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Alors qu’il était enfin affaibli, de nombreux signes montrent que le califat est de retour.
Dans sa dernière communication, les islamistes se réjouissent de voir leurs ennemis affectés par le coronavirus.
Un peu plus d’un an après la chute des derniers bastions du « califat » et six mois après la mort de son calife Abou Bakr al-Baghdadi, l’État islamique (EI) montre de plus en plus de signes de vie.
Le 28 mai dernier, dans un enregistrement de 39 minutes diffusé sur ses chaînes Telegram, l’EI a menacé le Qatar en raison de sa participation à la lutte contre les djihadistes. « Pas un jour nous n’avons oublié que la base Al-Oudeid, construite par les tyrans du Qatar pour accueillir l’armée américaine, était et reste toujours le commandement de la campagne menée par les Croisés »,déclare Abou Hamza El Qourachi, le porte-parole de l’EI, accusant également Doha « d’avoir financé des factions en Syrie et en Irak engagées contre les djihadistes ».
Des combattants de l’Etat islamique et leurs familles, capturés par les forces syriennes démocratiques près de Baghouz.
Ce message vocal évoque aussi le coronavirus, un châtiment divin contre « les tyrans du monde »ennemis du califat. Enfin, il fait allusion aux « sommes importantes [dépensées] dans des tentatives désespérées pour sauver [les] économies laminées par la fièvre de l’épidémie »et conclut que nombre de ses ennemis « se retrouvent au bord de la faillite ». Les « Daechologues » ont vite fait remarquer qu’au-delà de son contenu, les silences du message sont également intéressants. En effet, très virulent contre le Qatar à cause de la présence d’une base militaire américaine, le porte-parole de l’EI ne dit mot sur les Émirats Arabes Unis (EAU) dont la base aérienne Al Dhafra abrite des unités américaines (et françaises). L’Arabie saoudite est épargnée et la Turquie s’en sort aussi à peu de frais. Difficile aussi de ne pas relever la date de la diffusion du message de l’EI, pendant le troisième anniversaire du déclenchement de la crise du Golfe qui s’est noué fin mai début juin 2017, aboutissant à une rupture de relations diplomatiques entre le Qatar d’un côté, l’Arabie Saoudite, les EAU, Bahreïn et Égypte de l’autre. Étrange coïncidence difficile à interpréter. Cependant, ce message de propagande doit être compris dans un contexte plus large : l’EI est en train de revenir sur le devant de la scène. Et pas que par voie de presse.
Au cours des deux derniers mois, quand la moitié de la planète était à l’arrêt, l’EI semble avoir retrouvé un nouveau souffle, menant notamment une série d’attaques de grande envergure en Syrie et en l’Irak. Des attentats revendiqués par l’EI ont également été commis en Égypte, en Afrique, en Afghanistan, au Yémen et aux Maldives. Au Mozambique, le gouvernement soupçonne que des membres de l’organisation djihadiste auraient perpétré un massacre fin avril. Pire encore, la recrudescence d’activité terroristes s’accompagne de témoignages suggérant que le groupe a une plus grande visibilité ces derniers mois dans les villages et les périphéries des villes d’Irak et de Syrie.
Le modus operandi de certains attentats laisse croire que les groupes djihadistes sur le terrain ont accès à des renseignements sur les mouvements de troupes et les cibles qu’ils cherchent à attaquer. Cela signifie que certains groupes de l’EI ont survécu à la déroute du printemps 2019 et ne sont plus en fuite. Ils se réorganisent et retissent des réseaux d’informateurs et de soutien logistique ainsi que d’autres éléments permettant de se doter de l’infrastructure nécessaire pour passer à l’action terroriste.
L’une des raisons principales du retour en force de l’EI est la diminution de la pression militaire qu’exerçait la coalition dirigée par les États-Unis. Cette pression n’avait cessé de croître depuis la reprise de Mossoul en 2017 et de Raqqa en 2018. Des opérations systématiques visaient à nettoyer des territoires entiers (villages abandonnés, zones montagneuses et désertiques) pour assurer que les djihadistes chassés des grands centres urbains ne trouvent pas le répit nécessaire à leur réorganisation.
Cette pression constante a été notamment affaiblie par les atermoiements des États-Unis qui ont amené leurs alliés locaux – notamment les forces kurdes – à se tourner vers Moscou et Damas. Quand ils ont compris ne plus pouvoir compter sur Washington, les Kurdes ont dû trouver des alliés de circonstance pour empêcher la Turquie de s’imposer dans des zones qu’ils considèrent comme vitales pour leur survie en tant que peuple autonome. Le fait que les États-Unis soient revenus sur leur retrait annoncé n’a pas suffi à rétablir la confiance. En a résulté une forte diminution des capacités opérationnelles de la coalition occidentale dans cette région couvrant à peu près un tiers de la Syrie, territoire précédemment contrôlé par l’EI.
En Irak, le contexte est également moins favorable à la lutte contre l’EI. Les protestations dans le centre et le sud du pays ont contraint le gouvernement à la démission, conduisant à une stagnation politique qui a duré jusqu’à début mai lorsque les partis politiques se sont mis d’accord sur un nouveau Premier ministre, Mustafa al-Kadhimi. Parallèlement, les échanges de tirs entre Washington et les mandataires de Téhéran, aboutissant à l’assassinat du général iranien Qassem Suleimani et du chef de la milice chiite Abu Mahdi al-Muhandis, ont diminué la portée et l’efficacité de la pression exercées sur l’EI.
C’est dans ce contexte que la récente série d’opérations djihadistes s’est déclenchée. La première attaque a eu lieu le 9 avril près de Palmyre contre les forces syriennes. Il s’agissait d’une embuscade tendue aux forces du régime syrien suivi d’un combat qui a duré quelques heures. Plus tard en avril, l’EI a mené trois attaques dont une contre le QG de la direction du contre-terrorisme et du renseignement à Kirkouk. Ces opérations, plus complexes que des massacres aléatoires, témoignent des capacités opérationnelles importantes. Et les menaces contre le Qatar pourraient indiquer que pour accompagner son regain d’opérations violentes, l’EI a adopté une stratégie de communication offensive. L’objectif est de remettre Daech à l’ordre du jour des médias et des décideurs dans la région. Mais pas uniquement.
Ce retour assez rapide de l’EI suggère que l’organisation a pu s’enraciner profondément dans ces territoires à cheval entre la Syrie et l’Irak. Comme une plante désertique brulée par le soleil et asséchée par les vents, l’EI semble avoir la capacité de ressusciter et refleurir dès qu’une pluie passagère rend l’environnement moins hostile.
Il semblerait donc que l’EI ne soit pas mort sous les coups de la coalition, qu’il s’installe dans la clandestinité dont il a été accoutumé dans sa période pré-califat et qu’il ait retrouvé un élan opérationnel et très probablement une nouvelle stratégie et une forme de direction. Il aura suffi de quelques mois de relâchement de la pression exercée par ses ennemis pour retrouver une capacité de nuisance certaine. Et puisque rien n’indique que les conditions d’un effort coordonné et soutenu de lutte contre l’EI soient réunies, il faut craindre qu’un élément de plus du monde d’avant parasite le monde d’après : l’EI va rester avec nous encore un certain temps.