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Le taux record de l’abstention est considéré comme un désaveu des Algériens
Dans un des coins de rue d’Alger centre saturés de présence policière, le débat se déclenche entre un retraité et un jeune homme : « Je vote pour l’Algérienouvelle. » Le jeune, tirant sur sa cigarette matinale devant un kiosque de journaux, réplique : « Y a que la date du jour qui est nouvelle. Moi, je ne vote pas. » Par Adlène Meddi, à Alger
Le taux d’abstention trop élevé est un coup sévère pour les autorités algériennes. © Mousaab Rouibi / ANADOLU AGENCY / Anadolu Agency via AFP
L’échange est cordial et résume finalement la situation d’une Algérie qui se réveille en ce 1er novembre, 66eanniversaire du déclenchement de la guerre de libération, un jour de référendum sur la nouvelle Constitution, projet phare du président Abdelmadjid Tebboune. « Une Constitution halal »
Mais voilà, atteint du covid-19, hospitalisé à Cologne en Allemagne, le chef de l’État n’assistera pas à ce vote. C’est son épouse qui votera à sa place par procuration. Tout autant qu’un autre absent : Abdelaziz Bouteflika, le président déchu, a pu voter aussi par procuration via son frère Nacer… Drôle de valse pour le personnel politique au sommet de l’État algérien.
Qu’importe, même avec un taux d’abstention record, avec seulement 23,72 % de participation, le projet de révision passe avec 66,80 % de « oui », face au 33,20 % de « non ». Mieux, selon le président de l’Autorité nationale indépendante des élections (ANIE), Mohamed Charfi : « Nous avons une Constitution halal. » Allusion faite aux triturages passés des élections et autres scrutins, quand l’administration gérait seule le vote sous la houlette des 48 « grands électeurs », les walis (préfets).
Aucune fatwa ne peut donc faire douter du processus électoral ou de l’adoption finale de la réforme constitutionnelle. « Dans la législation algérienne, il n’y a pas un seuil qui valide ou annule un scrutin », a indiqué M. Charfi lors de l’annonce, ce lundi 2 novembre, des résultats préliminaires du vote dans le cadre du référendum sur la révision de la Constitution. « Ce taux de participation est historiquement le plus bas de tous les référendums populaires organisés en Algérie depuis l’indépendance. Par exemple, la Constitution de 1996 a été adoptée par référendum avec un taux de participation de près de 80 % », rappelle le journal électronique TSA.
« Le pouvoir a échoué »
L’opposition, elle, se focalise aussi sur ce faible taux de participation, commenté sur les réseaux sociaux comme un signe fort de désaveux au système. Pour les islamistes du Mouvement pour la société de la paix (MSP, tendance Frères musulmans), qui ont appelé à voter « non », l’abstention fait « perdre sa crédibilité et sa légitimité politique et populaire [au pouvoir] », et cela, « malgré les énormes capacités officielles qui ont été consacrées à son adoption ». « Le résultat du référendum confirme l’échec des projets des autorités au pouvoir et leur incapacité à parvenir à un consensus national sur la Constitution tel qu’il a été annoncé, de manière à préserver le pays des risques réels qui le menacent », ajoute le MSP.
Côté opposition laïque, le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) – qui estime que « la participation réelle à cette consultation est vraisemblablement à un chiffre » – critique lui aussi les autorités : « Le pouvoir, de fait, a échoué y compris dans sa tentative de réunir les adeptes du partage de la rente autour de sa démarche. Il a eu pourtant tous les moyens pour le faire. »
« Persister dans cette démarche et promulguer une Constitution rejetée par 86,3 % des électeurs, c’est ouvrir la voie au désordre porteur de tous les périls », avertit le parti, qui se dit ciblé par les autorités. « Ceux auxquels revient la charge de prendre une telle décision assumeront l’entière responsabilité de cet acte. Cette responsabilité sera d’autant plus lourde qu’un autre choix existe. Il consiste à réunir sans délai les conditions pour l’expression du peuple souverain », conclut le RCD.
Mais ce taux record de l’abstention exprime-t-il réellement un rejet politique ? « Les Algériens sont très pragmatiques : ils savent qu’une réforme de la Constitution est très éloignée de leurs préoccupations quotidiennes, de leurs projections pour leurs enfants, pour l’avenir », commente une universitaire croisée à côté d’un bureau de vote dimanche.
L’agenda officiel suspendu
La suite ? Pour les autorités, il s’agira de poursuivre leur agenda esquissé depuis la présidentielle du 12 décembre 2019. Prochaine étape : des législatives probablement dans la période décembre 2020-janvier 2021 – si les conditions le permettent vu qu’on évoque de plus en plus l’éventualité d’un confinement face à la recrudescence des cas de contamination au coronavirus. L’autre inconnue reste l’état de santé du chef de l’État, transféré le 28 octobre dernier en Allemagne pour « des examens médicaux approfondis », selon la version officielle. D’après le correspondant de la chaîne Al-Jazira en Allemagne, qui a contacté des médecins dans l’hôpital où séjourne le président algérien ainsi que des officiels allemands, M. Tebboune « pourra traverser cette épreuve » et « sa guérison est une question de temps ». À Alger, l’attente du retour rythme le tempo officiel : aucune déclaration des hautes autorités n’a été enregistrée cette journée. L’agenda du pouvoir est suspendu, pour le moment.