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Conférence d’un aumônier musulman dans les prisons savoyardes (1989-2012).
200 établissements constituent l’ensemble des prisons en France, dont la moitié existe depuis 1912. Dans les cellules de 9m2, les sanitaires ne sont pas cloisonnés. Les hommes représentent 97%. 18% sont étrangers. 980 places sont réservées en France pour les mineurs. Les personnes avec des troubles mentaux représentent 22% des effectifs. Le taux des récidives est de 31%.
La prison a trois fonctions : la 1ère évidente est la mise à l’écart de la société. La 2ème est d’infliger une peine, une souffrance. Le régime carcéral est indiscutablement une souffrance. La 3ème mission assignée à la prison, hélas n’est pas remplie totalement. C’est la réinsertion, la préparation au retour dans la société des hommes libres. Paradoxalement, on n’a pas donné à l’institution pénitentiaire, les moyens d’assurer cette mission de réinsertion efficacement.
Devant la porte de la Maison d’Arrêt de Chambéry en service depuis 1936
Comment expliquer ce sacerdoce d’aumônier dans les prisons pendant 23 ans ? J’ai connu des situations de rejet et d’injustice voir de mépris parfois envers des personnes. Il y avait aussi de l’amitié et de fraternité, je peux en témoigner aussi. Ma mère et ma grand’mère m’ont ressourcé sur le plan affectif, une grande profusion d’amour, voilà des indications qui ont sûrement une signification.. Cette condition m’amènera à m’impliquer dans les souffrances des hommes; des malchanceux de la vie. Et quand plus tard…quand je me trouve dans un milieu de désespérés et d’écorchés,…je trouve, …de façon magique… les mots qui conviennent le mieux, les mots chaleureux… qui confortent … enfin, je le crois. C’est comme une maman…. C’est dans ces conditions difficile, en 1954 au début de la guerre d’Algérie…que je traverse la Méditerranée, pour venir en France terminer mes études. J’avais 17 ans. Je découvre un monde nouveau.
A mon arrivée en France, je suis recruté moniteur dans une colonie de vacances, les enfants (11-14ans), sont tous autour de moi ; ils écrivent, prennent des notes sur l’histoire que je leur raconte. Le directeur me dit que j’ai des dispositions et m’indique les démarches à faire pour accéder au métier d’éducateur.
Je vais découvrir le rejet de l’islam. Cela aura un effet drastique sur moi… Cette situation va me bouleverser. A la suite de mes fonctions d’éducateur, je crée des associations pour apporter un éclairage différend sur ma religion. J’organise des échanges avec les pays du Maghreb (23), dans le but de modifier les mauvaises images. Je m’engage dans l’aumônerie pénitentiaire dans les deux prisons en Savoie, et j’écris des livres pour informer et expliquer. Je retrouve en France dans les prisons, les fléaux de la société. Sartre, Foucault, Deleuze parlent sans hésiter ‘d’indignité’ dans le monde carcéral.
Les Musulmans sont, paradoxalement, majoritaires dans les prisons avec un taux de remplissage supérieur à 55%. Je refuse la fatalité. Ce type de préjugé, aggrave les situations au sein des populations incarcérées. Cette « hostilité » déclarée contre l’Islam, va intensifier l’attachement des musulmans à la religion, elle devient, pour les détenus, une sorte… de forteresse identitaire.
Elle sera un obstacle à l’intégration, au rapprochement avec d’autres cultures, avec la France qui nous acceuille. Cela peut mener à la radicalisation du discours religieux islamique, il sera une réponse réactionnelle à cette dialectique « dominants-dominés ». Dans ce cadre, la logique d’opposition alimente les ressentiments des musulmans envers ce qui peut venir de l’Occident. (On ne nous aime pas !).
