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Décennie noire en Algérie, terrorisme en Tunisie, au Maroc : la région connaît depuis des décennies le fait djihadiste. Par Benoît Delmas
En Tunisie, les forces de l’ordre sont des cibles régulières des extrémistes. Ilustration avec cette attaque conre deux agents de la circulation devant le Parlement, le 1er novembre 2017. © FETHI BELAID / AFP
La décapitation d’un professeur à Conflans-Sainte-Honorine renvoie à celle d’un jeune berger dans le centre de Tunisieen novembre 2015. Mabrouk Soltani avait seize ans. Sur le mont Mghila, accompagné d’un cousin, il avait croisé un groupe se revendiquant de l’État islamique. Il fut égorgé, la tête remise à son cousin âgé de quatorze ans afin qu’il l’apporte aux parents. Cette barbarie n’était pas justifiée par la lutte contre « les infidèles ». Les terroristes l’accusèrent d’être un indicateur. D’un continent à l’autre, la méthode demeure, la justification varie. Dans son discours consacré à la lutte contre les séparatismes, Emmanuel Macrona évoqué « la crise » que traverse aujourd’hui l’islam « partout dans le monde ». Pour étayer son propos, il a cité la Tunisie : « Il y a 30 ans, la situation était radicalement différente dans l’application de cette religion, la manière de la vivre et les tensions que nous vivons dans notre société sont présentes dans celle-ci, qui est sans doute l’une des plus éduquées, développées de la région. » Confrontée depuis la fin des années 80 au terrorisme religieux, l’Afrique du Nord a-t-elle développé un antidote ?
Des réponses sécuritaires, des impasses intellectuelles
Ce qui s’est déroulé en Algérie durant les années 90demeurera une séquence insoutenable, méritant un perpétuel travail de pédagogie. En 1991, les islamistes sont aux portes du pouvoir, l’armée le refuse, une guerre éclate qui fera plus de cent mille morts. Dix ans d’attentats, de meurtres, de massacres, qui se solderont par une défaite des barbus. Ils déposent les armes, mais leur idéologie ne disparaîtra pas. Malgré l’horreur, elle continuera d’infuser dans la théière politique. Dans les pays voisins, une sévère répression s’abattra, rognant les libertés individuelles. La réponse sera sécuritaire. Et uniquement sécuritaire. L’islam politique fera sa véritable apparition dans les urnes à l’occasion du Printemps arabe.
En 2011, en Tunisie et au Maroc, les partis se revendiquant de l’islam arrivent en tête. Une nouvelle page s’ouvre. Il s’agit de gouverner et non plus de prêcher, de résoudre le chômage et non plus d’instaurer une république islamiste. L’exemple tunisien cité par le président Macron pose un défi intellectuel. Le président Bourguiba avait décidé dès 1956 que l’école serait le socle de son pays. Quand on lui expliqua qu’il n’y avait pas assez de professeurs ni assez de salles de classe, il passa outre. Résultat, la Tunisie s’éleva. Ce qui n’empêcha pas, cinquante ans plus tard, des dizaines de milliers de jeunes de se fournir un aller simple pour Istanbul, transit pour rejoindre Daech.Une partie de la société tunisienne découvrit avec stupeur que des ingénieurs succombaient au mirage du califat. L’éducation ne suffisait plus. Pour certains, il y avait comme un problème d’imams.
« 70 % des imams sont en dessous du niveau requis »
En 2015, quand la jeune démocratie tunisienne s’est retrouvée ballottée par les attentats (Bardo, Sousse) et l’hémorragie des départs pour la Syrie, l’islamologue Youssef Seddik avait demandé un « moratoire sur les sermons du vendredi », car « 70 % des imams sont au-dessous du niveau requis ». Ajoutant que « le sermon, avec ces gens-là, est en train de produire des poules comme dans un poulailler, des jeunes égarés ou candidats à l’exportation vers des zones de guerre ou des meurtriers ». Il ne sera pas écouté par le président Béji Caïd Essebsi, qui pourtant se revendiquait d’Habib Bourguiba. Au Maroc, on a fait la même analyse, créant l’Institut Mohamed VI de formation des imams. Il a pour vocation de contrer les interprétations extrémistes de l’iislam en prodiguant un enseignement religieux de haut niveau. Pour Youssef Seddik, « la formation des imams doit passer par Descartes, Kant, en même temps que la matière première. On ne peut pas accepter un imam qui ne connaisse pas Mouchette, Dostoïevski ou Goethe. Il doit avoir une idée suffisante pour exprimer les valeurs universelles nécessaires à toutes activités ». Pour contrer les possédés d’Allah, les rentiers de la religion, la cacophonie idéologique, une seule réponse : l’érudition. Une nécessité dans une région où 99 % de la population est musulmane.