REPORTAGE – Sur la montagne Sainte-Geneviève, cela fait plus de 450 ans que le lycée Louis-le-Grand prépare à Paris les meilleurs étudiants de France aux grandes écoles françaises.
À la vitesse de l’éclair, l’immense tableau couleur lierre est blanchi de formules insaisissables pour les néophytes. «Comment je me sors de ce cos(x)4 – 1?» , demande Pierre Roussillon, professeur de mathématiques. Face à lui, 45 étudiants en première année de classe préparatoires économique et commerciale voie générale (ECG) du prestigieux lycée public Louis-le-Grand, à Paris, écoutent en silence. L’une des onze heures hebdomadaires de maths est, en ce jeudi de février, consacrée au comportement asymptotique des fonctions. Dehors, le soleil d’hiver allume la coupole du Panthéon qui surplombe la cour Victor Hugo.
Le lycée Louis-le-Grand , qui possède un internat sur place, forme avec succès les meilleurs élèves comme il a formé avant eux l’auteur des Misérables mais aussi Molière, Voltaire, Valéry Giscard d’Estaing, Jean-Paul Sartre et Baudelaire. Car ses résultats sont toujours aussi exceptionnels, comme si l’excellence était gravée dans ses murs. Au lycée, l’établissement a remporté 17 prix, accessits et mentions au Concours général 2021 . Pour ses prépas, «LLG» est 4e du classement ECG du Figaro . L’an dernier, l’école a envoyé 15 étudiants à HEC, 10 à l’Essec et 5 à l’ESCP. Deuxième du classement des prépas scientifiques , 77 élèves ont intégré l’École Polytechnique . Enfin, Louis-le-Grand fait aussi des étincelles dans la voie littéraire (AL) avec une seconde place, juste après Henri IV, sa grande rivale: 21 étudiants ont intégré l’ENS Ulm en 2021.
À LIRE AUSSI Classement des meilleures prépas de France
Ces étudiants devront se montrer à la hauteur de l’histoire de cet établissement qui façonne l’élite intellectuelle française depuis 1563, et a survécu à tous les régimes, la royauté comme l’empire et la République. Sa fondation par les Jésuites remonte à 1563, il s’appelait alors Collège de Clermont (du nom de l’évêque propriétaire du lieu). Il devient le collège Louis-le-Grand en l’honneur de Louis XIV en 1682, par la suite Napoléon lui donne le statut de lycée impérial en 1805.
Pierre Roussillon, professeur de mathématiques et la classe de première année de classe préparatoires économique et commerciale voie générale (ECG) de Louis-le-Grand. Victor Mérat pour Le Figaro
Un rythme soutenu
Quelle est la recette de ce succès qui traverse les siècles? L’excellence est la marque de fabrique de l’établissement dont se réjouit Joël Bianco, le proviseur depuis septembre 2020. «C’est un but, un mouvement vers lequel on tend. Il n’y a pas de formule magique. C’est une histoire d’équilibre et d’émulation. Quand on entre ici, HEC, c’est possible. C’est même l’objectif numéro 1 , explique-t-il dans son bureau feutré qui donne sur la Sorbonne, rue Saint-Jacques. C’est un cercle vertueux. On a le choix, donc la dynamique en interne est bonne, les résultats suivent et la demande reste élevée» . Dans les étagères qui couvrent les murs se trouvent des éditions de Voltaire d’origine. En face, trône «La Famille de Darius aux pieds d’Alexandre», imposante toile de Jouvenet, don de Louis XIV en 1674 à l’occasion d’une visite officielle.
Une sélection méticuleuse via Parcoursup
Évidemment, ce très bon niveau s’explique d’abord par la sélection drastique des étudiants. «Ici, nous n’avons que des bons élèves, cela permet d’aller plus vite» , reconnaît Pierre Roussillon. Sur Parcoursup, en 2021, Louis-le-Grand a reçu environ 1900 candidatures en ECG, pour 48 places. Après un tri mécanique utilisé uniquement pour détecter les dossiers défectueux (incomplets, notamment), les candidatures sont réparties géographiquement aux enseignants. Chaque dossier est noté deux fois et le résultat est validé – ou pas – par un troisième enseignant. Puis est établi le classement final. L’attention se focalise notamment sur les résultats académiques, le classement de l’élève dans sa classe et les commentaires des enseignants. La promotion 2021-2022 est composée à 50% de Parisiens et d’un tiers de provinciaux (plutôt issus des lycées publics). Et environ 10% des étudiants sont boursiers (du secondaire). Thomas Buffet, 44 ans, qui enseigne l’allemand à «LLG» depuis dix ans, conclut: «Les élèves sont sélectionnés pour réussir et nous misons sur leur évolution.»
Des professeurs tous agrégés
Qui sont les professeurs qui ont la chance d’enseigner dans ce lieu mythique? Sont-ils sélectionnés avec le même soin que leurs élèves? En réalité, ils ont le même profil que tous les autres professeurs de prépa de France. Il s’agit d’agrégés, certains sont normaliens. Mais nul besoin d’une grosse expérience d’enseignement pour être nommé à «LLG». Ainsi, Pierre Roussillon, 32 ans, y enseigne depuis septembre, après avoir travaillé dans la recherche.
