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Le président de la FCSF, Tarik Touahria s’explique.
Après la rencontre mouvementée entre la secrétaire d’État en charge de la Jeunesse et de l’Engagement, Sarah El Haïry, et les jeunes des centres sociaux, Tarik Touahria, président de la FCSF s’explique. Interview par Laurent Grzybowski
Fin octobre, 130 jeunes se sont réunis à Poitiers, sur proposition des centres sociaux, pour parler religion dans la société. Un temps de rencontre était prévu avec la secrétaire d’État en charge de la Jeunesse et de l’Engagement, Sarah El Haïry.
Sarah El Hairy, secrétaire d’État à la Jeunesse et à l’Éducation, lors d’un débat organisé avec les jeunes des centres sociaux le 22 octobre. • MARTA NASCIMENTO. . Mais l’entrevue, dont La Vie s’est fait l’écho, a mal tourné, déclenchant la polémique et l’ouverture d’une enquête administrative des centres sociaux à l’initiative du ministère. Alors que la secrétaire d’État n’a pas voulu répondre à nos questions, le président de la Fédération des centres sociaux de France (FCSF), Tarik Touahria, réagit.
Que s’est-il passé lors de cette rencontre ?
Les jeunes n’étaient pas là pour défendre de grandes et belles idées, mais pour parler de la réalité de leur vie. Puis, à partir des constats dressés, ils ont essayé collectivement d’imaginer des propositions. Donc, d’un côté, nous avions des jeunes qui partaient du réel et, de l’autre, une secrétaire d’État qui était sur des principes généraux, sur les valeurs de la République, la laïcité, la loi de 1905. Il n’y a eu aucune écoute réelle, mais un rejet manifeste : « Vous êtes dans la plainte, il faut revenir aux fondamentaux de la laïcité, aux valeurs de la République », leur a déclaré la ministre avant d’entonner par surprise la Marseillaise, sans que personne ne comprenne ni comment ni pourquoi.
Comment les jeunes ont-ils réagi ?
Ils ont été profondément choqués par l’attitude de la ministre. Ils étaient là pour ouvrir un dialogue. Au lieu de ça, ils ont eu l’impression d’être méprisés parce que leur parole n’était pas prise en compte. On peut aisément se mettre à la place de ces adolescents qui se sont livrés, engagés, en partant de leur expérience, y compris des expériences très personnelles, en les décrivant publiquement et en construisant à partir de là des propositions collectives. Au lieu de les écouter, la secrétaire d’État a balayé leurs réflexions d’un revers de la main, en clôturant les échanges par une sorte de garde-à-vous, avant de lancer une inspection contre nous. Nos jeunes n’ont pas compris cette attitude rigide. Pourquoi une telle crispation ?
Sur les réseaux sociaux, les soutiens de la ministre affirment que les adultes auraient manipulé les adolescents. Que répondez-vous ?
C’est faux. Dès le départ, quand le sujet a été pensé par les jeunes, beaucoup d’entre eux ont spontanément évoqué les discriminations dont ils s’estiment victimes et ont souhaité qu’on en parle. Dans leur quotidien, qu’ils soient croyants ou athées, ils ont l’impression qu’il est difficile de pouvoir vivre sereinement sa religion. Bien sûr, d’autres sujets ont été débattus, mais ce prisme-là était présent dès le premier jour. Nous avons essayé de les aider à porter leur regard plus loin, en dénonçant d’autres discriminations liées à leur genre, à leur orientation sexuelle ou à leur origine.
Manifestement, certains n’ont pas compris notre méthode de travail, mettant en cause les animateurs de la Boîte sans projet, une association d’éducation populaire avec qui nous travaillons en toute confiance. Le but de cette association n’était pas de donner d’abord un cadre, même s’il y en avait forcément un, mais d’écouter les jeunes pour les aider ensuite à faire émerger une parole collective. Nous avons également fait appel à la compagnie de théâtre le Raid (Réseau d’artistes indépendants et déterminés) qui a joué, le deuxième jour, une pièce intitulée Prophètes sans dieu, de Slimane Benaïssa : un dialogue entre les trois religions monothéistes qui donne des clés pour vivre ensemble.
Dans l’entretien qu’elle a accordé au Point, la secrétaire d’État regrette que la loi de 2004, interdisant le port du voile à l’école, ait été qualifiée lors de votre rencontre de « loi islamophobe ». Que lui répondez-vous ?
