Le Conseil constitutionnel, saisi par des parlementaires de gauche comme de droite, rend vendredi 13 août une décision attendue sur le projet de loi controversé de lutte contre le séparatisme, adopté en juillet après sept mois d’âpres débats entre majorité et oppositions.
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Porté par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, le texte, officiellement appelé «Respect des principes de la République», a été présenté comme un remède contre «l’OPA islamiste» . Trois jours après son adoption définitive, le 23 juillet à l’Assemblée nationale, plus de 60 députés de gauche et autant de droite ainsi que les sénateurs LR ont saisi les Sages du Palais-Royal pour censurer plusieurs de ses dispositions qu’ils jugent liberticides.
Le projet de loi a mis en musique le discours d’Emmanuel Macron le 2 octobre aux Mureaux, où il avait présenté sa stratégie, longtemps attendue, de lutte contre l’islam radical. Il contient une batterie de mesures parfois techniques sur la neutralité du service public, la lutte contre la haine en ligne, la protection des fonctionnaires et des enseignants, l’encadrement de l’instruction en famille, le contrôle renforcé des associations, la transparence des cultes et de leur financement, ou la lutte contre les certificats de virginité, la polygamie et les mariages forcés.
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Risque d’«arbitraire»
Si la majorité a su globalement préserver son unité sur ce sujet hautement inflammable, droite et gauche ont combattu le texte pour des raisons différentes.
Le Parti socialiste, qui a voté contre avec La France insoumise et les communistes, l’a notamment qualifié de «rendez-vous manqué avec la République» . Une loi à «vocation anti-musulmane» , a tancé le chef des Insoumis Jean-Luc Mélenchon. Côté Républicains, les députés ont fustigé un texte «tiède» et «mou» , tandis que les sénateurs, majoritaires au Palais du Luxembourg, ont tenté en vain de le durcir avec des mesures contre le port du voile ou renforçant la «neutralité» à l’université.
Néanmoins, les partis d’opposition se sont rejoints sur les risques que le projet de loi fait à leurs yeux peser sur la liberté d’association, érigée il y a cinquante ans par les Sages comme un principe à valeur constitutionnelle. L’article 6, qui prévoit que toute association sollicitant une subvention doit au préalable s’engager à souscrire à «un contrat d’engagement républicain» concentre beaucoup de critiques.
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Les éléments de ce contrat – respect des principes de liberté, égalité, fraternité et de dignité de la personne humaine, ne pas remettre en cause le caractère laïque de la République, ne pas troubler l’ordre public – «sont particulièrement flous et pourront en conséquence fonder des interprétations excessives» sinon «arbitraires» , souligne la saisine des députés de gauche.
«Il existe déjà un régime de sanction contre les associations poursuivant un objet ou exerçant une activité illicite» , soulignent de leur côté la Ligue des droits de l’Homme (LDH), le Syndicat de la magistrature, le Syndicat des avocats de France et plusieurs universitaires dans une«contribution extérieure» envoyée aux Sages.
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Article «Samuel Paty»
Autre disposition attaquée, l’article dit «Samuel Paty», cible d’une campagne haineuse sur les réseaux sociaux avant son assassinat. Elle prévoit que la mise en danger de la vie d’autrui par diffusion d’informations relatives à la vie privée «aux fins de l’exposer, elle ou les membres de sa famille, à un risque direct d’atteinte à la personne ou aux biens que l’auteur ne pouvait ignorer» sera punie de trois ans d’emprisonnement et 45.000 euros d’amende.
La gauche y voit un moyen pour le gouvernement de recycler la mesure de la loi Sécurité globale, censurée en mai par le Conseil constitutionnel, visant à interdire la «provocation à l’identification» des forces de l’ordre. «Rien ne permet de garantir qu’une telle disposition ne servirait pas de prétexte pour placer en garde à vue toute personne filmant une intervention policière» , souligne la saisine.
À droite, c’est surtout le durcissement du droit à l’instruction en famille que l’on souhaite voir censurer. Après avoir brandi la menace d’une interdiction pure et simple, le gouvernement a finalement amendé sa copie face au risque d’inconstitutionnalité pointé par le Conseil d’État et assoupli les motifs autorisant l’école à la maison.
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