En France, le 24 octobre commémore chaque année l’anniversaire de deux décrets, dits décrets Crémieux, du nom de leur initiateur et qui modifièrent considérablement la situation humaine en Afrique française du Nord.
Portrait d’Adolphe Crémieux en 1878 par Lecomte du Nouÿ (huile sur toile, musée d’Art et d’Histoire du judaïsme).Wikipedia
Jusqu’en 1830, l’Empire ottoman est présent dans le Nord de l’Afrique, à l’exception de l’empire chérifien (Maroc). Le territoire compris entre le sultanat du Maroc (à l’Ouest) et le beylicat de Tunisie (à l’Est) est divisé en trois deyrats.
Un dey à Oran, un autre en Alger, un dernier à Constantine. Les deyrats sont des représentations territoriales civiles, confessionnelles et militaires de la « sublime Porte ».
C’est en 1830 que la France chasse puis remplace l’administration ottomane dans les limites énoncées. Les trois deyrats deviennent trois départements français qui, en raison du toponyme français de la ville d’Alger prennent le nom de l’Algérie. L’Algérie française est née. Elle vivra jusqu’au départ de l’administration et des populations françaises en 1962. Elle laissera alors et à cette date la place à la république algérienne démocratique et populaire.
Les populations vivant en 1830 dans ces territoires comprennent des Espagnols, des Italiens, des Maltais, des Turcs, des Arabes, des Berbères, des Chrétiens, des Juifs et des Musulmans. La majorité musulmane côtoie des minorités juives et chrétiennes. Les Européens sont protégés par leurs consulats et les Turcs par leurs autorités civiles et militaires. Comme les autres minorités, les Juifs disposent du statut de dhimmi (protégé) pour lequel ils cotisent communautairement et solidairement. Ce statut leur assure en théorie protection civile et militaire. C’est en réalité une population juive doublement asservie aux cheikhs arabo-berbères et aux deys ottomans que la France trouve en 1830 sur ces territoires. C’est cette situation qui provoque l’indignation du sénateur français de confession juive Adolphe Crémieux.
Décret 136
Décret Crémieux N° 136 Photocopie du Bulletin des Lois de la République Française. Wikipedia
Au nom des principes républicains des droits de l’Homme et du citoyen, ce dernier propose alors à la Nation française d’extraire la population juive du double asservissement qu’elle subit de la part des cheikhs, aghas, bashagas (propriétaires des terres et des humains), d’ autres chefs locaux arabe-berbères et de l’administration ottomane. Il obtient de lui faire bénéficier des droits afférents à la nationalité et à la citoyenneté françaises. Quarante ans après la création de l’Algérie française, le sénateur de Tours réussit à faire adopter le décret numéro 136 daté du 24 octobre 1870 portant naturalisation des « Israélites indigènes » résidant en Algérie. Il est ainsi mis fin à leurs statuts réels et personnels de coutume arabe-berbère et de Droit ottoman (megella). Ces statuts consistaient en une double série d’humiliations et de ségrégations communautaires et personnelles imposée par les potentats locaux et les deys ottomans.
Le décret 136 portant naturalisation collective des « israélites indigènes » dans la nouvelle Algérie garantissait l’émancipation des Juifs quarante ans après l’arrivée des Français. Il leur a été civilement et humainement favorable.
Il a contribué à la perte progressive et à la périphérisation de leurs cultures et de leurs coutumes au profit de celles de leurs coréligionnaires de France métropolitaine.
A la colonisation française de l’Algérie nouvellement créée correspondait la colonisation du judaïsme « algérien » par le judaïsme français. La reconnaissance des Juifs d’Algérie envers la France était alors immense. Cette France qui les avait libéré du double servage qu’ils subissaient des cheiks locaux et des Ottomans poussa les Juifs d’Algérie à adopter les nouvelles règles de la France républicaine et de l’organisation consistoriale du Judaïsme français.
Décret 137
Décret Crémieux N° 137 Photocopie du Bulletin des Lois de la République Française. Wikipedia
Le second décret dit Crémieux porte le numéro 137 et concerne les « Indigènes musulmans et les étrangers » résidant en Algérie. Il leur propose les mêmes dispositions que celles du décret précédent mais les soumet à deux conditions. La première consiste à solliciter personnellement l’application du décret. La seconde à attendre la majorité civile de vingt – et – un an pour en faire la demande. Très peu de demandeurs se sont manifestés. Une situation sécuritaire différente de celles des Juifs, des conditions difficiles d’accès au décret et l’absence d’automaticité en sont les principales raisons.
Ainsi désunies par l’Histoire et l’administration, les Juifs et les Musulmans vont se retrouver l’espace occupé entre 1940 et 1943 par les dispositions adoptées par le régime de fait et de collaboration avec l’ennemi dit régime de Vichy. Le « chef de l’Etat français » Philippe Pétain et le «président» du «gouvernement» Pierre Laval retirent la citoyenneté française à ses détenteurs juifs résidant en Algérie, au Maroc et en Tunisie qui allait elle subir un temps le régime hitlérien. Ils leur restituent leur status quo ante. Les Juifs sont ainsi «rétrogradés» au statut de l’indigénat qui, mesures antisémites en plus du « statut des Juifs » , les rapprochent de celui des « indigènes musulmans ». Ils attendront 1943, un an après la libération de l’Algérie pour recouvrer avec la légalité républicaine leur citoyenneté française. Les Musulmans verront leur statut quelque peu amélioré en Droit sinon en fait à compter de leur soulèvement jusqu’à l’indépendance en 1962.
Tels sont les natures et les effets de ces deux décrets Crémieux qui conduiront les Juifs à l’égalité républicaine, au changement culturel et au rapatriement en métropole en 1962 et les Musulmans à l’inégalité du « deuxième collège » (sujets de Droit) puis à l’indépendance de leur nation.