La loi de 2004 a bien été évoquée et expliquée car beaucoup de jeunes ne la comprennent pas. Ils se disent : « Pourquoi puis-je porter mon voile au centre social ou dans une école privée et pas dans un établissement public ? » Mais je n’ai entendu aucun jeune ni aucun animateur parler de « loi islamophobe ». Je précise d’ailleurs que les propositions des jeunes formulées ce jour-là, notamment celles d’autoriser le port du voile dans les lycées, n’émanaient pas de la Fédération des centres sociaux et socioculturels de France (FCSF). Ces propositions ne se voulaient pas non plus définitives. Elles devaient permettre d’engager un dialogue. Cela aurait pu être l’occasion pour la ministre d’expliquer, de faire œuvre de pédagogie. Ce qui n’a pas été fait.
Quelle place a occupé le sujet de la laïcité dans vos échanges ?
Ce sujet nous tient à cœur. Même si ce n’était pas directement le thème de notre rencontre, il a été abordé plusieurs fois dans les travaux préparatoires. Les animateurs encadrant les groupes disposaient d’un certain nombre de documents utiles, notamment sous la forme d’une vidéo expliquant l’histoire et l’application de la loi de 1905, présentée en amont de la rencontre. Dans leur diversité, les participants ont été très réceptifs. Nous avions parmi eux des jeunes de différentes convictions : certains se disaient athées ou sans religion, d’autres se réclamaient de l’islam – peut-être un tiers des inscrits – ou du christianisme. Cela n’a posé aucun problème.
Il y avait à chaque fois un animateur ou une animatrice pour remettre du cadre si nécessaire. Un glossaire très détaillé leur avait été distribué, avec des commentaires, la veille de la rencontre avec la secrétaire d’État. Il faut dire qu’en la matière nous avons une certaine expérience : la FSCF a été l’un des principaux artisans de la charte de la laïcité de la branche famille de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), élaborée et signée en 2015.
Après cette rencontre, la secrétaire d’État à la Jeunesse et à l’Engagement a lancé une inspection contre votre association. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Cette décision nous paraît totalement injustifiée. Même si nous n’avons rien à cacher, nous la regrettons. De fait, le ministère peut diligenter une inspection sur une association agréée, sans qu’il n’y ait aucune contestation possible de notre part.
Cette inspection a déjà commencé. Combien de temps devrait-elle durer ?
Sans doute plusieurs semaines. Les inspecteurs nous ont déjà demandé la liste des adultes présents et de nommer des jeunes, y compris mineurs, qui se sont exprimés ce jour-là, afin de pouvoir les interroger. Cela nous a beaucoup surpris, mais nous n’avons pas pu nous y opposer. Nous avons quand même obtenu le fait que les mineurs puissent être accompagnés d’un adulte pour qu’ils ne se retrouvent pas seuls face à trois inspecteurs. Ces derniers rencontreront aussi les animateurs et les salariés des centres sociaux.
Cela nous choque terriblement. Nous avons l’impression d’être punis parce que des jeunes ont exprimé des propositions qui déplaisent, ou parce qu’ils n’ont pas assez bien chanté la Marseillaise, ou je ne sais pour quelle autre raison. Nous trouvons cela très inquiétant. Nous partageons les valeurs républicaines revendiquées par la secrétaire d’État, mais cette inspection nous semble aller à l’encontre de ces valeurs. Que devient la liberté d’expression lorsqu’un mouvement d’éducation populaire comme le nôtre, qui a 100 ans d’existence, fait l’objet d’un contrôle simplement parce que des jeunes ont tenu des propos qui ont déplu ? L’attitude de cette secrétaire d’État est assez révélatrice, nous semble-t-il, du climat actuel de suspicion généralisée.
Quelles vont être les répercussions de cette affaire pour les centres sociaux ?
Outre le fait que nous risquons de perdre des subventions, ce manque d’écoute va beaucoup compliquer notre travail auprès des jeunes pour donner du sens aux valeurs de la République. Pour nous, le plus important c’est de continuer notre façon de faire, d’œuvrer pour une véritable éducation populaire. Je dis bien « éducation » et non « formatage ». Et nous allons essayer, comme nous le faisons toujours, de nous appuyer sur la parole des jeunes et de la porter collectivement. C’est ainsi que nous entendons travailler pour une citoyenneté agissante.
Participation de Sarah El Hairy, secretaire d’Etat a la Jeunesse et a l’Education, jour de clôture. 130 jeunes venus de toute la France, débat sur le theme Religion.