Le voile, le voile, le voile… Jusqu’à l’indigestion. Après le voile du quotidien, le burkini, puis le hijab de sport, puis le mouvement associatif des Hijabeuses voulant l’imposer dans les compétitions sportives et particulièrement footballistiques, puis… Jusqu’où, jusqu’à quand ?
Ce bout de tissu islamiste ne cesse d’empoisonner le débat politique et sociétal et revient avec plus d’insistance dans les périodes électorales, même s’il étend sa toile au quotidien. À mi-chemin entre l’accessoire de mode, l’outil de revendication politique et le marqueur communautaire, il symbolise à la fois l’ère identitaire comme l’utilisation de celle-ci pour faire avancer la cause de l’islam politique et participe, en France, d’un mouvement qui dépasse largement la question religieuse et lutte sournoisement pour abattre un des piliers de la République qu’est la laïcité héritée de la loi de 1905 et l’universalisme.
Mais, le voile, pourquoi pas, après tout.
Le hijab fait même parfois un grotesque pied de nez à ses prétentions pudiques. Paradoxes quand tu nous tiens.
Le voile n’est aujourd’hui rien d’autre que la douce épée de subtils barbus voulant semer le chaos en profitant des improbables alliances offertes par une gauche qui ne sait plus à quel saint se vouer pour exister.
Benjamin Sire
Sauf que… Jusqu’à quand les belles âmes refuseront de comprendre que sa prolifération, tant sur notre territoire, que dans le débat public, est le fruit d’une patiente et insupportable offensive politique visant, derrière la simple question vestimentaire, à banaliser les préceptes islamistes, mais aussi un différentialisme, source de toutes les divisions, qui, a contrario de la simple pratique religieuse, sont parfaitement incompatibles avec nos principes républicains ?
Si à l’origine, ce voile, bien antérieur à l’existence de la religion musulmane, n’est pas tant un symbole de soumission de la femme, que de distinction, notamment avec les esclaves ; s’il n’est, ensuite, pas un commandement clair de l’Islam – au point que les exégètes du Coran eux-mêmes ne s’accordent pas sur le sens des sourates et versets qui sont censés plus ou moins le recommander – il n’est aujourd’hui rien d’autre que la douce épée de subtils barbus voulant semer le chaos en profitant des improbables alliances offertes par une gauche qui ne sait plus à quel saint se vouer pour exister.
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Tandis qu’Éric Zemmour et d’autres agitent le spectre du «grand remplacement», la vérité impose de dire que si, selon le Pew Research Center, la part des musulmans augmente sur notre territoire, étant passé de 7,5 % à un peu plus de 10 % dans la dernière décennie, cette évolution ne représente pas une explosion. (Et je parle bien de musulmans croyants et non d’immigration ou de l’ensemble des personnes originaires du Maghreb, d’Indonésie ou d’Afrique subsaharienne, où se mêlent musulmans, athées, chrétiens et autres animistes). Les chiffres sont discutés et discutables et leur précision importe peu dans ce contexte. Ce qui est certain c’est que le voile, lui, s’est répandu comme une traînée de poudre dans nos rues durant la dernière décennie. Et c’est cela qui compte. Pourtant rien n’indique que les conversions sont particulièrement en hausse, bien que la question soit assez peu renseignée. Ce qui transparaît, c’est le changement d’attitude face à l’appartenance religieuse. Si la foi ou la conversion se vivaient encore de manière mystique et intime jusque dans les années 90, elles sont aujourd’hui le fruit d’une revendication identitaire et politique, d’où la volonté de les affirmer de manière visible. C’est à la fois un facteur d’appartenance, mais aussi une manière de défier les autres communautés, de leur adresser un message qui selon d’où il vient est une simple demande de reconnaissance ou une menace.
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Face à ce phénomène, nombreux sont ceux qui, davantage que de s’en inquiéter, accusent les personnes qui en parlent, comme je le fais à l’instant. Évoquer cette question serait au mieux la rendre plus sensible, au pire faire le fameux jeu de l’extrême droite, si ce n’est pas carrément témoigner que l’on en est. La bonne blague. Si, de la droite actuellement en campagne dans le sillage de Valérie Pécresse, en passant par les supporters de Marine Le Pen ou d’Éric Zemmour, nombreux sont ceux qui instrumentalisent cette question, tant à des fins démagogiques que pour exprimer leur détestation des Arabes bien davantage que des musulmans (ceux-ci ne se cantonnant pas à la sphère maghrébine), la réalité impose de préciser que ce sont la plupart du temps des collectifs islamistes, souvent proches des Frères musulmans ou de fans de la charia qui imposent le sujet dans le débat public et, à travers la question vestimentaire, mais aussi d’autres, comme les demandes de créneaux dans les piscines, cherchent à obtenir des droits communautaires spécifiques en opposition avec les principes républicains. Ce fut le cas du burkini, dont les musulmanes n’avaient pas spécialement besoin il y a encore peu de temps pour se baigner. C’est encore le cas avec l’épisode des Hijabeuses, alors même que les musulmanes, nombreuses à pratiquer le football, en France comme au Maghreb, n’ont jamais réclamé de porter le voile tandis que, oui, le règlement de la FIFA, la fédération internationale de football, l’autorise. Il n’y a qu’à voir les matchs des équipes nationales féminines marocaines ou algériennes pour s’en convaincre, rares étant les joueuses à le porter. C’est aussi, et c’est hautement symbolique, le cas dans le tout neuf championnat d’Arabie saoudite de football féminin, où il est très minoritaire, bien que parfois présent.