Les détenus, dans les prisons, sont réellement dans le désarroi, et fragilisés à trois endroits sensibles : la famille, le travail, le loyer de l’appartement. Prozac, surpopulation, violences marquent la vie quotidienne. Certains sont dans la dépression, dans la souffrance, très proche du suicide. Quelques uns passent à l’acte. Les détenus sont dans les ténèbres les plus noirs et parfois, c’est ainsi qu’ils passent aux gestes ultimes, attentent à leur propre corps.
En milieu carcéral, on confond l’ensemble des musulmans, dans une même défiance, avec l’affaire Kalkal, Ben Laden, etc. Les prières sont très suspectées, la viande halal est hypothétique.
Ils existent plusieurs catégories de prisons : Les Centrales, les Centres de Détention, les Maisons d’Arrêt. Les délinquants sexuels, les pervers, (des malades), sont nombreux dans les prisons.
L’objectif de l’aumônier : Atténuer les effets déshumanisants. Témoigner de la réalité carcérale, et faire des propositions positives sur l’usage des prisons, sur les sanctions dites alternatives, sur la réinsertion à la sortie. Cette réflexion est élaborée avec les associations (GNCP, ANVP, Croix Rouge, FARAPAJ, FNARS, GENEPI, Secours catholiques, UFRAMA), afin d’échanger sur l’univers carcéral et collaborer sur des valeurs communes. – Il faut rappeler le respect de l’humanité pour toutes les personnes incarcérées – Croire à la réinsertion de chacun, – Résister à toute forme de fatalisme, – Ne faire aucune distinction entre les personnes, – Résister et ne pas se taire sur les dysfonctionnements.
L’écoute est très importante en milieu carcéral, c’est aussi une grande école. On permet au détenu de bien exprimer sa peine, de soulager en partie sa grande souffrance. Quand on sait écouter, on sait ensuite quoi dire et quoi faire… La parole est une occasion du dévoilement et d’élévation de la pensée. Celle de l’aumônier apporte le sens de l’existence, elle guérie. Il faut que les détenus aient confiance dans leurs ressources intérieures ; il faut les convaincre que, dans ce monde indifférent, ingrat, insensible à la souffrance, ils ont une capacité latente en eux. Méditer, c’est aussi affronter… Cette force, cette capacité à faire silence en soi rend plus serein et plus fort. Dans la théologie catholique, l’écoute de l’autre est liée au sacrement … celle du Protestant à une parole de la grâce, l’écoute dans la dimension musulmane ouvre vers Dieu ! Elle nous met en communion avec Dieu,… qui Lui est attentif à la vie des hommes.
Réunion des aumôniers hospitaliers au CHM d’Aix les Bains.
Comment j’aborde les questions religieuses avec les détenus ? Au cours des rencontres qu’ils attendent avec beaucoup d’impatience, on lit ensemble quelques sourates du Coran. Nous parlons du Prophète Mohamed, des versets coraniques, mais je parle aussi de Moïse, de Jésus…. ils sont vénérés dans le Coran. Je leur dis : « Moïse et la Thora, ça fait un Juif », « Jésus et la Bible, ça fait un Chrétien », « Mohamed et le Coran, ça fait un Musulman ». Moïse, Jésus, Mohamed sont au même niveau prophétique. Ils sont mentionnés dans le Coran, comme étant des messagers de Dieu, ceux sont des « Rasoul ». Donc, qui suis-je pour dire que tel prophète est meilleur que tous les autres ? Je rappelle aussi l’écriture coranique « Je n’adore pas ce que vous adorez et vous n’adorez pas ce que j’adore ! ». Ce sont les paroles de Dieu, pas les miennes. Jésus est considéré comme le Prophète qui a apporté un des textes saint, dans lequel les musulmans croient également. On l’appelle « Injil »… le ‘Nouveau Testament’. Nous appartenons tous à la même famille, nous avons le même Dieu.
