Tour à tour, ils se sont fait remarquer pour leur propos covido-sceptiques, le plus souvent truffés d’inexactitudes. Le verbe accusateur et le discours clivant, plusieurs médecins ont contribué à faire les choux gras de chaînes d’information en continu et ont été érigés comme porte-parole de la sphère des réfractaires aux mesures sanitaires.
Dans le collimateur des autorités de santé depuis plusieurs semaines, dix médecins sont désormais visés par une plainte du Conseil national de l’ordre des médecins (Cnom), a indiqué l’Agence de presse médicale (APM) le 10 juillet dernier. Parmi eux, la députée du Haut-Rhin et psychiatre Martine Wonner, ouvertement antivaccin et covido-sceptique ou encore l’anesthésiste-réanimateur Louis Fouché, farouchement antivaccin et le prix Nobel de médecine Luc Montagnier, qui s’est récemment illustré par ces propos fallacieux au sujet des vaccins qui, selon lui, « créent les variants » du Covid-19. Plusieurs généralistes sont également mis en cause, détaille l’agence de presse médicale : les Drs Peter El Baze, Vincent Reliquet, Denis Agret, François-Xavier Richez et deux praticiens de la Réunion, les Drs Antoine Venault et Hélène Bouscal.
Réuni en session extraordinaire fin juin, le Cnom a décidé de porter plainte devant les chambres disciplinaires de première instance ou de s’associer à des plaintes déjà existantes, notamment à l’encontre de Martine Wonner qu’avait déposé le collectif Nofakemed le 7 juin dernier. L’instance leur reproche en partie leurs propos tenus depuis le début de la crise sanitaire, en totale contradiction avec des articles du code de la déontologie médicale.
La démarche n’est pas inédite. Déjà, en décembre dernier, les docteurs Christian Perronne et Didier Raoult avaient été la cible de plaintes du conseil national de l’Ordre des médecins. Après quoi, l’AP-HP, employeur du Dr Perronne avait également décidé de mettre fin à ses fonctions de chef de service à l’hôpital Raymond Poincaré de Garches. « Depuis plusieurs mois, dans un contexte de crise sanitaire, le professeur Christian Perronne a tenu des propos considérés comme indignes de la fonction qu’il exerce », avait expliqué l’AP-HP dans un communiqué de presse. La preuve qu’un médecin ne peut donc pas tout dire, ou plutôt tout affirmer. Qu’en est-il réellement ? Pour Marianne le Dr Jean-Marcel Mourgues, vice-président du Conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM), revient sur la nécessaire prudence que doivent adopter les médecins, notamment en période de crise. Entretien.
Marianne : Par quoi est régie la parole des médecins ?
Jean-Marcel Mourgues : Il y a un ensemble de règles qui ont une portée générale, qui sont liées à la liberté individuelle de l’expression. Le médecin est libre de s’exprimer comme tous les citoyens. Toutefois, la parole du médecin est régie par celle du code de déontologie, lui-même incorporé au code de la santé publique. La communication d’un médecin doit s’accompagner d’une information claire, loyale et appropriée. Et si jamais il y a des doutes, comme c’est le cas en ce moment dans le contexte de la pandémie, il faut évidemment mettre les choses au conditionnel et rappeler que les vérités que l’on énonce aujourd’hui ne sont pas encore pleinement étayées par la science et ne font pas forcément consensus.
Il n’y a pas de paradoxe là-dedans, mais bien deux niveaux. D’abord la liberté d’expression, puis les obligations qui ont trait à celles de la communauté médicale et scientifique qui font que l’exigence de rigueur et la pertinence des propos tenus sont nécessaires. Car dans notre société, les médecins sont un tiers de confiance vis-à-vis de la population et des patients qu’ils sont amenés à soigner.
De fait, quand on est médecin, professeur de médecine, qu’a-t-on le droit de dire ? De ne pas dire ?
Il n’y a pas d’interdiction de fait de l’expression, mais il y a plusieurs niveaux de précaution. On peut reprendre sans précaution de langage ce qui relève de vérités scientifiques et médicales anciennes dûment étayées et qui ne sont pas remises causes. En revanche, lorsque l’on s’exprime sur des sujets très nouveaux tels que Covid, où les vérités du jour sont parfois remises en cause très vite, il est nécessaire d’assortir son message de prudence et donc du conditionnel.