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Derrière la plupart de ces manifestations en mode «mon voile, mon choix », on retrouve le collectif Alliance Citoyenne, qui n’a rien de la sympathique association luttant contre les injustices sociales et pour la défense des droits civiques des femmes musulmanes, telle qu’elle se revendique, et surtout, ce qui constitue un sérieux problème, telle qu’elle est le plus souvent présentée dans les médias.
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Fondée à Grenoble en 2012, et bénéficiant du regard conciliant de l’édile locale, Éric Piolle, qui n’en est pas à sa première soumission, elle est passée maîtresse dans les techniques d’empowerment et de happenings jouant la désobéissance civile, dans le but principal d’imposer les signes et mœurs de l’Islam radical. Comme le rappelait en 2019, l’essayiste et militant laïque, Naëm Bestandji : «Après être devenue partenaire de la branche estudiantine des Frères musulmans (EMF) et du centre culturel musulman de Grenoble (qui baigne dans l’idéologie frériste), après avoir accueilli en son sein des militantes islamistes avec les conséquences que l’on connaît, l’association franchit un nouveau cap. Elle s’appuie à présent sur le CCIF, idéologiquement la branche juridique des Frères musulmans en France… » Depuis, le CCIF a été dissous , mais cela ne change rien et Alliance Citoyenne, qui a fait des petits sur tout le territoire, multiplie les coups de force et de com’, voulant imposer l’image du voile comme accessoire inhérent aux femmes musulmanes, quand bien même la majorité d’entre elles ne souhaite pas le porter ou n’y a jamais songé, quand bien même nombre d’entre elles luttent pour pouvoir l’ôter dans les pays musulmans. Et ce, jusqu’au moment ou la pression sociale sera si forte qu’elles seront obligées de s’en vêtir à moins d’envisager l’apostasie.
La loi de 1905, encore une fois, a bon dos, étant ramenée, comme souvent, à une question de liberté religieuse alors même que c’est la liberté de conscience qu’elle garantit. Mais cette distinction tend tellement à s’estomper dans le débat public que nul ne semble plus en mesure de faire la part des choses.
Benjamin Sire
Hélas, sur cette histoire des Hijabeuses, introduisant un conflit normatif entre la FIFA et la fédération française de football qui ne veut pas entendre parler du port du voile dans ses compétitions, il y a fort à parier que la France perdra, en dépit de l’opposition d’un gouvernement au sein duquel règne néanmoins une certaine discorde. D’un côté un Gérald Darmanin, vent debout contre l’association Alliance citoyenne, dont il cherche même à faire couper les subsides en provenance de l’Europe, Jean-Michel Blanquer ou encore Marlène Schiappa. De l’autre, les traditionnels accommodants nostalgiques de feu de l’Observatoire de la laïcité, d’où émergent en la circonstance, Élisabeth Moreno, la ministre chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l’Égalité des chances, qui a déclaré vouloir garantir l’usage sportif du voile en se cachant derrière la loi de 1905, même si en l’occurrence ce n’est pas elle qui en décide mais bien les règlements fédéraux et que sans doute la FIFA obligera la France à revoir sa position. Quant à la loi de 1905, encore une fois, elle a bon dos, étant ramenée, comme souvent, à une question de liberté religieuse alors même que c’est la liberté de conscience qu’elle garantit. Mais cette distinction tend tellement à s’estomper dans le débat public que nul ne semble plus en mesure de faire la part des choses.
Le voile s’impose et, outre de mettre une pression intenable sur les musulmanes voulant se l’épargner, il tend à imposer une image de l’islam qui en ferait un incontournable, mais aussi de l’ensemble de la diversité, étant de plus en plus utilisé pour la représenter.