Il faut délivrer l’Islam de tous les fanatismes et fondamentalismes. Je parle aux détenus de mes écritures…. « Tlemcen dans l’Histoire à travers les contes et les légendes ». « Arriveront-elles à penser dans les pluralisme culturel et éthique, caractéristique de la société ? » puis vînt ce moment terrible actuel où le monde de l’Islam se referme sur lui-même et s’enfonce dans l’intolérance et le rigorisme.
J’ai appris à aimer les pauvres, à faire la charité envers les plus démunis. J’ai un besoin de dénoncer les crispations identitaires. J’ai donc plongé dans l’univers des dérives. La perte d’identité, les souffrances en sont les conséquences. On rentre dans une spirale de mal être. L’intégrisme, l’intolérance, le racisme et la xénophobie restent des défis graves, aux valeurs de la société, pour nous, en France. Cette France que nous devons aimer.
Le centre pénitentiaire d’Aïton, ouvert le 15 juillet 1992, est situé dans la vallée de la Maurienne, dans la commune d’Aiguebelle, à 20 km d’Albertville et 40 km de Chambéry. Il comprend un quartier maison d’arrêt et un quartier centre de détention et reçoit uniquement des détenus hommes majeurs.
Les aménagements de peine : 5800 en 1/2 liberté + les bracelets électroniques, sur un effectif total de 68.000 détenus. La France est le pays qui consacre le moins d’argent par habitant à ses prisons. Certains détenus, fragiles, suivent en prison le modèle qui se présente à eux. Ils sont les victimes consentantes de leur viol moral. Nombreux sont ces fondamentalistes, ces hommes qui refusent toute évolution, bien installés dans les prisons : Les Frères Musulmans, les Salafistes, le Tabligh pakistanais. Dans les prisons la méconnaissance de l’Islam et le prosélytisme sont notoires. C’est vrai qu’on leur donne du grain à moudre à ces chantres du fanatisme qui profitent des injustices et des déséquilibres sociaux pour s’insérer dans la société et propager des discours de haine. En 2005, 175 détenus prosélytes, en 2006, 205 mélangent la politique et la religion. Ils incitent les nouveaux convertis à s’engager en Afghanistan et rejoindre Ben Laden.
Pour être aumônier, il faut une bonne connaissance des textes religieux, mais aussi une bonne connaissance des institutions françaises. Je leur enseigne… l’autre manière de lire le Coran. Ce n’est pas celui dont on parle dans les médias, ni dans les prisons : Revenir à la Sira, (la biographie du Prophète), revenir aux Hadiths, cela donne des ailes et non des chaines. Il y a un contexte à rappeler…ce sont les circonstances de la Révélation. Nombreux se renferment dans une sorte de caricature, il y a des versets abrogés et des versets abrogeant…cela pour saisir le sens des ces versets. La parole de Dieu se présente comme une transcendance dans le moment où elle est dite…en rapport avec la vie pratique, celle qui prévaut à cette époque.
Le fait de penser le Coran est un exercice délicat. J’écris un autre ouvrage, pour clarifier ces informations aux détenus, pour rectifier le sens des lectures : « Le Soleil de Demain » avec comme sous titre « Islam et laïcité à l’aube des Temps modernes ». Nous abordons des domaines délicats : Le Coran est-il créé ou incréé ? Nous parlons laïcité.
A la fin du X° siècle, de grands débats faisaient parti du monde musulman grâce aux Mutazilites.. Leurs thèses progressistes et révolutionnaires, apparaissent infondées par… Ibn Hambel, malheureusement approuvé par Ibn Taymiyya, au XIVème siècle. Au XIIème siècle, Averroès avec les traductions des savants juifs et arabes d’Aristote, reprend la thèse de la Raison, qui a un nom : “Elmania”, et ensuite “Ladinia”. Les courants de pensées seront; malheureusement clôturés, le débats seront dorénavant remplacés par des dogmes.
