaine méfiance chez les premiers, qui fonctionnent selon un mode d’organisation trotskiste avec des cadres conscientisés et militants de longue date : « Pour les décoloniaux, le grand récit, c’est que les policiers sont des assassins. Ils ne veulent pas qu’un incident de manifestation transforme les policiers en victimes et vienne perturber le grand récit de l’oppression. C’est probablement là une limite de leur collaboration » , analyse Pierre-François Mansour, pour qui « les antifas rêvent d’un monde sans police, alors que les décoloniaux préféreraient une police désarmée façon Minneapolis. Ils se disent qu’en instaurant le bon rapport de force ils pourraient y parvenir » . La récente sortie médiatique de Jean-Luc Mélenchon, qui souhaite une police « aussi désarmée que possible pour qu’elle inspire le respect », indique qu’à défaut d’une convergence des luttes la convergence de points de vue avec les décoloniaux est un horizon possible§ *Éric Delbecque est expert en sécurité intérieure, auteur des Ingouvernables (Grasset).
Pour l’avocat Thibault de Montbrial, la multiplication des agressions est préoccupante: ces violences gratuites dénotent un délitement de la société. Loin d’être de simples «incivilités», elles rendent urgente une véritable restauration de l’autorité républicaine. Par Paul Sugy
Le 20 juillet 2020 avaient lieu les funérailles du chauffeur de bus assassiné à Bayonne, Philippe Monguillot. GAIZKA IROZ/AFP
Thibault de Montbrial est avocat au barreau de Paris, président du Centre de Réflexion sur la Sécurité Intérieure (CRSI), et membre du conseil scientifique de l’École de guerre.
Dans son intervention télévisée de mardi soir, le chef de l’État a certes promis une «tolérance zéro» face aux violences mais a qualifié celles-ci d’ «incivilités» . Le terme est-il approprié?
Thibault DE MONTBRIAL. – L’utilisation de ce terme laisse pantois, et anéantit hélas la fermeté recherchée du message présidentiel. Il faut nommer les choses telles qu’elles sont. On ne parle pas d’un mur tagué, mais de personnes qui ont été tuées dans des conditions atroces, et plus globalement d’un contexte généralisé de violences graves.
L’assassinat d’un chauffeur de bus à Bayonne, roué de coups pendant son service, et la mort d’une jeune femme écrasée par un chauffard à Lyon, ont suscité une vive émotion. Sont-ce de simples faits divers ?