Rédemption
La mémoire des sorcières d’Ecosse bientôt réhabilitée?
Dans le pays du nord du Royaume-Uni, la sorcellerie et ses victimes, pour la plupart des femmes brûlées aux XVIe et XVIIe siècles, sont inscrites dans l’histoire. Une campagne tente, depuis deux ans, d’obtenir la réhabilitation de ces victimes de l’obscurantisme.
«Rétablir leur nom et de rendre leur humanité»
A Edimbourg, seule une discrète fontaine à Royal Mile, la longue rue historique menant aux portes du château, couverte de fleurs et où l’eau s’est arrêté de couler, rappelle l’époque des bûchers. C’est le Witches’ Well, le puits aux sorcières, taillé par l’artiste écossais John Duncan en 1894. Sur une plaque en bronze encastrée juste au-dessus du robinet, on peut lire qu’entre 1479 et 1722 «de nombreuses sorcières ont été brûlées» à quelques pas de là. Selon les comptes officiels, 3 837 personnes ont été accusées, 500 violemment exécutées. Parmi elles, 85% de femmes.
Autour du texte sont représentés un serpent, symbole de mort mais aussi de sagesse, et une plante digitaline, utilisée tantôt en médicament, tantôt en poison. Un mélange entre le bien et le mal qui prouve que cette fontaine n’a rien d’un «mémorial» , estime l’avocate Claire Mitchell, 50 ans, contactée par téléphone le 22 février. «Ce monument ne représente pas des excuses à ces femmes injustement condamnées et tuées. Ce n’est même pas reconnaître qu’elles ont été victimes d’erreurs judiciaires.» Avec l’aide de l’enseignante et écrivaine Zoe Venditozzi, la juriste a donc lancé la campagne «Sorcières d’Ecosse» le 8 mars 2020, journée internationale des droits des femmes. Avec l’objectif de rendre visible l’histoire de ces prétendues sorcières. «Nous essayons en quelque sorte de rétablir leur nom et de leur rendre leur humanité» , déroulent-elles. Sur leur site , qui répertorie aujourd’hui 53 podcasts, le duo invite fréquemment artistes, historiens ou encore militants du monde entier pour aborder le sujet.
Claire Mitchell et Zoe Venditozzi au cimetière Howff à Dundee, en Ecosse, le 30 janvier 2022. (andy buchanan/AFP)
Surtout, elles réclament que le Parlement écossais gracie à titre posthume «les victimes de ces atrocités» , à l’instar des Etats-Unis qui avaient officiellement reconnu en 2001 le tragique procès des sorcières de Salem (février 1692 – mai 1693). De plus, elles souhaitent la création d’un monument ou de statues pour honorer celles qui ont péri dans les flammes. L’idée semble faire son chemin dans la province britannique. En décembre, un projet de loi visant à les innocenter a obtenu le soutien du Parlement écossais. «Il est juste que ce tort soit réparé, que ces personnes qui ont été criminalisées soient pardonnées», a affirmé le 19 décembre la députée SNP (Scottish National Party) Natalie Don, à l’origine de ce texte, qui devrait être voté d’ici à l’été 2022. Enfin, d’après une source officielle, des excuses nationales devraient être présentées cette semaine. «On croise les doigts» , glissait en février Claire Mitchell.
En Ecosse, la sorcellerie est devenue un crime capital en 1563. A cette époque, le roi James VI d’Ecosse considère cette pratique comme une forme de satanisme. «En raison des croyances misogynes à l’époque, les femmes étaient considérées moralement et intellectuellement inférieures aux hommes. Il était ainsi plus facile pour le diable de prendre possession d’elles et de les persuader de faire le mal» , raconte Claire Mitchell. Les accusées étaient systématiquement enfermées et torturées dans l’attente de leur procès. Manière d’extorquer des aveux avant le passage au tribunal. Les personnes reconnues coupables étaient étranglées à mort puis brûlées. Le bûcher a, à la fin du XVIIe siècle, laissé place à la pendaison.
«N’importe qui pouvait être accusé de sorcellerie»
Dans les imaginaires, les sorcières sont des guérisseuses fabriquant des potions. En réalité, les condamnées étaient «aussi des marchandes, des mendiantes… Il y avait bien sûr aussi des guérisseuses, mais ce n’était pas la majorité. C’était généralement des femmes qui n’avaient ni statut, ni biens, poursuit l’avocate. N’importe qui pouvait être accusé de sorcellerie. Vous n’aviez rien à faire de particulier. Tenir tête au patriarcat ou ne pas être dans la norme pouvait suffire.» Les hommes figurant parmi les victimes étaient souvent les maris de celles désignées comme des sorcières, relate Zoe Venditozzi.
Enfin, à travers cette campagne, les deux féministes se battent aussi pour une plus grande visibilité des femmes dans l’histoire. Car, ce qui agace les militantes, c’est que ces faits, pourtant atroces, restent méconnus, invisibles. «On parle des guerres, on a des monuments aux morts. Tout cela est important, mais nous devrions aussi commémorer l’histoire des femmes avec le même intérêt historique et la même rigueur que pour les autres sujets» , suggère en conclusion Claire Mitchell.