Pendant plus d’un siècle, le wahhabisme a été méprisé par la plupart des musulmans qui le voyaient comme un mouvement sectaire animé par des fanatiques, puis, à force de traduire des ouvrages interprétant l’islam à leur façon et de les diffuser gratuitement dans le monde entier, la mouvance, dorénavant appelée « salafisme », s’est progressivement implantée en Europe.
Le wahhabisme se distingue par la volonté obsessionnelle de dresser une ligne infranchissable non seulement entre le croyant et le non-croyant, mais aussi entre le « bon croyant » et le « mauvais croyant », ce qui mène à une rigidification du fameux concept de « takfir ». C’est Abd-al Wahhab qui a également redéfini la notion de tawhid telle qu’elle est reprise par le discours dit wahhabo-salafiste.
« L’unicité de Dieu » et « l’associationnisme » deviennent la pierre angulaire de l’approche anxiogène que les mouvances salafistes mettent en place, de manière à ce que le croyant se coupe de tout son entourage : amis, famille, loisirs, travail, sport, institutions éducatives, mosquées traditionnelles, comme le montre ce témoignage d’adolescente via l’association L’entre 2 :
« Ensuite, ils m’ont beaucoup parlé du tawhid (l’unicité de Dieu). Ils me disaient qu’il était interdit d’utiliser des émoticônes dans mes textos. Si je me permettais de représenter un visage, je me mettais au même niveau que Dieu, car lui seul pouvait créer. Un frère m’a dit que, si je dessinais des visages ou des animaux, le jour du Jugement Dernier, Dieu me demanderait de donner vie à mes dessins. Comme je serai incapable de le faire, Il me jugera comme une mécréante et Il me jettera en enfer. Le dessin était une grande passion pour moi, cela me permettait d’évacuer mes émotions, de partir dans un autre monde. J’ai tout arrêté du jour au lendemain. Ne serait-ce que dessiner un soleil, on me l’avait interdit, sous prétexte que c’était quelque chose que Dieu avait créé.
Pour supprimer les représentations humaines qui m’entouraient au quotidien, j’ai dû brûler des rideaux, des tentures et des photos que j’avais. J’avais peur de marcher dans la rue et de me laisser aller à regarder une publicité… Je ne quittais pas mes pieds du regard, et je renforçais mon niqab pour me protéger. J’ai également effacé toutes les photos de moi sans voile intégral que ma mère avait sur son ordinateur, jusqu’à ma naissance… J’avais peur que Dieu m’en veuille parce que j’étais complice de mécréants qui voulaient l’égaler. C’était moi qui avais autorisé ma mère à prendre la photo, c’était moi dans le cadre, donc c’était moi qui avais péché. Au final, j’ai détruit pratiquement tous mes souvenirs d’enfance. »