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Depuis les camps syriens gérés par les forces kurdes, elles poursuivent leur œuvre de propagande.
Comment ? En multipliant les vidéos, ensuite relayées sur les messageries cryptées où Daesch continue d’oeuvrer. Au Sri Lanka, dans l’attentat qui a causé la mort de 258 personnes, l’un des terroristes était une femme enceinte. Leur pouvoir d’influence, d’autant plus inquiétant qu’elles sont emprisonnées à des milliers de kilomètres, alerte l’Europe. Dans cette histoire, la France est en première ligne. Elles sont son talon d’Achille, son casse-tête. Dans les camps contrôlés par les Kurdes, il y aurait 100 femmes de djihadistes français et 250 enfants.
Dans un camp syrien abritant des proches de membres de Daech. DELIL SOULEIMAN/AFP
Les peines ont été alourdies et les incarcérations généralisées. Mais un autre problème se pose: le suivi des détenues radicalisées. Par Jean Chichizola
Les radicalisées, un casse-tête pour la justice et les prisons. Naïveté ou humanité? Pendant des années, le traitement judiciaire et pénitentiaire des femmes radicalisées a posé un problème à la justice. Et, alors que Daech joue la carte féminine, la question n’est pas totalement réglée. Publié le 22 juillet, un rapport des Nations unies sur «les poursuites judiciaires des femmes associées à l’EI» constate: «En Europe occidentale et en Amérique du Nord, les “revenantes” [des terres de djihad, NDLR] avaient tendance à être condamnées à des peines plus légères que les hommes, non pour circonstances atténuantes mais pour des stéréotypes» faisant d’elles des victimes.
La situation, notent les experts, a évolué et les peines se sont alourdies «du fait d’une meilleure compréhension des rôles des femmes dans les groupes terroristes». C’est notamment le cas en France, comme le souligne le récent rapport de la Cour des comptes sur «les moyens de la lutte antiterroriste». À partir de 2017, les départs de femmes pour la zone contrôlée par Daech ont été systématiquement judiciarisés, avec un retard de deux ans sur les hommes. De même, le reste de la politique pénale a été durci, toujours à partir de 2017, avec des condamnations et des incarcérations systématiques des femmes responsables d’infractions terroristes et des peines plus lourdes.
«Le mandat de dépôt est aujourd’hui devenu systématique lorsqu’une femme est mise en examen pour faits de terrorisme, note le rapport, ce qui était rarement le cas auparavant. Cette évolution résulte d’une prise de conscience récente par le ministère de la Justice que les femmes sont tout aussi proactives et idéologisées.» De la Belge Muriel Degauque, morte en kamikaze en Irak en 2005, à la «veuve noire» Fatiha Mejjati, veuve d’un islamiste franco-marocain et figure depuis vingt ans d’al-Qaida puis de Daech, les femmes ont pourtant fait leurs preuves depuis de longues années…
Une fois les peines alourdies et les incarcérations généralisées se posent un autre problème: le suivi des détenues radicalisées. Un problème que, comme à leur habitude, les Sages de la Rue Cambon se sont fait un plaisir de mettre en exergue: «L’absence de quartiers d’évaluation pour les femmes détenues pour fait de terrorisme lié à l’islam radical, qui s’ajoute à des conditions de détention peu adaptées à leur profil souvent très idéologisé, paraît problématique. D’après l’Administration pénitentiaire, ces dernières font l’objet d’une évaluation pluridisciplinaire d’une durée moyenne de trois mois, dont l’efficacité mériterait d’être évaluée.» Et de souligner qu’il leur a été précisé «qu’un quartier d’évaluation de la radicalisation pour les femmes (QER, évaluant le degré de radicalité des personnes détenues et leur risque de passage à l’acte violent, NDLR) pourrait être créé en 2020».
Dans leurs recommandations, ils évoquent «un dispositif de quartiers d’évaluation (…) notamment dans la perspective du retour éventuel des femmes présentes dans la zone syro-irakienne». Annoncée dès 2016, la création d’un QER pour femmes à Fleury-Mérogis n’a jamais eu lieu. En 2018, une commission d’enquête sénatoriale regrettait «le manque de moyens consacrés à l’évaluation et au suivi des femmes [radicalisées]» emprisonnées. Le nombre de détenues islamistes est certes bien inférieur à celui des hommes mais reste élevé. Quant au danger, rien de plus facile pour l’évaluer. Comme d’habitude, les terroristes islamistes abattent leur jeu dans leur propagande. Il suffit de les écouter. Et de les croire.
Exposés à la guerre, la malnutrition ou la maltraitance, ils bénéficient d’un bilan somatique et psychologique. Certains pansent des blessures comme la séparation des parents ou le deuil.
