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Favoriser la démarche des musulmans de bonne volonté
Si les musulmans de bonne volonté veulent que leur religion soit autre chose que ce totalitarisme, et elle peut l’être, s’ils veulent qu’elle cesse d’en porter les germes, c’est à eux de s’en charger. Plusieurs, d’ailleurs, se sont depuis longtemps attelés à cette tâche immense mais porteuses des plus grands espoirs.
Ceci, néanmoins, ne peut venir que des musulmans eux-mêmes et ne saurait leur être imposé.
En revanche, il incombe au reste de la société de favoriser cette démarche, d’encourager le développement d’un « islam des Lumières » et, naturellement, de lutter contre la propagation de « l’islam de l’obscurantisme ». Dans ce but, voici quelques éléments de réflexion.
Combattre l’islam violent, djihadiste, reste une priorité absolue. Cela passe par l’étudier et le comprendre, dans ses incarnations récentes, du GIA devenu AQMI à l’EI en passant par les talibans ou les milices extrémistes de Bosnie, mais aussi dans son histoire et dans son idéologie, dont il est inséparable.
Il faut aussi admettre qu’il est impossible de négocier une paix durable avec le djihadisme. D’une part, même lorsqu’il est teinté de nationalisme et ne veut initialement s’établir qu’à l’intérieur de frontières données, sa doctrine est par essence universaliste. D’autre part, là où il s’implante, seule une domination sans partage de tous les aspects de la société peut le satisfaire. Tout « accommodement raisonnable » sera au mieux une trêve temporaire, que les djihadistes mettront à profit pour accroître leur influence, au pire perçu comme un signe de faiblesse qui les poussera à intensifier immédiatement la lutte. Contrairement à ce que nous avons connus avec des groupes comme l’ETA ou les nationalistes corses, aucun compromis pacifique n’est possible sur le long terme.
Il faut confronter l’islam à d’autres modèles que le sien. Sans agressivité, mais sans complaisance. Cette démarche est d’autant plus nécessaire que le problème est dans ses textes, et qu’un retour aux sources ne saurait donc être la solution. C’était l’analyse de feu Abdelwahab Medeb, qui avec des objectifs radicalement différents rejoint en partie celle de Mohammed ben Abdelwahhab. « L’islamisme est la maladie de l’islam, mais les germes sont dans le texte », dit le philosophe, comme en réponse à la déclaration du fondateur du wahhabisme : « Il faut purifier la tradition par le retour à la religion. »
Il faut, de toute urgence, mettre fin à la propagation conjointe d’une légende noire de l’Occident et d’une légende dorée du monde musulman. A titre d’exemples, le tabou qui entoure trop souvent les traites négrières musulmanes est intolérable, alors même que l’on condamne avec véhémence, et à juste titre, les traites transatlantiques. La grandeur bien réelle d’al-Andalus ne doit pas en faire un « paradis sur terre », la liberté et la créativité intellectuelle n’y atteignaient pas celles de l’université d’Alexandrie du temps du paganisme.
Il ne saurait pour autant être question d’opposer une caricature à une autre. Une idéalisation béate de l’Occident serait tout aussi ridicule, et facilement démentie. Nous devons montrer que l’on peut être fier de sa civilisation et de ses accomplissements sans être aveugle face à ses fautes, sans la croire parfaite, sans renoncer à l’améliorer, et sans nier le génie propre et les grandeurs des autres civilisations, sans refuser d’admirer en elles ce qui nous inspire et nourrit notre joie d’appartenir à une commune humanité.
La capacité du monde occidental à générer ses propres critiques doit être enfin considérée comme un facteur de grandeur et non une marque de faiblesse, une source de fierté et non de perpétuelle repentance. Ainsi peut-être l’islam sera-t-il encouragé à faire de même, à ne plus se vouloir parfait dans son essence et à reconnaître ce qu’il doit à d’autres.
A ce sujet, notons que, comme le souligne fort justement l’islamologue Marie-Thérèse Urvoy, là où nous avons des mots distincts pour dire « christianisme » et « chrétienté », le mot « islam » désigne à la fois une religion et une aire culturelle. Ajoutons-y la diversité des pratiques religieuses. La vigilance est de mise, ne serait-ce que pour empêcher l’islam-religion de s’attribuer injustement les mérites de l’islam-civilisation, en particulier lorsque ceux-ci furent le fait de chrétiens ou de juifs vivant en terre d’islam. Pour éviter, aussi, de confondre les multiples manières de pratiquer l’islam avec les enseignements doctrinaux.
Il faut rappeler qu’il existe d’autres manières de penser et de vivre le sacré et la relation au sacré. Dire que toutes les religions se valent est une absurdité, à moins de prétendre que la non-violence de l’ahimsâ est similaire aux sacrifices humains aztèques. De manière moins extrême, on peut comparer la situation des religions à celle des partis politiques : des convictions très différentes peuvent coexister, chacun est libre de choisir entre elles, mais elles ne sont ni similaires ni interchangeables.