A chacune de mes étapes en tant qu’aumônier, je me sens impliqué, responsable. Lorsque je réfléchi sur mes actions et leurs opportunités, elles me paraissent comme ne venant pas de moi. Mes amis me parlent d’apostolat ; cela m’aide à penser que mon rôle est utile… aider autrui, c’est la quête première qu’il faut cultiver dans notre société. Dans mon horizon, il s’agit de construire un monde humaniste, fraternel où les humbles, les détenus, sont aidés. L’action à réaliser est liée à une conception de vie. Il se produit alors un ferment, un levain pour les hommes qu’il faut accompagner et transformer. Finalement, je ne serais que l’instrument de la Providence. On ne peut pas échapper à son destin. Je me trouve dans cette trajectoire, comment l’expliquer autrement ? Et comment accéder à sa propre vérité ? Ce que nous dit St Augustin : « Le bonheur c’est continuer à désirer ce qu’on possède ». Celle de Charles Nodier : « Il y a deux choses qui servent le bonheur : c’est de croire et d’aimer ! ». Et un aphorisme que je fais mien : « Les mots nous divertissent, les actes nous unissent ». Je me suis, aussi, lancé dans des quêtes métaphysiques. « Quoi faire de positif, intellectuellement et spirituellement, face au désenchantement de notre civilisation ? », et « Comment améliorer les choses pour nous tous, comment reconstruire et COMMENT apporter un sentiment de sécurité et de confiance aux hommes ? ». ” Dieu en se retirant ne nous a pas laissé les mains vides.. Quelque chose de lui est passée en chacun de nous, qui ne demande qu’à être cultivée”.
Des remémorations en août 2019. Plus tard, cinq années après avoir arrêté l’aumônerie dans les prisons, j’ai écris un ouvrage essentiel : “Pour une meilleur intégration des Musulmans de France”. Son titre : “La Laïcité, une conquête de l’esprit humain”. (édition : les 3 Colonnes : 2018) “J’ai accompagné les personnes qui souffraient, j’ai transmis des messages d’espérance, j’ai indiqué le chemin de réalisation personnelle…….. J’ai indiqué le chemin de la vie”.. « N’est-ce pas au souvenir de Dieu que s’apaisent les coeurs ? ».
L’auteur nous engage à promouvoir une « laïcité » fondée sur le « respect de toutes les croyances ». L’école de Jules Ferry a été une institution remarquable, en son temps, mais à présent, les besoins ne sont plus les mêmes. L’école de demain doit s’ouvrir sur le monde, apprendre à vivre avec l’autre. Dans ce qui les distingue, ce qui les rapproche, le Judaïsme, le Christianisme, l’Islam, etc. ne peuvent plus s’ignorer. Cet ouvrage tend la main à toutes les cultures et à toutes les religions. On y trouve un profond esprit humaniste qui vise à mettre tous les citoyens à égalité. La neutralité confessionnelle, l’égalité de tous devant la loi, la liberté de conscience, d’opinion et d’expression, sont fortement affirmées. Pour nos sociétés contemporaines, c’est une véritable chance de paix.
Foudil Benabadji a fait sa carrière à la Protection Judiciaire de la Jeunesse et à la Sauvegarde de l’Enfance. Diplômé de l’École Nationale de la Santé Publique (ENSP) de Rennes, de l’école des Hautes Études des Pratiques Sociales (DHEPS) à l’Université de Lyon II. Licencié en Sciences de l’Éducation, il a dirigé divers départements d’éducation. Fondateur de l’Union Des Enfants d’Abraham (UDEA), administrateur à la Conférence Mondiale des Religions pour la Paix (CMRP) et au Comité Directeur de la Fraternité d’Abraham, il se consacre au rapprochement des religions aspirant à l’émergence d’un nouvel humanisme universel, respectueux des racines de chacun. Il est également expert en dérives et radicalisation (1er prix, ex-æquo, André Chouraqui), chercheur dans le social, Palme d’Or du Bénévolat et Chevalier de la Légion d’honneur (2015).