En France, 600.000 à 650.000 jeunes de moins de 25 ans ont perdu au moins l’un de leurs deux parents, selon l’Unaf (revue Recherches Familiales, février 2020). Un deuil qui touche en moyenne un élève par classe au collège, deux au lycée. Les orphelins sont pourtant peu visibles dans notre société, car mal recensés par les études démographiques. «Jusqu’à la seconde guerre mondiale, beaucoup de pères jeunes mouraient au front: la société se préoccupait des orphelins qui pouvaient prétendre au statut de «pupille de la nation». Aujourd’hui, ils sont englobés dans la même catégorie que les enfants de familles monoparentales… », s’étonne la psychologue Magali Molinié, qui a dirigé un ouvrage collectif sur la question (Invisibles orphelins, Autrement, 2011). Ces dernières années, pourtant, de plus en plus de documentaires et de livres donnent la parole à ces adultes qui ont dû apprendre à se construire sans le soutien parental. Comment grandit-on sans son père ou sa mère? Peut-on faire une force de cette tragédie originelle?
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Dans leur documentaire « Orphelins » (Éléphant Production), qui doit être diffusé le 22 septembre sur France 2, Blandine Grosjean et Delphine Dhilly explorent ce « manque salutaire » dont parlent leurs témoins, cette incroyable liberté qui consiste à « tracer son chemin sans protection, mais aussi sans injonction », en ne rendant de comptes qu’à soi-même… « Rien ne m’impressionne. Je sais que tout peut s’arrêter du jour au lendemain, c’est ma force » raconte ainsi Geoffrey. « C’est une perte et en même temps une porte qui s’ouvre, qui pousse vers quelque chose d’autre », affirme Jean-Pierre.
« J’ai quelque chose en moins, il y a une personne qui me manque, mais j’ai autre chose en plus: j’ai une connaissance de la valeur de la vie, des priorités, des choses essentielles ou pas. »
Sarah Biasini, fille de Romy Schneider (disparue lorsqu’elle avait 4 ans), dans «Grandir avec l’absence » (Elisabeth Bost et Karine Dusfour, Robert Laffont, 2021).
Bien sûr, la disparition d’un parent constitue d’abord un manque, une meurtrissure. « Perdre un parent dans l’enfance peut aussi produire beaucoup d’empêchements, affecter le parcours scolaire, professionnel ou conjugal», rappelle Magali Molinié. Mais elle génère aussi chez certains une maturité précoce, un surplus de volonté, un « devoir » de vivre plus vite et plus fort que les autres. « J’ai quelque chose en moins, il y a une personne qui me manque, mais j’ai autre chose en plus: j’ai une connaissance de la valeur de la vie, des priorités, des choses essentielles ou pas », résume ainsi Sarah Biasini, la fille de Romy Schneider (disparue lorsqu’elle n’avait que 4 ans), qui témoigne avec douze autres personnalités dans Grandir avec l’absence (Elisabeth Bost et Karine Dusfour, Robert Laffont, 2021).
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Exposés très tôt à la mort, mus par une sorte d’urgence à se réaliser, les orphelins savent souvent très jeunes ce qu’ils veulent faire de leur vie. « Nicolas Hulot nous a raconté comment la mort prématurée de son père l’avait amené à se prendre en main et à être autonome financièrement dès 18 ans, raconte Karine Dusfour, elle-même orpheline de père à 12 ans. Pour certains, la réussite professionnelle apparaît aussi comme une sorte de revanche: Élie Semoun explique ainsi avoir cherché l’amour du public pour combler un manque dû au décès de sa mère, lorsqu’il avait 11 ans. » Dans la littérature enfantine (Oliver Twist, Harry Potter, Les désastreuses aventures des orphelins Baudelaire…), beaucoup de héros sont d’ailleurs des orphelins. Sans parler des super-héros (Batman, Superman, Hulk…) dont la plupart ont perdu leurs parents, comme s’il fallait attendre que ceux-ci disparaissent pour que l’aventure puisse enfin commencer…
« Le conjoint endeuillé peut avoir du mal à évoquer le sujet. De son côté, l’enfant essaye parfois de le protéger en gardant pour lui ce qu’il ressent… La famille élargie ou les proches amis peuvent avoir un rôle très important à jouer. »
Magali Molinié, psychologue, coordinatrice de l’ouvrage collectif «Invisibles orphelins» (Autrement, 2011).
Selon les étapes de la vie, l’absence du parent résonne plus ou moins douloureusement. Beaucoup ressentent un vide lorsqu’ils atteignent l’âge qu’avait leur parent au moment de sa disparition. Pour d’autres, ce sera plutôt le jour de leur mariage ou celui de la naissance de leurs enfants… Pour conjurer l’absence, le soutien de figures tutélaires est souvent essentiel. « Le conjoint endeuillé peut avoir du mal à évoquer le sujet. De son côté, l’enfant essaye parfois de le protéger en gardant pour lui ce qu’il ressent… La famille élargie ou les proches amis peuvent avoir un rôle très important à jouer », assure Magali Molinié. Pour Karine Dusfour, il faudrait également accompagner l’enfant lors de son retour à l’école grâce à un protocole impliquant les professeurs, la direction ou encore le médecin scolaire.
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Organisés par des associations (Empreintes, OCIRP…), de plus en plus de groupes de parole permettent heureusement aux orphelins de partager cette douleur particulière, dont ils n’aiment pas parler à l’école ou au collège, de peur de passer pour des « bêtes curieuses ». « C’est important pour un enfant de sentir qu’il n’est pas le seul à vivre cela, assure Karine Dusfour. On a besoin aussi de parler de son parent décédé. La plupart d’entre nous continueront à penser à lui tous les jours de leur vie mais cette sorte de «présence absence» n’est pas forcément morbide. C’est une forme d’énergie qui nous porte. »