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Pasteur Frédéric Verspeeten,
Église protestante unie de France
LAICITE : Rappels historiques
Depuis la révolution de 1789, par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la France a ouvert la voie à la liberté religieuse.
Par cette déclaration elle proclame en son article 10 que personne ne doit être inquiété pour ses opinions même religieuses sauf trouble à l’ordre public. La liberté de culte n’était pas gagnée pour autant !
En effet, ce principe a été contesté : d’une part par les ultras, qui souhaitaient le retour à la religion unique du roi de France et, à l’autre extrême, par la tentation de faire disparaître toute trace de manifestation d’un culte dans la société en promouvant le culte de la raison. Les cléricaux souhaitaient que la religion catholique retrouve une dimension institutionnelle, tandis que les anticléricaux allaient jusqu’à refuser toute religion.
Il faudra attendre les articles organiques de Bonaparte pour que les différents cultes chrétiens et juifs soient reconnus et encadrés !
La promulgation, le 9 décembre 1905, de la Loi de séparation des Églises et de l’État, dans un contexte très conflictuel entre les cléricaux et les laïques ouvre enfin un cadre pour l’expression des religions et les situent par rapport à l’État.
Cette loi a d’abord été préparée par Émile Combes, très anticlérical, puis son projet a été repris de façon moins radicale par Aristide Briand. L’objectif de la loi n’était pas de faire disparaître les Églises, mais de les séparer de l’État.
Ainsi, cette loi assure la liberté de conscience et interdit le financement des cultes par l’État.
Voici dans ses deux premiers articles, ses principes :
– Article 1er : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public. »
– Article 2 : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. (…). »
Le reste du texte fixe les modalités d’application de celle-ci (répartition des biens de l’Église, associations cultuelles, etc.)…
Qu’en est-il aujourd’hui ?
Même si de nos jours certains s’interrogent sur la pertinence de ces principes et sur la manière dont ils ont été mis en œuvre, il n’en demeure pas moins qu’ils sont essentiels.
En France les protestants ont été les premiers acteurs de la laïcité, pour faire reconnaître pour eux-mêmes et pour les juifs, la même liberté et les mêmes droits que pour les catholiques.
Dans le cadre maintenant du dialogue inter-religieux ou inter-convictionel, la laïcité, telle que la définit précisément la loi de 1905 peut être comprise comme un état d’esprit qui permet de vivre ensemble dans la paix et le respect des convictions de chacun.
– La loi de 1905 permet la liberté de culte, la liberté de conscience, la neutralité et la séparation de l’État vis-à-vis des religions…
– La laïcité protège les cultes : c’est une chance pour tous.
– La laïcité garantit la liberté d’expression sans nuire à autrui.
– La citoyenneté l’emporte sur la croyance.
– Le Concile Vatican II, côté catholique, encourage les catholiques à aller à la rencontre de l’autre, porteur d’une richesse, car chaque religion, même non chrétienne, peut avoir des rayons de lumière qui éclairent notre propre tradition chrétienne.
– La différence enrichit chacun d’entre nous.
Nous sommes donc dans une logique qui permet aux traditions religieuses tout en gardant leurs spécificités d’entrer en dialogue et de vivre ceci en tant qu’acteurs dans la société.
La laïcité le permet. Les traditions religieuses peuvent dialoguer entre elles, mais elles le font aussi dans la société. Elles interrogent les évolutions de notre société, mais elles sont aussi amenées à rendre compte de ce qu’elles proposent dans l’espace public et dans la vie de tous les jours sans imposer leurs règles particulières à tous.
Alors comment entrer en dialogue ?
Il s’agit ici d’évoquer brièvement les convictions qui peuvent nous guider en cette matière dans le contexte particulier de notre laïcité française.
Il n’est pas certain, il est même plutôt évident, que le dialogue inter-religieux ne se déroule pas de la même manière dans d’autres pays. Il y a, il faut le dire et ne pas se voiler la face, des pays où la liberté religieuse est plus ou moins tolérée, voire impossible ou encore tellement encadrée, réglementée qu’il est légalement inconcevable voire interdit de changer de tradition religieuse.
Dans un groupe inter-religieux tel que nous le vivons en France, il pourra donc y avoir des personnes qui vont adopter des approches différentes qui peuvent se résumer en quelques mots. Dialogue en vue de faire adhérer l’autre à notre point de vue et l’amener à reconnaître la supériorité de notre point de vue ce que l’on qualifie de manière usuelle, d’exclusivisme.
À côté de cela il y a aussi l’attitude qui conduit à l’inclusivisme, qui revient à dire que notre tradition est meilleure et de travailler à y intégrer les autres.
À côté de ces deux démarches il y en a encore deux autres :
– le syncrétisme, dans ce cas chaque tradition, est considérée comme apportant à côté des autres un reflet de la lumière divine et il serait vain de vouloir les changer.
Enfin, il y a le pluralisme qui considère que personne n’est dépositaire de la vérité totale et absolue, que nous sommes à flanc de montagne, que personne n’est au sommet et que chacun doit persévérer dans l’écoute mutuelle et dans l’approfondissement de sa propre voie.
Dans cette approche, l’autre différent dans ses traditions religieuses n’est plus à condamner ou à exclure de l’œuvre cachée du salut de Dieu. Il n’est plus considéré comme un aveugle qui marche dans les ténèbres et à qui il faut apporter nécessairement la vérité.