“Dans le contexte de la pandémie, l’expression débridée de médecins a pris des proportions tout à fait inhabituelles.”
On peut s’interroger bien sûr, mais il faut que le propos soit, au cas par cas, assorti de messages d’avertissement qui préviennent du fait que les vérités sur ce sujet ne sont pas stabilisées, ni durables et animent encore de façon unanime la communauté scientifique.
Parce que les médecins ont une responsabilité de santé publique ?
Les médecins sont des sachants. Ils sont dépositaires de la connaissance médicale. Ils doivent jouer pleinement leur rôle de professionnel de santé en vérifiant la validité des informations dont ils ont la connaissance, avant de les divulguer de façon éclairée à leurs patients. Ils ont une responsabilité tout à fait essentielle et majeure.
Pour revenir au Dr Perronne, il a été démis de ses fonctions à l’AP-HP pour avoir tenu des “propos indignes de la fonction qu’il occupe”. Est-ce récurrent dans la profession ?
Dans le contexte de la pandémie, l’expression débridée de médecins a pris des proportions tout à fait inhabituelles. Pourquoi ? D’abord, parce qu’on est dans une situation inédite, face à une maladie inédite dont il y a un an on ne connaissait rien.
Ensuite parce que la pandémie affecte par définition l’ensemble de la population, qu’elle est d’une gravité particulière, que ses conséquences sanitaires sociales et économiques sont considérables. L’angoisse qu’elle génère est importante.
Ainsi, les médecins sont appelés à s’exprimer. Les médias sont les premiers à solliciter leur analyse, et pas que. Certains sont sollicités pour leur éloquence et sont retenus pour le discours clivant qu’ils soutiennent. Et on peut regretter que les médecins n’aient pas toujours la sagesse, au sens philosophique du terme, d’avoir le recul nécessaire sur ce que doit être une juste expression. Le recul nécessaire en admettant qu’un pan important des informations ne relève pas d’un consensus mais d’affirmations qui seront remises en cause demain. Et c’est le caractère même de la science. La vérité scientifique n’est jamais établie. C’est la relativité de la vérité. C’est Descartes… Mais à situation inédite, comportements inhabituels. On est dans une situation où un nombre élevé d’expressions ont dérogé aux règles de la communication attendue, mesurée, de la part des médecins. On n’a jamais vu ça auparavant, si ce n’est de façon très ponctuelle.
Dans l’affaire Perronne, le conseil départemental de l’ordre des médecins a été saisi. Ses décisions ont-elles une valeur juridique ?
Bien sûr. Mais ce n’est pas le Conseil qui prend la décision. Qu’il s’agisse du conseil national, ou d’un conseil départemental, il décide simplement de déférer le médecin devant une chambre disciplinaire. Notamment parce qu’il considère qu’il y a une infraction vis-à-vis du code déontologique.
Par ailleurs, le Conseil peut : soit se saisir d’une situation, soit recevoir une plainte et traduire le médecin en chambre disciplinaire. À ce moment-là, comme ce sont des professions réglementées avec un code de déontologie, lorsqu’il y a une sanction de radiation, cette sanction s’applique. Un médecin qui aurait un exercice pendant la période de sanction ferait preuve d’un exercice illégal du métier.
Que risque ces médecins poursuivis ?
Ce serait un pré-jugement que de vous répondre. Je peux simplement dire que l’éventail de la peine va d’un avertissement à la radiation.
L’épidémie de Covid-19 et son flot d’incertitudes vous fait-elle réfléchir à l’élaboration de nouvelles règles de déontologie ?
Il devrait y avoir une contribution sur la juste expression dans l’espace public du médecin. Il ne s’agit pas d’interdire l’expression mais d’avoir un retour d’expérience d’une situation complètement inédite, pour que des enseignements soient tirés et que les déviances ne se reproduisent pas à l’identique. Encore une fois, on ne remet pas en cause l’expression du médecin, mais dans notre société il est nécessaire qu’elle soit éclairée vis-à-vis de l’opinion.
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