Le saviez-vous ? Pendant les fêtes de l’Aïd-el-Kébir, le gouvernement français a « envoyé la police partout, par les routes, afin de surveiller les communautés musulmanes de France ». L’objectif : « voir s’ils sacrifiaient des moutons, s’ils célébraient l’Aïd, ou voir comment ils s’organisaient. »Vous l’ignoriez ? Rassurez-vous, Marwan Muhammad est très certainement la seule personne à avoir assisté à ces scènes, dans le confort de son imagination fertile. Cela n’a pas empêché l’ancien directeur du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) de rapporter ces délires en direct à la télévision publique turque, le samedi 24 juillet, à grand renfort d’emphases dramatiques. Dans sa ligne de mire : la nouvelle loi contre le séparatisme, accusée d’être un instrument anti-musulmans.
On notera l’habileté narrative déployée par Marwan Muhammad lorsque, loin de la scène française, rien ne l’empêche plus de laisser libre cours à sa verve. « Aujourd’hui en France, le simple fait de pratiquer sa religion est une source de stigmatisation, c’est criminalisé », affirme-t-il sans la moindre gêne. Vraiment ? Mais à quoi fait-il référence lorsqu’il parle de criminalisation de la pratique religieuse ? « Le ministre de l’Intérieur a fait renvoyer des imams juste parce qu’il était en désaccord avec leurs opinions », affirme-t-il.
LE DROIT D’ÊTRE MISOGYNE
C’est vrai, Gérald Darmanin a bien demandé le renvoi de deux imams, celui de la mosquée de Saint-Chamond et celui de la mosquée Ennour de Gennevilliers. La raison ? Une vision très particulière du principe d’égalité quand cela concerne les femmes, notamment. Voici ce que disait le premier : « Vous, femmes musulmanes, tâchez d’obéir au doigt de vos maris, restez dans vos foyers et ne vous exhibez pas de la manière des femmes avant l’islam. » Quant au second, il expliquait simplement que certaines femmes étaient possédées : « Celles qui partagent sur les réseaux sociaux des leçons de maquillage ou des tenues qui mettent en valeur les formes de leur corps, sont habités par Sheitan [le diable, en arabe]. » Ce que Marwan Muhammad considère comme une atteinte à la liberté des musulmans, c’est donc la lutte contre ce sexisme teinté d’obscurantisme mystique.
Faut-il en être surpris ? Après tout, Marwan Muhammad a été, en France, l’allié présentable d’un certain nombre de penseurs et d’imams fréristes ou salafistes. En août 2013, à la mosquée du Bourget, il s’affiche par exemple aux côtés de Nader Abou Anas. Cet imam salafiste a pourtant assuré, quelques années auparavant : « La femme ne sort de chez elle qu’avec la permission de son mari (…), qu’elle sache que les anges la maudissent toute la nuit dans le cas où elle se refuse à son mari sans raison valable. » Dans ses prêches, il invite les femmes à « rester discrètes » et à porter le hijab, les hommes étant « trop faibles » pour leur résister. Est-ce cela la liberté religieuse réclamée par Marwan Muhammad ? Éduquer les femmes à cacher leur corps, à rester à la maison pour ne pas tenter les hommes et à subir des rapports sexuels forcés.
LA LIBERTÉ DE RÉUNIR DES FONDAMENTALISTES
Ce passionnant conteur déplore, par ailleurs, que le gouvernement s’en prenne à la liberté d’association des musulmans. On peut comprendre qu’il ne se soit toujours pas remis de la dissolution du CCIF, ex-vaisseau amiral des pourfendeurs de « l’islamophobie » une théorie visant à assimiler les critiques de l’islam radical à de la haine des musulmans en France. Mais à qui manquera vraiment cette association ? Peut-être au parent d’élève qui a dénoncé au CCIF le professeur Samuel Paty après qu’il a montré des caricatures de Charlie Hebdo à sa classe.
“L’islamophobie comme concept est sans fondement scientifique”
Marwan Muhammad regrette peut-être aussi la disparition de Baraka City, une ONG islamique créée en 2010 dans le Val-d’Oise à laquelle il a apporté son soutien. Son inspiration fondamentaliste est pourtant beaucoup plus difficile à dissimuler. Son responsable, Idriss Sihamedi, est connu pour pratiquer un islam particulièrement rigoriste et pour ses déclarations provocatrices. Lorsqu’Emmanuel Macron offre l’asile politique à Asia Bibi, la jeune chrétienne pakistanaise menacée de mort pour blasphème, il se fend d’un tweet estimant que la France « déteste vraiment l’islam ». Invité de l’émission de télévision « Le Supplément » diffusée sur Canal + le dimanche 24 janvier 2016, il refuse de serrer la main de la ministre de l’Éducation d’alors Najat Vallaud-Belkacem. Il faut le comprendre : c’est une femme.
Dans la même émission, il se refuse aussi à condamner les attentats commis en France par le groupe terroriste État islamique. On accordera donc bien à Marwan Muhammad, dans ce cas précis, que le gouvernement a attenté à la liberté d’association de… salafistes ambigus quant à la question du terrorisme en France. Notons au passage que, depuis, Idriss Sihamedi a demandé l’asile politique à – tiens, tiens – la Turquie.
LE MONDE À L’ENVERS
Comme tout bon comédien, Marwan Muhammad nous réserve un final spectaculaire. Oubliant probablement qu’il s’exprime sur la télévision publique turque, il demande même à ce que soit conduite en France une enquête internationale sur la situation des communautés musulmanes. Pour ce faire, il va en appeler à toutes les grandes causes contemporaines et mettre en garde les militants. « Quand on introduit dans la loi des outils qui permettent de stigmatiser une personne pour ses opinions, les mêmes instruments juridiques peuvent être utilisés pour tout objectif politique. Quand vous manifestez contre les violences policières, pour le climat, pour les libertés fondamentales, vous pouvez être criminalisés avec les mêmes instruments que les musulmans. » Vous suivez ?
La fraude intellectuelle est donc totale : pour dénoncer l’État raciste que serait devenue la France, Marwan Muhammad en appelle, en Turquie, au soutien de tous les défenseurs des « libertés fondamentales ». Faut-il lui rappeler que le régime d’Ankara procède à des purges régulières qui ont conduit au renvoi ou à l’emprisonnement de milliers de Turcs suspectés d’être hostiles au régime ? Ou que le sort des Kurdes n’y a rien d’enviable ? Que, depuis le coup d’État manqué de 2016, le reïs Recep Tayyip Erdogan a considérablement renforcé ses pouvoirs, suscitant l’inquiétude des Turcs démocrates et des organisations internationales ? Une seule explication : la liberté dont se préoccupe véritablement Marwan Muhammad n’est pas celle de tous, dans la limite de celle des autres, mais bien celle de pratiquer un islam rigoriste en dépit des lois de la République.
Marwan Muhammad : l’islamisme politique sous le masque du “musulman lambda”