Dans cette optique on est amené à reconnaître que chacun monte progressivement vers le sommet de la montagne, mais que chacun est à un niveau différent de cette ascension jusqu’à Dieu qui est au sommet.
Nous retrouvons cette approche chez Raimond Panikar. Panikar n’entend pas ce dialogue comme un dialogue abstrait, théorique, un dialogue sur les croyances, mais comme un dialogue humain en profondeur dans lequel se cherche la collaboration de l’autre pour une mutuelle réalisation, du moment que la sagesse consiste à savoir écouter.
Comme nous le voyons, il pourrait y avoir des freins aux échanges. Je suis personnellement convaincu que la meilleure manière d’entrer en dialogue devrait adopter comme conviction première, l’optique de la construction de la Paix, la recherche de La Paix.
Quant, j’évoque ce thème, je ne le dis pas de manière idéaliste et vaguement syncrétiste, je sous-entend la paix avec nous-même, avec les autres de toutes traditions et la paix avec Dieu ou l’ultime.
Cela conduit les participants au travers des échanges à reconnaître à leurs traditions une certaine relativité, car en fait, quel humain pourrait parler de Dieu de manière juste et totalement exacte ?
En parlant de Paix nous sommes amenés à d’abord faire le tri dans nos traditions respectives afin de discerner ce en quoi elles ont été porteuses de divisions, de refus de l’autre, de péché de supériorité ? Ici, j’emploie volontairement le mot péché alors qu’en général je le trouve trop usé ou incompréhensible pour bon nombre de nos coreligionnaires ou contemporains…
Le dialogue, c’est donc : Ne pas vouloir chercher chez les autres ce qui est important pour nous, mais accepter d’être dépaysé, décentré, reconnaître les limites de notre vocabulaire, nous donner une trajectoire commune afin qu’au-delà des échanges chacun progresse et que nous progressions un peu ensemble. Mais là ne s’arrête pas la liste des principes à adopter, il faut aussi me semble-t-il juger la tradition des autres par ce qu’elle porte de bon, être conscient des dérives intégristes, reconnaître que cela existe au sein de nos traditions et combattre les discours déformants. Par ailleurs, nous ferons parfois l’expérience de discours qui en apparence sont opposés, mais cela ne veut pas dire que ces « voies » ne proposent pas la libération de notre être pour aller vers une transformation existentielle.
Alors en dialogue n’ayons pas peur des moments de silence où il est préférable de réfléchir, d’entendre, de ré-entendre, de comprendre pour ne pas caricaturer. Selon moi la caricature véritable ne se traduit pas par des dessins plus ou moins jolis d’ailleurs, mais par des pensées déformantes. Il faut avouer que parfois les religions au nom de leur prétendue supériorité peuvent y prêter le flanc. Le dialogue est possible dès lors que nous dépassons nos peurs pour reconnaître en l’autre un ami inconnu qui cherche dans sa souffrance le chemin de la vie en plénitude. Il n’est pas nécessaire de posséder un savoir théologique absolu et parfait des traditions anciennes de nos religions pour être un bon acteur du dialogue. Certes, cette connaissance est utile, mais si elle nous stérilise dans l’idée selon laquelle les idées du passé ne doivent pas être remises en cause nous échouerons dans le dialogue de manière certaine. Le dialogue est cette école où l’on apprend à renoncer un peu à notre orgueil et au mépris.
Nous voilà donc convoqués à entrer dans la vérité de l’accueil du prochain par le chemin du respect, de l’amitié, de l’humilité, de la patience et de l’écoute. Quant au reste laissons Dieu faire, mais proclamons haut et fort qu’en matière de religion nul ne peut nuire à son frère !
Ainsi, pour conclure, relisons et gardons serrée contre nos cœurs cette parole de Jésus cité dans l’évangile selon Matthieu au chapitre 7, verset 12 : « Ainsi, tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le vous-mêmes pour eux : c’est la Loi et les Prophètes ».
Plusieurs défis nous sont donc adressés dans la vie quotidienne.
Il ne s’agit pas de taire sa religion, mais d’être ce que l’on est, comme l’on est, là où l’on est, en respectant la liberté de l’autre dans le dialogue (ce qui est différent du prosélytisme, qui, lui, exerce une pression sur l’autre).
Chaque religion n’a pas vocation à se replier dans la sphère du privé, mais à contribuer à la paix, à tisser du lien social.
Le dialogue inter-religieux entre confessions et dans la société en général doit viser à favoriser la cohésion sociale qui est toujours un équilibre fragile.
Le dialogue inter-religieux permet «le vivre ensemble» pour pouvoir «faire ensemble»…
La tolérance est différente du respect. La tolérance a un côté péjoratif, de jugement, de dominance de l’autre. Il s’agit de favoriser le respect. Mais nous pouvons aussi travailler encore plus à la fraternité.
Face aux évolutions de notre société nous devons faire face au défi de l’ignorance qui est le terreau de l’intolérance et du fanatisme. Cela relève de l’éducation dans nos lieux de culte, dans nos engagements envers les autres au sein des associations, mais cela relève aussi de l’école de la République. C’est ici un autre aspect que je n’aborde pas d’autres le feront…
Pasteur Frédéric Verspeeten,
Église protestante unie de France