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La Marseillaise un chant de “guerre” et “barbare”?
Après une rencontre mouvementée avec des jeunes issus de centres sociaux à Poitiers, la secrétaire d’État à la jeunesse vient de lancer une inspection. Par Marie-Estelle Pech
Sarah El Haïry, lors d’une visite dans un lycée. SEBASTIEN SALOM-GOMIS / AFP
La scène se déroule dans un contexte tendu. C’était le 22 octobre dernier, à Poitiers, peu après l’assassinat de Samuel Paty. L’hommage d’Emmanuel Macron a été rendu la veille. Sarah El Haïry, toute récente secrétaire d’État à la Jeunesse et à l’Éducation auprès du ministre de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports, a décidé d’aller rencontrer 130 jeunes de 15 à 20 ans qui depuis deux jours ont été réunis par la Fédération des centres sociaux et socioculturels de France (FCSF) pour débattre des religions. Un thème sur lequel ils travaillent depuis plusieurs mois après avoir évoqué l’année précédente sur l’écologie. Ils espèrent dialoguer avec la jeune ministre et préparent des propositions qu’elle est venue recueillir, raconte son entourage au Figaro .
Le dialogue de deux heures fini par tourner court car certains jeunes soutiennent des positions que la jeune secrétaire d’État n’admet pas. L’un d’eux veut «interdire le droit au blasphème », un autre affirme que «les journalistes sont pros israéliens », des jeunes femmes jugent obsolètes la loi de 2004 sur l’interdiction des signes religieux à l’école et émettent le souhait de porter le voile au lycée. Une élue locale, adjoint de l’actuelle maire EELV, Léonore Moncond’huy, en rajoute qualifiant cette loi d’«islamophobe ». La secrétaire d’État explique pourquoi elle est en désaccord avec les propos tenus et défend la loi de 2004. À la fin de la réunion, elle décide d’entonner La Marseillaise , «pour créer un mouvement commun.» «Je suis particulièrement seule. Je cherche l’unité autour de l’hymne, mais personne ne se lève, au début, personne ne chante, ce qui n’est plus le cas à la fin », a-t-elle expliqué au Point . Des jeunes femmes voilées vont ensuite lui reprocher d’avoir chanté un chant «guerrier » et «barbare» alors que les religions professent «la paix».
Dialogue difficile
Alarmée par l’ensemble de ces échanges, la ministre a téléphoné au premier ministre Jean Castex, après cette rencontre, pour le tenir au courant. Pour comprendre comment ont été encadrés ces jeunes et pourquoi leurs propos ne semblent alerter personne, elle a demandé début novembre au ministère de l’Éducation nationale de diligenter une inspection de la Fédération des centres sociaux, qui encadrait ces débats. Si les associations jouent un rôle essentiel sur le terrain, elle entend «dénoncer avec force celles qui se fourvoient et mettent à mal notre pacte républicain ». Un représentant de la préfecture aurait ainsi fait enlever un panneau, peu avant la rencontre, intitulé «La France laïque, mais pas trop…», sous-entendant qu’elle ostracise les musulmans. Comment les encadrants peuvent-ils laisser passer cela, s’interroge encore l’entourage de Sarah El Haïry.
Président de la FCSF, Tarik Touahria, lui, ne se remet toujours pas de cette séquence et de l’inspection: «Le dialogue a été très difficile. Il y a eu une réelle incompréhension entre la ministre, les jeunes et nous. Ces jeunes sont venus se réunir et travailler sur leur temps de vacances. Ils ont effectivement tenu des paroles libres qui ont pu étonner. Mais il ne faudrait pas oublier leur âge. Nous, nous partons de ce qu’ils nous disent pour les accompagner vers davantage d’autonomie et d’indépendance d’esprit », explique-t-il au Figaro . La ministre a été choquée parce que «certains évoquaient des contrôles policiers et se disaient victimes de discriminations. Mais c’est leur réalité. Même si on a le droit de ne pas être d’accord avec leur terminologie. De même, lorsqu’ils ont critiqué la loi de 2004, je n’ai pas trouvé cela choquant même si je ne soutiens pas ce qu’ils racontent. Ce n’est pas une loi taboue dont on ne peut pas discuter », estime-t-il.
«La plupart des personnes présentes n’ont pas compris que ce temps de débat se termine par La Marseillaise. Elles étaient abasourdies. Même la députée LREM présente ne s’est pas levée », poursuit Tarik Touahria. Les jeunes ont peu ou pas chanté ce qui ne signifie pas qu’ils ont remis en cause l’hymne national, insiste-t-il encore. L’homme se dit «confiant » sur les conclusions de l’inspection car «nous n’avons rien à nous reprocher. Nous défendons évidemment la laïcité ». Les 1200 centres sociaux français, financés par le ministère de l’Éducation nationale et le ministère de la ville ainsi que par les caisses d’allocations familiales sont «en première ligne dans les quartiers face aux intégristes, au quotidien. Et on se fait attaquer? Ce n’est pas sérieux, c’est scandaleux. Cette affaire nous prend beaucoup de temps alors que la précarité éclate dans les quartiers à cause du Covid, l’ambiance y est terrible… Nous avons d’autres urgences à traiter » s’agace-t-il.