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Pourquoi autant d’attention de la part de l’émirat pour les musulmans suisses,
Pourquoi les musulmans suisses, qui représentent moins de 5 % de la population du pays, font l’objet d’autant d’attentions de la part de l’émirat gazier ?
De Genève Ian Hamel
Le Mucivi de La Chaux-de-Fonds.
En mai 2016, le Musée des civilisations de l’islam (Mucivi) n’a pas ouvert ses portes dans une grande ville de Suisse, comme Zurich ou Genève, mais au cœur du Jura, dans la petite cité horlogère de La Chaux-de-Fonds. D’entrée, cette réalisation a soulevé des polémiques. Tout d’abord, elle est difficile d’accès, surtout en hiver quand les routes sont verglacées. Ensuite, le musée fait l’impasse sur la période antérieure à Mahomet et l’islam, et sa bibliothèque met en avant les ouvrages d’Hassan al-Banna, le fondateur des Frères musulmans égyptiens, de Youssef al-Qaradawi, qui justifie sur Al-Jazeera les attentats-suicides, et de Tariq Ramadan. Et surtout, nombreuses sont les voix, dont celle de Saïda Keller-Messahli, la présidente du Forum pour un islam progressiste, qui demandent d’où viennent ses fonds.
Selon Nadia Karmous, la directrice du musée, celui-ci est né grâce à la générosité de femmes fortunées du Golfe. Mais les documents contenus dans l’ouvrage Qatar papers contredisent quelque peu ses propos. Ses auteurs, Christian Chesnot et Georges Malbrunot, assurent que c’est QatarCharity, la plus importante ONG de l’émirat, qui a déboursé près de quatre millions de francs suisses (3,6 millions d’euros) pour financer ce Musée des civilisations de l’islam. Ils ajoutent que l’ONG devait également construire un ambitieux projet immobilier estimé à 19,8 millions d’euros, avec salle de prière et piscine avec horaires aménagés selon les sexes. Des financements venant du Golfe qui n’ont rien d’illégaux mais qui interpellent…
Toujours selon le livre de Christian Chesnot et de Georges Malbrunot, la manne qatarie s’étend aussi aux activités de Mohamed Karmous, l’époux de la directrice du musée. L’ONG aurait versé 1,4 million d’euros pour son centre socioculturel des musulmans de Lausanne. Elle se serait également montrée généreuse pour son autre centre culturel islamique, installé à Lugano, en Suisse italienne. Et à Bienne, en Suisse centrale, un courrier de la fondation Wakef Suisse, également présidée par Mohamed Karmous, remercie l’État du Qatar pour sa générosité permettant de conforter l’identité islamique des minorités musulmanes du pays « via la construction de mosquées, de centres islamiques et d’écoles coraniques ».
Pourquoi autant d’attention de la part de l’émirat pour les musulmans suisses, estimés à moins de 350 000 âmes ? D’autant que la grande majorité d’entre eux viennent des Balkans (Albanie, Bosnie, Kosovo) et n’apprécient pas forcément l’islam tel qu’il est pratiqué dans les pays du Golfe.
Le centre islamique de Genève oublié ?
Autre fait étrange, Qatar papersn’évoque pas la moindre subvention de l’émirat à destination du Centre islamique de Genève (CIG). Créé au début des années soixante par Saïd Ramadan, gendre d’Hassan al-Banna, et père de Tariq et Hani Ramadan, le CIG est pourtant la toute première mosquée édifiée par les Frères musulmans en Europe.
Comment expliquer que l’émirat, via Qatar Foundation, verse chaque mois 35 000 euros à Tariq Ramadan, et ne soutienne pas le Centre de Genève, dirigé depuis 1995 par son frère Hani ? D’autant que ce dernier n’a jamais caché son appartenance à la confrérie, alors que Tariq conteste, lui, son adhésion. Mais Hani Ramadan a toujours insisté sur son indépendance, affirmant qu’il ne recevait aucun subside de l’étranger. Âgé de 60 ans, d’un caractère ombrageux, peut-être ne supporte-t-il pas la mainmise de Qatar Charity, qui paie mais entend tout contrôler ?
« Le Qatar ne se contente pas de subventionner des lieux de prière, il cherche aussi à financer, autour des mosquées, des écoles, des centres commerciaux, des saunas, des piscines, des morgues, des projets immobiliers. Il s’agit de prendre en charge l’individu musulman vivant en Europe depuis sa naissance jusqu’à sa mort », constatait Georges Malbrunot, invité à Genève par l’association Convergences. Le co-auteur de Qatar papers n’a pas eu l’occasion de croiser en Suisse Nadia Karmous, qui ne doit guère le porter dans son cœur. Certains estiment que la sortie de son livre et la (mauvaise) publicité qui l’a accompagné ont poussé Qatar Charity, qui avait pourtant déjà investi 900 000 euros dans le terrain, à brutalement renoncer à son grand projet immobilier de La Chaux-de-Fonds.