Benjamin Sire
Pendant ce temps, inexorablement, le voile s’impose et, outre de mettre une pression intenable sur les musulmanes voulant se l’épargner, il tend à imposer une image de l’islam qui en ferait un incontournable, mais aussi de l’ensemble de la diversité, étant de plus en plus utilisé pour la représenter. On l’a vue avec les récentes campagnes européennes qui, sous prétexte de lutter contre les discriminations ou d’envisager l’avenir de la femme, ne cessent de promouvoir le hijab, à la grande joie des islamistes dont le lobbying communautaire est payant. On le voit également chaque jour davantage dans le cadre institutionnel. Ce fut le cas il y a quelques jours à Nantes où, (sans l’aval de la maire, Johanna Rolland, ni de son 1er adjoint, Bassem Asseh, il faut le préciser), le 17 février dernier, l’association Bien être et solidaire , a lancé une campagne d’affichage sur les emplacements associatifs, utilisant le logo de la ville, dans le cadre du mois de la femme, intitulée «Visages des Nantaises» , dont la première incarnation a été une femme voilée dont seuls le visage et les mains étaient découverts. Ce ne serait donc désormais pas seulement la musulmane qui serait dignement voilée, mais la Nantaise tout court. Aïe ! Évidemment, face au tollé qu’elle a provoqué, l’affiche a été retirée fissa, d’autant plus, que ce projet n’était pas soutenu ni financé par la ville dans le cadre de la journée des droits des femmes qui a lieu chaque 8 mars.
Habile… et édifiant, la publicité d’Ikéa témoigne de l’alliance des libéraux anglo-saxons comme scandinaves (bien que les Danois en soient revenus) avec les islamistes dans leur volonté d’imposer le voile comme principal marqueur de leur religion et de leur lutte contre la laïcité à la française et l’universalisme républicain.
Benjamin Sire
Et que penser de la dernière vidéo YouTube du géant suédois du meuble en kit, Ikea, dont la revendication communautariste est dans l’ADN, pour apprendre aux «mamans solos » «à agrandir la chambre de [leur] enfant, sans pousser les murs » (sic) ? On y rencontre Hayate, maman célibataire de quatre enfants, en délicatesse avec l’aménagement de son petit appartement. Hayate ne porte pas le hijab de base, mais l’ abaya, ce vêtement proche du jilbab, à mi-chemin entre le voile et le niqab, très couvrant et généralement noir, que l’on rencontre le plus souvent en Arabie saoudite où il compte parmi les tenues imposées aux femmes. Hayate et son abaya figurent ici l’un des prétendus modèles français de la «maman solo », fière musulmane qui, ainsi, ne peut pas se prétendre soumise à un quelconque mari. Habile… et édifiant, tant cette publicité témoigne de l’alliance des libéraux anglo-saxons comme scandinaves (bien que les Danois en soient revenus) avec les islamistes dans leur volonté d’imposer le voile comme principal marqueur de leur religion et de leur lutte contre la laïcité à la française et l’universalisme républicain. Réjouissons-nous néanmoins que la modeste Hayate ait pu agrandir la chambre de ses enfants sans pousser les murs, grâce au plus beau symbole du capitalisme libéral suédois.
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Les exemples de ce genre se multiplient et pour plaire à la gauche, il faudrait les passer sous silence, alors qu’eux-mêmes représentent un bruit assourdissant et menacent la communauté nationale, tout en profitant à une extrême droite qui a déjà le vent en poupe et n’en demande pas tant pour affirmer sa volonté de rendre effective je-ne-sais quelle rémigration si jamais elle accède au pouvoir ? C’est le sens du propos récent d’Éric Piolle, exprimé sur Europe 1, face à Dimitri Pavlenko, dans une intervention ayant pour but d’apporter un soutien endiablé à ses amies Hijabeuses d’Alliance citoyenne. Après avoir déclaré qu’il «ne place pas une intention derrière un vêtement », en parlant… de sa chemise, tout en reconnaissant qu’elle correspond à sa tenue de maire, donc qu’elle indique bien une intention, il a demandé : «Pourquoi […] on ne parle que de cela ? » Et bien, pardi ! Parce que c’est vous et vos camarades qui placez vos pions pour faire avancer la cause islamiste et l’inviter dans le débat.
La preuve ? Dans un live tweet que le même Éric Piolle organisait, vendredi 18 février, sur le thème «L’écologie, amie ou ennemie des quartiers populaires ? », auquel participait la crème de l’indigénisme, une participante s’est félicitée que le journaliste militant Taha Bouhafs ait ramené «la fâcheuse question du burkini […]», qui sera bientôt autorisé dans les piscines grenobloises, dans le débat, ajoutant : «qui peut prétendre faire de l’écologie populaire en restreignant les espaces de loisirs des femmes musulmanes ? », comme si là encore le burkini, invention récente, était une absolue prescription coranique, imposée à toutes vraies croyantes.
Bref, le piège est bien là. Les islamistes et leurs alliés font des happenings pour imposer leurs thèses, les républicains s’en émeuvent légitimement, et l’extrême droite en fait un sujet de campagne pour dérouler son argumentaire raciste qui dépasse de loin la question religieuse. Et plus l’extrême droite progressera, plus la pression s’exercera sur nos compatriotes musulmans pour qu’ils fassent un choix entre radicalisation et abandon de leur expression religieuse, entre tentation djihadiste et totale assimilation à fleur d’apostasie contrainte. C’est sans doute ce dont tous les extrémistes rêvent, mais cela constituerait une blessure mortelle pour notre République et les valeurs de tolérance et de commun qui l’ont fondée.
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