Les autres religions présentes sur le territoire national ont, sur ce point, une responsabilité majeure. Pour louable qu’il puisse être, le désir de paix s’est trop souvent traduit par un déni des différences et des points d’achoppement. Hélas, la négation de l’altérité de l’autre n’est pas une ouverture mais un refus du dialogue, parfois par paresse intellectuelle, mais aussi par lâcheté (« ne nous fâchons pas ») ou pour dominer (« vous êtes une version imparfaite de ce que je suis »). Pire, les plus ouverts sont tentés de dénaturer leurs convictions pour se rapprocher de leurs interlocuteurs, dans l’espoir toujours déçu d’une réciprocité, et à force d’intransigeance c’est la vision la moins tolérante qui finit par mener la danse. Or, le but du dialogue aujourd’hui ne doit pas être d’abolir les différences, mais de permettre la coexistence dans le respect de la liberté de chacun.
Bien sûr, cette remarque vaut en priorité pour les religions monothéistes, que chacun croie que son dieu est le seul dieu ne signifiant pas que chacun croie au même dieu. Même Dabiq, la revue de l’Etat islamique, consacra en juillet 2016 un article très documenté à l’opposition entre unitariens et trinitariens au concile de Nicée, rappelant, en l’occurrence à juste titre, qu’islam et christianisme n’ont pas la même définition du monothéisme.
En outre, même en Occident la spiritualité ne se limite pas aux seuls monothéismes. Nombre de nos concitoyens sont polythéistes : bouddhistes, hindouistes, shintos, taoistes, druides, asatruar…. A ce sujet, la condamnation unanime et sans appel des « associateurs » dans l’islam doit nous interroger. Méfions-nous de tentatives de rapprochements des seules « religions du Livre » qui dédaigneraient les autres confessions en plus de reposer sur des bases théologiques très discutables. Le dieu chrétien, qui permet l’Ascension ou l’Assomption, a plus de points communs avec Zeus qui appelle ses enfants à la divinité à ses côtés, qu’avec le dieu férocement unique de l’islam.
Les traditions polythéistes portent des trésors, qui pour certaines font déjà partie intégrante de notre culture. L’union féconde du christianisme et des mythes celtes est à l’origine du cycle de la Table Ronde. François Cheng suffirait à lui seul à prouver les merveilles qui peuvent naître d’un dialogue avec la Chine. Comme jadis Claude Lévy-Strauss, j’espère beaucoup de la rencontre entre le christianisme et le bouddhisme, ou entre l’idéal arthurien et le bushidô. Et le monde hellénistique, dont la pensée a fait naître les Lumières par-delà les siècles, fut pour notre civilisation un berceau dans lequel le respect des dieux et du sacré ne s’opposait en rien à l’émancipation de l’humanité. Lorsque les Olympiens furent sollicités par les Athéniens pour juger Oreste, ils n’imposèrent pas leur volonté mais argumentèrent devant l’aréopage, laissant aux mortels le droit et la responsabilité de se gouverner eux-mêmes. Interrogée par Ulysse sur les périls auxquels son fils Télémaque avait dû faire face, Athéna – qui avait veillé discrètement sur le jeune homme en se faisant passer pour un humain, Mentor – lui répondit en substance : « Bien sûr qu’il devait prendre des risques et affronter des épreuves ! Tu m’as confié un enfant, j’en ai fait un homme. »
Enfin, il n’appartient pas à l’Etat de statuer sur ce qu’est ou n’est pas l’islam, mais d’édicter les règles auxquelles il doit se plier pour avoir droit de cité. Gageons que certains islams s’y adapteront aisément, tandis que d’autres combattront – et devront être combattus en retour.
Ainsi, il faut réaffirmer sans cesse la primauté de la liberté de conscience. Ce droit qui nous semble acquis n’a malheureusement rien d’évident. Presque aucun pays dont l’islam est la religion dominante ne le respecte, puisque l’apostasie y est généralement interdite, et même en France il n’est pas accepté par tous, notamment au sein du CFCM.
De même, le droit de critiquer les religions doit être défendu. Car toute critique d’une religion, sera aussi mesurée et courtoise.
Est particulièrement précieux aussi le droit pour chaque femme de choisir sa place dans la société. Ne tombons pas dans le piège d’un débat sur « la place des femmes », ce qui reviendrait à leur en assigner une collectivement au mépris du libre choix de chacune.
Citons aussi, pêle-mêle, l’obligation de reconnaître la légitimité de la présence des juifs dans notre société, le droit au polythéisme, l’exigence d’autocritique face aux dérives, et l’obligation de reconnaître aux autres les droits dont on prétend bénéficier. Par exemple, pour le droit de choisir ses vêtements, en subordonnant la liberté de porter le voile à la liberté de ne pas le porter.
Il faudra aussi, bien sûr, repenser certaines de nos alliances et notre politique étrangère.
En somme, le pouvoir politique devra rappeler que l’islam ne peut en aucun cas se prévaloir de règles exorbitantes du droit commun, et les transgressions devront être sanctionnées sans faiblesse.
Hélas ! Le porte-parole du gouvernement vient de prouver qu’il n’a rien compris à ce sujet, qui est pourtant l’un des enjeux majeurs de notre temps. Il y a plusieurs islam, et l’Etat islamique est parfaitement fidèle à l’un d’entre eux, ainsi qu’à la lettre des textes. Nous savions déjà qu’il serait bon d’offrir à Christophe Castaner la Lettre ouverte au monde musulman d’Abdennour Bidar.