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Après avoir été déboutés ailleurs, ils savent que la France accorde plus facilement l’asile.
Nombreux sont les demandeurs d’asile qui arrivent en France après plusieurs années passées dans un autre pays européen, où ils ont eu le temps d’apprendre la langue. Ils tentent leur chance dans notre pays après avoir été déboutés ailleurs car ils savent que la France accorde plus facilement l’asile. Avec Didier Leschi
Atlantico : Le quotidien Die Welt vient de publier un article dont le titre porte sur une devinette : pourquoi les réfugiés que l’on trouve dans les campements français parlent-ils si souvent allemand ? Réponse : car la France est le pays d’Europe où affluent ceux qui ont été déboutés ailleurs du droit d’asile en sachant que malgré les accords de Dublin, ils ont peut-être une chance en France. Que cela révèle-t-il de la politique migratoire française ?
Didier Leschi : Effectivement, nombreux sont les demandeurs d’asile qui arrivent en France et qui sont passé par un autre pays Européen. 45.000 l’année dernière. Ils y sont parfois restés de longues années car il y a une différence entre entrer dans un pays et y être admis à s’installer. L’Allemagne comme la Suède ont rejeté la demande d’asile de dizaines de milliers de personnes. Mais du fait de la longueur des procédures ces demandeurs ont eu le temps d’apprendre l’allemand ou le suédois. Ces déboutés viennent en France car ils savent que la France accorde plus facilement l’asile. C’est le cas en particulier pour les Afghans que l’on retrouve malheureusement nombreux dans les campements, comme celui évacué récemment à Saint-Denis. Les accords de Dublin n’harmonisent pas les critères d’examen des demandes d’asile entre les différents pays européens. Et le refus dans un pays n’entraîne pas l’impossibilité de refaire une demande d’asile dans un autre. Nous devenons ainsi progressivement le recours des perdants du système d’asile européen.
Quelle est la spécificité des migrants qu’attire la France ?
Il y a plusieurs types de migrations vers la France. Il y a l’immigration familiale qui vient d’abord du Maghreb et de l’Afrique sub-saharienne. Entre 80 et 100 000 personnes par an ces dernières années. Il y a les étudiants. 80 000 l’année dernière, de toutes origines avec de plus en plus d’étudiants Chinois. Il y a toujours une immigration de travail, plus de 30 000 personnes en 2019. Puis il y a la demande d’asile. Plus de 170 000 personnes enregistrées en 2019. Ces demandeurs venaient d’abord d’Afghanistan, puis d’Albanie et de Géorgie. Enfin, d’Afrique et du sous-continent Indien, Pakistan, Bangladesh. La réalité, peut-être contre intuitive, c’est qu’il y en a France plus d’Algériens que d’Irakiens qui demandent l’asile. Ce sont nationalités très différentes de celles rentrent majoritairement en Europe comme es Syriens qui arrivent d’abord en Allemagne. Puis les Vénézuéliens et Colombiens qui se dirigent d’abord vers l’Espagne du fait de la langue commune.
Entre le fantasme du grand remplacement d’une part et la volonté de masquer l’ampleur des flux par ailleurs, vous évoquez dans votre livre, “Ce grand dérangement : L’immigration en face” ( Gallimard) un aveuglement sur la question de l’immigration qui a longtemps empêché qu’on puisse se faire une image précise de l’ampleur des flux. Que faire pour que les Français aient sur les flux migratoires la transparence auxquels ils ont un droit démocratique ? Sommes-nous capables d’avoir un regard plus réaliste sur la question ?