On compterait aujourd’hui de 250 à 300 enfants français dans les camps contrôlés par les Kurdes de Syrie (ici celui d’Al-Hol). GIUSEPPE CACACE/AFP
On les surnomme les «petits revenants», les «enfants du djihad». Leur retour en France se fait au cas par cas mais suscite des interrogations teintées de craintes. Dix de ces enfants de djihadistes français, orphelins pour certains, retenus dans des camps de déplacés sous contrôle kurde en Syrie, ont été rapatriés en France le 22 juin dernier. Une petite partie des quelque 250 à 300 enfants français dans la même situation dans les camps du Nord-Est syrien.Il y a encore deux ans, l’accompagnement de mineurs qui regagnent la France représentait un défi inédit pour les services de protection de l’enfance. Mais, pas à pas, depuis la circulaire gouvernementale de février 2018, leur accueil s’est affiné. La France suit actuellement près de 160 de ces mineurs, au titre de la protection de l’enfance, après leur retour de la zone irako-syrienne mais aussi d’autres pays, comme l’Afghanistan ou l’Égypte, selon la mission nationale de veille et d’information de la direction de la PJJ (protection judiciaire de la jeunesse).Ils sont très contents de reprendre une vie d’enfant normal
À la PJJ (protection judiciaire de la jeunesse) «90 % d’entre eux ont moins de 10 ans, dont beaucoup entre 0 et 5 ans», décrit Delphine Bergère-Ducôté, chargée de cette mission à la PJJ. «C’est très rare d’avoir des adolescents et ceux qui sont rentrés n’ont fait l’objet d’aucune poursuite pénale.» Tous les enfants revenus légalement – certains sont rentrés avec leurs parents de façon clandestine – bénéficient d’un bilan somatique et psychologique. Cette consultation débouche systématiquement sur un suivi thérapeutique en raison des traumatismes subis en zone de conflit ou dans les camps. Mais ils doivent aussi panser d’autres blessures, la séparation de leurs parents ou le deuil.
Après une décision de placement du juge, la très grande majorité de ces mineurs vit dans une famille d’accueil en lien avec l’Aide sociale à l’enfance (ASE). Une solution à long terme pour certains. Une transition pour d’autres, qui pourront être confiés, après des investigations, à leur famille élargie. Dès que possible, ces enfants de revenants prennent également le chemin de l’école. «Ils sont très contents de reprendre une vie d’enfant normal et intègrent très vite les codes de la vie scolaire alors qu’ils vivaient souvent accrochés à leur mère. Pour ceux dont les parents sont en prison, l’enjeu de se conformer est particulièrement fort», note-t-on à la PJJ.
Exposés à la guerre, parfois témoins de scènes traumatisantes, à la malnutrition ou à la maltraitance, ils souffrent de troubles variés. Cauchemars, énurésie, troubles de l’attachement… «Ce sont des enfants qui mettent du temps à exprimer ce qu’ils ont vécu. Beaucoup ont du mal à parler de leurs traumatismes ou sont dans un conflit de loyauté vis-à-vis de leurs parents», précise Delphine Bergère-Ducôté. Ces troubles peuvent persister, s’effacer puis revenir brusquement ou de nouveaux symptômes peuvent apparaître même quand leur situation s’est stabilisée, notent les professionnels qui les entourent.
Un combattant des Forces démocratiques syriennes escorte des femmes détenues dans le camp d’Al-Hol, dans le nord-est de la Syrie, en mars 2019. AFP
«Même après deux ans de prise en charge, cela reste difficile de faire le tri entre les traumatismes liés à la guerre et ceux liés à la séparation de leurs parents, généralement leur mère, à leur arrivée en France», souligne Daphné Bogo, directrice adjointe de l’Aide sociale à l’enfance de la Seine-Saint-Denis. Ceux dont les parents sont emprisonnés en France peuvent les voir dans le cadre de visites médiatisées, en présence d’un éducateur. Des retrouvailles complexes en raison des conditions de détention strictes de ces parents poursuivis pour terrorisme. «Certains sont encore prosélytes et il faut faire attention au moment des entretiens», pointe la PJJ. Delphine Bergère-Ducôté, chargée de cette mission à la PJJ
Entre l’école, les visites en prison, chez le juge, les consultations chez le psy, à l’hôpital pour voir un orthophoniste ou un psychomotricien, «ils ont un agenda de ministre», soupire un professionnel de la protection de l’enfance. À tel point que des familles d’accueil ont signalé une surenchère de rendez-vous… «Nous commençons à avoir un peu de recul sur leur prise en charge, mais nous restons très prudents, indique Delphine Bergère-Ducôté. Les soignants ne savent pas comment ces enfants vont évoluer avec l’âge, les aléas de la vie, les condamnations de leurs parents par la justice. Mais aucun n’est dans la revendication ou le discours djihadiste, y compris les plus grands. Ils ont avant tout envie de vivre une vie d’enfant.»