Il y a encore deux ans, l’accompagnement de mineurs qui regagnent la France représentait un défi inédit pour les services de protection de l’enfance. Mais, pas à pas, depuis la circulaire gouvernementale de février 2018, leur accueil s’est affiné. La France suit actuellement près de 160 de ces mineurs, au titre de la protection de l’enfance, après leur retour de la zone irako-syrienne mais aussi d’autres pays, comme l’Afghanistan ou l’Égypte, selon la mission nationale de veille et d’information de la direction de la PJJ (protection judiciaire de la jeunesse). Ils sont très contents de reprendre une vie d’enfant normal
À la PJJ (protection judiciaire de la jeunesse) «90 % d’entre eux ont moins de 10 ans, dont beaucoup entre 0 et 5 ans», décrit Delphine Bergère-Ducôté, chargée de cette mission à la PJJ. «C’est très rare d’avoir des adolescents et ceux qui sont rentrés n’ont fait l’objet d’aucune poursuite pénale.» Tous les enfants revenus légalement – certains sont rentrés avec leurs parents de façon clandestine – bénéficient d’un bilan somatique et psycho-logique. Cette consultation débouche systématiquement sur un suivi thérapeutique en raison des traumatismes subis en zone de conflit ou dans les camps. Mais ils doivent aussi panser d’autres blessures, la séparation de leurs parents ou le deuil.
Après une décision de placement du juge, la très grande majorité de ces mineurs vit dans une famille d’accueil en lien avec l’Aide sociale à l’enfance (ASE). Une solution à long terme pour certains. Une transition pour d’autres, qui pourront être confiés, après des investigations, à leur famille élargie. Dès que possible, ces enfants de revenants prennent également le chemin de l’école. «Ils sont très contents de reprendre une vie d’enfant normal et intègrent très vite les codes de la vie scolaire alors qu’ils vivaient souvent accrochés à leur mère. Pour ceux dont les parents sont en prison, l’enjeu de se conformer est particulièrement fort», note-t-on à la PJJ.
Exposés à la guerre, parfois témoins de scènes traumatisantes, à la malnutrition ou à la maltraitance, ils souffrent de troubles variés. Cauchemars, énurésie, troubles de l’attachement… «Ce sont des enfants qui mettent du temps à exprimer ce qu’ils ont vécu. Beaucoup ont du mal à parler de leurs traumatismes ou sont dans un conflit de loyauté vis-à-vis de leurs parents», précise Delphine Bergère-Ducôté. Ces troubles peuvent persister, s’effacer puis revenir brusquement ou de nouveaux symptômes peuvent apparaître même quand leur situation s’est stabilisée, notent les professionnels qui les entourent.
«Même après deux ans de prise en charge, cela reste difficile de faire le tri entre les traumatismes liés à la guerre et ceux liés à la séparation de leurs parents, généralement leur mère, à leur arrivée en France», souligne Daphné Bogo, directrice adjointe de l’Aide sociale à l’enfance de la Seine-Saint-Denis. Ceux dont les parents sont emprisonnés en France peuvent les voir dans le cadre de visites médiatisées, en présence d’un éducateur. Des retrouvailles complexes en raison des conditions de détention strictes de ces parents poursuivis pour terrorisme. «Certains sont encore prosélytes et il faut faire attention au moment des entretiens», pointe la PJJ. Aucun n’est dans la revendication ou le discours djihadiste, y compris les plus grands
Delphine Bergère-Ducôté, chargée de cette mission à la PJJ
Entre l’école, les visites en prison, chez le juge, les consultations chez le psy, à l’hôpital pour voir un orthophoniste ou un psychomotricien, «ils ont un agenda de ministre», soupire un professionnel de la protection de l’enfance. À tel point que des familles d’accueil ont signalé une surenchère de rendez-vous… «Nous commençons à avoir un peu de recul sur leur prise en charge, mais nous restons très prudents, indique Delphine Bergère-Ducôté. Les soignants ne savent pas comment ces enfants vont évoluer avec l’âge, les aléas de la vie, les condamnations de leurs parents par la justice. Mais aucun n’est dans la revendication ou le discours djihadiste, y compris les plus grands. Ils ont avant tout envie de vivre une vie d’enfant.»