L’autre clé du succès réside dans la méthodologie typique de l’enseignement en classe préparatoire. Les étudiants suivent environ 38 heures de cours par semaine (aussi bien en première qu’en deuxième année), sans compter les nombreuses «khôlles» (oraux) et les devoirs sur tables les samedis matin. «Le rythme est très soutenu, j’apprends beaucoup» , assure Arnold, 18 ans, originaire de Toulouse, en première année. «Il y a de la pression, mais ce n’est pas malsain. On aime ce qu’on fait, sinon on ne travaillerait pas autant» , reconnaissent ses camarades du même âge, Lou venu de Montauban qui était déjà à Louis-le-Grand au lycée, et Gabriel, qui arrive d’Henri IV. Tous ont eu une mention «très bien» au bac. Les trois ont été sélectionnés en partie pour leur très bon niveau en maths. Mais ils pensent qu’un «petit truc en plus» a joué. Comme Arnold, qui partageait son emploi du temps entre le vélo, la musique et des activités culturelles. Les trois étudiants visent le top 3 des écoles de commerce. Gabriel aimerait travailler dans les relations internationales, Lou a un penchant pour le marketing et Arnold une inclination pour la finance. Ils le savent: cette prépa leur permettra d’atteindre leurs objectifs. «On voit déjà les effets sur la méthode et notre niveau progresse très vite», assurent-ils.
De la rigueur avant les concours
Dans une petite salle aux murs pavoisés de mappemondes, des germanistes en deuxième année s’entraînent aux épreuves redoutées de la version et du thème. «Justifiez vos temps , s’évertue à répéter Thomas Buffet. Le reste peut se négocier, mais pas le passé simple.» Et soudain, le drame. «Vous avez oublié une ligne , dit-il en relevant les yeux de sa feuille. Attention le jour du concours. » Appliqués, les sept étudiants notent la moindre suggestion de l’enseignant. À l’approche des concours, la rigueur est plus que jamais de mise.
L’excellence est un but, un mouvement vers lequel on tend. C’est une histoire d’équilibre et d’émulation. Quand on entre ici, HEC, c’est possible. C’est même l’objectif numéro 1.
Joël Bianco, proviseur de Louis-le-Grand
Le proviseur Joël Bianco est satisfait, le lycée reste toujours aussi attractif. Victor Mérat pour Le Figaro
À LIRE AUSSI Classement des meilleures écoles de commerce
L’excellence publique face à l’offensive des prépas privées
La nuit commence à tomber au rythme des improvisations d’un lycéen au piano de la chapelle. Une variation de Charpentier revisitée par un ancien magnoludovicien – nom des élèves de «LLG» – annonce la fin des cours. Pour certains uniquement. À peine sa leçon de culture générale terminée, Marie Gil distribue des sujets de khôlle à ses étudiants de première année. Trois s’exercent à l’épreuve du triptyque d’HEC quand deux autres passent l’entretien de personnalité type ESCP. «Peut-on vivre sans littérature?» Non, soutient le «convaincant» que l’étudiante jouant le «répondant» pousse dans ses retranchements. Le tout sous les yeux d’un «observateur» qui fait la synthèse critique du débat. «Vous auriez pu parler de l’illusion référentielle de Barthes, des épopées homériques, de la catharsis… Votre développement est trop superficiel» , reprend la professeure dans un silence pesant. Si les concours sont encore loin pour ces étudiants, ils doivent «appliquer dès maintenant la méthode parfaitement» , souligne Marie Gil. Idem pour les entretiens. «Tout ce que vous écrivez ou dites peut faire l’objet d’une question de trente minutes» , prévient-elle, reprenant une étudiante mal préparée.
Sur Parcoursup, en 2021, Louis-le-Grand a reçu environ 1900 candidatures en ECG, pour 48 places.Victor Mérat pour Le Figaro
Si l’excellence est le credo, d’aucuns s’inquiètent eu égard à l’intégration cette année de «LLG» et Henri-IV dans Affelnet, la procédure automatisée d’affectation des collégiens dans les lycées publics. «Cette idée de mélange des niveaux risque de nuire à l’excellence de l’établissement» , note inquiet un enseignant de «LLG». Et d’ajouter: «Si le niveau du lycée public s’écroule, la prépa et l’excellence suivront». En effet, les prépas publiques subissent la pression toujours plus forte des établissements privés comme Stanislas, Danielou ou Sainte-Marie de Neuilly, qui sélectionnent au lycée – ou avant – et gardent en prépa leurs meilleurs éléments. Ainsi, pour l’admission à HEC, sur les cinq premières prépas du classement du Figaro Étudiant, seuls deux sont publiques: Henri IV (3e) et Louis-le-Grand (4e), derrière Danielou et Sainte-Geneviève. Et le collège Stanislas est en embuscade juste derrière.
À VOIR AUSSI – Enseignement: Faut-il rendre les maths obligatoires au lycée?
Martin Andler, vice-président de l’association Animath, livre son point de vue sur la proposition de Jean-Michel Blanquer concernant les mathématiques.
https://video.lefigaro.fr/figaro/video/enseignement-faut-il-rendre-les-maths-obligatoires-au-lycee/