L’islam vit encore le défi de la réforme. Après la découverte de la modernité et de la pensée des Lumières, au XIXe siècle, des voix musulmanes s’étaient élevées pour appeler à l’ouverture et au changement. Des réformateurs issus des institutions religieuses s’étaient rebellés contre ces institutions pour défendre des thèses et des idées novatrices.
Que l’on se rappelle Tahtaoui traduisant en arabe la Constitution française, Ali Abderrazik défendant le principe de la séparation entre l’Etat et la religion, Qâsim Amîn et Tahar Haddad dénonçant le statut des femmes en terres d’islam, et tant d’autres. Des débats s’étaient ouverts dans une partie du monde musulman et des sujets brûlants furent posés sans tabous, menant à une dynamique qui aurait pu aller loin dans la voie du renouvellement.
Cet élan réformiste fut entravé par plusieurs facteurs successifs de blocage qu’il serait trop long d’énumérer : conservatisme social et culturel, choc colonial, mobilisation de la religion dans les mouvements de libération nationale, idéologie du progrès, désenchantement national, guerre froide, conséquences du boom pétrolier, gouvernances autoritaires, migrations de masse et échec des politiques d’intégration, notamment. Éluder ce contexte socio-historique complexe et réduire les problèmes des musulmans à une dimension purement religieuse fausse le débat et paralyse les efforts de changement.
A ces facteurs s’est ajouté l’émergence de l’islam radical, militant et violent qui a rendu encore plus difficile les projets de réforme et de modernisation. Pourtant, l’historicité de l’islam aurait pu permettre de déboucher sur d’autres alternatives.
La bataille n’est pas pour autant perdue, bien au contraire. Il est encore possible à l’islam de s’accommoder aux réalités nouvelles et aux mutations historiques. Ainsi, il n’y a pas de raison de se résigner aux thèses décrivant l’islam comme intrinsèquement « irréformable ».
Néanmoins, le refus de figer l’islam ne doit pas conduire à un déni du réel. L’islam pose problème, autant dans les sociétés à majorité musulmane que dans celles où il est minoritaire. Sans complaisance, il faut oser pointer les difficultés et dénoncer les blocages.
En matière de liberté de conscience, les musulmans sont appelés à accepter sans détour la diversité et la liberté religieuses, y compris dans les sociétés à majorité musulmane. Ils accepteront aussi le fait que l’appartenance ou la non appartenance à une religion soit un choix individuel et libre. Adopter, quitter, changer de religion ou vivre sans, est un droit inaliénable.
En matière de violence, les musulmans sont appelés à manifester clairement et sans détours leur refus de donner une légitimité religieuse à toute forme d’atteinte à la vie, à l’intégrité, à la dignité et aux biens d’autrui. Cet appel concerne la violence terroriste et l’application de peines obsolètes et contraires aux principes de droits de l’Homme et des libertés individuelles, à l’instar de la peine dite de l’apostasie, et des châtiments qui touchent à l’intégrité physique.
En matière d’égalité, les musulmans sont appelés à aller jusqu’au bout de l’impératif de sécularisation en acceptant l’égalité entre tous les citoyens, hommes et femmes, musulmans et non-musulmans.
En matière de communication, les journalistes, musulmans et non-musulmans, sont appelés à éviter le déni de réalités ; à éviter l’essentialisation, le manichéisme et la déformation ; à donner la parole aux musulmans modernistes ; à favoriser le dialogue avec ceux qui sont prêts à créer les conditions d’un débat constructif.
Re-spiritualiser l’islam ? Déconstruire l’histoire fantasmée de l’islam ? Cet espoir ne doit pas être porté uniquement par les musulmans de foi, mais aussi de culture et par tous les humanistes. Il est de l’intérêt général que cesse la fixation sur l’islam et la suspicion envers plus d’un milliard et demi de musulmans. L’Islam est un patrimoine universel, ne peut être abandonné aux radicaux. La réforme de l’islam, aujourd’hui portée par un nombre de plus en plus grand de femmes et d’hommes éclairés, est irréversible.