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Virus et krach pétrolier ébranlent le système
Confrontée à la baisse des cours du pétrole, au retard dans sa restructuration économique et à l’épidémie du Covid-19, l’Algérie combine réflexion et actions. Par Adlène Meddi, à Alger
Alors que les économistes s’inquiètent de la situation financière de l’Algérie, au sein du gouvernement, on assure que le pays « est capable de résister à l’impact de la crise ». Fonte des réserves de change, inflation de la facture des importations, recours à l’endettement extérieur… Les cauchemars des décideurs économiques algériens sont bien connus et sont devenus tout d’un coup très menaçants. La chute du prix du pétrole, au plus bas depuis fin 2002, conjuguée aux plus sombres scénarios de reprise de l’économie mondiale, a incité le président Abdelmadjid Tebboune à prendre des mesures d’urgence pour limiter les effets de la double crise, pétrolière et sanitaire.
Très dépendante des hydrocarbures, l’Algérie doit faire face à un défi économique et sanitaire. © Ryad Kramdi / AFP
Lors de la dernière réunion du conseil des ministres, le 22 mars, le chef de l’État a notamment annoncé sa décision de reporter l’examen du projet de loi de finances complémentaires. « La loi de finances, héritée de l’ex-gouvernement Bedoui, qui voulait clairement mettre des bâtons dans les roues à l’équipe qui allait suivre, pose un vrai problème au gouvernement actuel », assure une source au ministère des Finances.
Des coupes sont prévues pour dégager « les financements nécessaires aux actions urgentes ». « Plusieurs postes d’équipement et de fonctionnement incluent des ouvrages et services dont l’utilité n’était pas impérieuse et dont le budget s’est avéré complètement surévalué car lié à des prestations en dehors de l’Algérie », assure une source gouvernementale en évoquant plusieurs exemples comme « des investissements démesurés dans les réseaux ferrés dédiés au transport du phosphate ou l’extension surdimensionnée du métro d’Alger ».
Mais, pour plusieurs experts, le point noir du budget reste la part consacrée au fonctionnement. « Le gouvernement veut baisser le budget de fonctionnement de 30 % sans toucher aux salaires, tout en augmentant le salaire minimum, en supprimant l’IRG sur les bas salaires ou en recrutant 4 000 vacataires. On voit mal comment les mesures prévues pourront se concrétiser », avance, sceptique, le journaliste économique Hassan Haddouche.
Dans l’équipe chargée de travailler au remodelage du budget, on dédramatise : « La propension des fonctionnaires touchant moins de 30 000 dinars [220 euros] est très faible. Des économies importantes seront faites par ailleurs sur plusieurs études et préétudes reportées à l’année prochaine, sur des foires et des manifestations elles aussi reportées, des voyages pour certains annulés. Quant au coût de l’opération qui consiste à faire des vacataires des permanents, il a été calculé en fonction des nouvelles recettes fiscales, notamment sur le patrimoine et les vignettes automobiles. »
Tout en admettant que les marges de manœuvre sont « relativement réduites », Jean-François Dauphin, responsable Moyen-Orient Asie centrale au Fonds monétaire international (FMI), avait reconnu fin février, après sa rencontre avec le ministre de l’Industrie Ferhat Aït Ali, « une vraie volonté de changement ». C’était avant que l’économie mondiale « n’entre en récession », selon les termes de l’institution devant laquelle l’Algérie, de l’avis de plusieurs économistes et cercles de réflexion, « sera condamnée à négocier d’ici à deux années ».
Les scénarios les plus pessimistes, notamment celui de l’économiste Abderrahmane Mebtoul qui propose onze mesures pour éviter l’effondrement économique, prennent à témoin le niveau des réserves de change passées de 193 milliards de dollars en 2014 à moins de 60 milliards aujourd’hui. Toujours selon ces prévisions, un baril à 45 dollars (moyenne calculée sur l’année 2020) accélérerait la fonte des réserves de change dans lesquelles l’État se retrouverait obligé de prélever au moins 30 milliards.
Un scénario que rejettent les responsables du budget. « Ce scénario catastrophe est complètement irréaliste. Une ponction de 30 milliards de dollars représenterait l’équivalent du budget de fonctionnement de l’État après la baisse prévue des 30 %. Nous avons encore de la marge pour libérer la liquidité », défend l’un d’entre eux. « Cela dépendra, entre autres, du glissement du dinar, que l’on peut envisager de 10 à 30 %. La Banque centrale sera obligée de compenser la baisse des recettes par une correction du taux de change. »
En partant du principe que l’Algérie n’est endettée qu’auprès de l’Algérie, « d’autres mécanismes ont été prévus » par l’équipe aux commandes en cas de période plus longue d’arrêt de la machine économique. Et « avant de couper dans les dépenses inutiles, en attendant un rebond certain des prix du pétrole avant le début du deuxième semestre, l’État s’est assuré que les produits et les services de base pourraient être fournis de manière souveraine et indépendante pendant au moins une année ». « L’Algérie est capable de résister à l’impact de cette crise sanitaire et pétrolière », promet-on.
Dans les documents officiels auxquels Le Point Afrique a eu accès, la capacité installée de production électrique est supérieure de 30 % de la demande, plus de 92 % de la population est raccordée à l’électricité, à l’eau et au gaz ainsi qu’à la téléphonie mobile, les barrages sont pleins et les stations de dessalement fonctionnelles à plus de 80 %, les stocks et la production de produits raffinés sont disponibles pour les cinq prochaines années suite à l’achat et à la réfection des raffineries existantes, et, d’un point de vue alimentaire, « la production agricole, qui représente plus de 40 % du PIB, satisfait 70 % des besoins alimentaires de la population ».
« Dans l’immédiat, la question qui se pose est celle de la résilience de notre système économique et de sa capacité à faire face à cette crise sans précédent avec le minimum de dégâts possible », s’inquiète pourtant l’économiste Mouloud Hedir, ancien directeur du commerce extérieur au ministère du Commerce. « Les réformes qui depuis des années étaient chaque fois renvoyées à plus tard, que ce soit le ciblage des subventions, la révision graduelle des prix des produits de base, l’ajustement du taux de change, etc., deviennent maintenant incontournables. La politique économique doit vraiment changer de braquet face au tsunami qui pointe à l’horizon. »
Une mesure semble toutefois faire consensus parmi les experts : la baisse des importations qu’Abdelmadjid Tebboune a décidé de ramener de 41 à 31 milliards de dollars en arrêtant, entre autres, sa collaboration avec les bureaux d’études à l’étranger, ce qui permettrait une économie de 7 milliards de dollars par an. Selon les statistiques du commerce extérieur, les importations, au mois de janvier, ont déjà baissé d’un quart. « Si on extrapole sur une année, et même si cette baisse est en grande partie due au ralentissement de l’activité économique, l’objectif sera atteint », admet Hassan Haddouche.