Les données sont rendues publiques tous les ans. Le problème vient plutôt des commentaires autour. Il y a une sorte de jeu de rôle qui n’aide pas au débat. D’un côté ceux qui affirment qu’il n’y a pas plus d’immigrés et de problèmes d’intégration aujourd’hui qu’hier. De l’autre ceux qui refusent toute hospitalité, ce qui serait une forfaiture. Les faits c’est qu’il n’y a jamais eu autant d’immigrés en pourcentage dans l’ensemble de la population, c’est-à-dire de personnes nées étrangères à l’étranger et dont certaines ont pu acquérir la nationalité française, aux alentours de 10 %. Mais les problèmes ne viennent pas tant du nombre de personnes qui arrivent, ou que nous avons à prendre en charge, que du fait que beaucoup de ceux qui viennent jusqu’à nous ont un faible niveau de qualification. Ils n’arrivent pas à s’insérer sur le marché du travail, ils des difficultés d’accès au logement ce qui fait l’infâme prospérité des marchands de sommeil. Enfin, sur le plan culturel et sociétal, les écarts entre les sociétés d’émigration et d’immigration se sont durcis, cela s’en ressent dans les capacités d’adaptation à ce que nous sommes et souhaitons demeurer. Même s’il ne s’agit que d’une minorité, que peut même considérer que nos règles ne peuvent être supérieures à des règles religieuses, cela pèse énormément sur l’ensemble de l’immigration, de son image.
On parle beaucoup de l’aspect sécuritaire de la maîtrise des flux migratoires mais on sous-estime souvent un autre aspect important qui est celui de l’attractivité relative des pays d’accueil. On voit ainsi que les migrants sont prêts à risquer leur vie pour traverser la Manche et arriver au Royaume-Uni car ils savent que s’ils y arrivent en vie, ils trouveront rapidement un emploi. En France, l’attractivité semble être plus liée au modèle social. Pourrons-nous un jour gérer les flux sans nous être posés la question de l’attractivité de l’Europe, sans accepter de rogner un peu sur l’idée que nous nous faisons de notre devoir moral ?
Notre devoir moral est d’accueillir ceux qui sont persécutés. Mais comment traiter ceux dont la venue par des difficultés économiques ? Ils peuvent venir de pays vers lesquels par ailleurs nous allons (ou pouvions avant la crise sanitaire) aller en vacance, où certains même achètent des résidences secondaires. La première nationalité amenée par les passeurs en Italie, ce sont les Tunisiens. En Espagne et aux Canaries, ce sont des Marocains et des Algériens. Renvoyer dans leur pays ces personnes est certes vécu comme un échec. Mais cela les met-il en danger ? Nous savons que non. Est-ce difficile pour celui qui est renvoyé de force ? Oui. Perdre cela de vue serait une faute morale.
Alors que la semaine a été marquée par la mort de l’ancien président de la République, Valéry Giscard d’Estaing, quel bilan tirer de sa politique liée à l’immigration et du regroupement familial ? Dans quel contexte (politique, économique et migratoire) cette mesure avait été prise ?
Valéry Giscard d’Estaing a pris cette décision à une époque où l’on pensait que les immigrés repartiraient. C’est du reste ce qu’ils affirmaient ou espéraient. Le regroupement familial s’est amplifié au moment où l’affaiblissement de notre industrie, la montée du chômage vont créer des problèmes sociaux majeurs. Ce constat motiva la fameuse alerte maladroite car elle semblait raciste, alors qu’ancien responsable des questions d’immigration il avait organisé les actions de solidarité entre travailleurs français et immigrés, que fit Georges Marchais secrétaire général du parti communiste français en 1980. Et il ne pouvait imaginer que l’affaiblissement de ce qu’on appelait le mouvement ouvrier allait rendre plus difficile encore la prise en charge et l’intégration des travailleurs migrants.
Faut-il s’attendre à un nouveau choc migratoire au sortir de la crise du CoVid ? Comment la gérer ?
En partageant le vaccin et en relançant les économies, dont l’économie touristique. Et en espérant que les dirigeants des pays d’immigration répondent aux aspirations de leurs jeunesses ou des classes moyennes plutôt que de souhaiter qu’ils partent voir ailleurs et les laissent profiter cyniquement des richesses qui existent dans ces pays.
Didier Leschi, vient de publier “Ce grand dérangement : L’immigration en face”, publié chez Gallimard dans la collection Tracts