Les chrétiens ont constitué un front commun dans cette bataille. En leur nom, Théophile III, le Patriarche orthodoxe de Jérusalem, a exprimé la semaine dernière leurs angoisses lors d’une rencontre avec Joe Biden, le président américain, un catholique, dans l’église de la Nativité à Bethléem en Cisjordanie.
À cette occasion, Théophile III a vidé son cœur dénonçant « les attaques sans précédent de groupes radicaux israéliens qui commettent des crimes sans avoir à rendre des comptes en vue de créer un environnement propice au rejet des chrétiens de la vieille ville de Jérusalem. »
Ce climat de tension a été alimenté par la Cour suprême israélienne, qui a donné son aval le mois dernier au transfert des titres de propriété de deux hôtels situés près de la porte de Jaffa et d’un bâtiment au cœur du quartier chrétien. Le Patriarcat grec orthodoxe, qui détenait ces biens, se battait devant les tribunaux israéliens depuis près de 20 ans pour annuler cette opération en affirmant que des pratiques « frauduleuses » sous forme de dessous de table auraient faussé toute la procédure. En vain.
Restaurer la vie juive dans l’ancienne Jérusalem
Finalement « Ateret Ha Cohanim » (la couronne des prêtres en hébreu), une organisation regroupant des activistes religieux d’extrême droite juif, qui s’est donné comme objectif d’acquérir le maximum de propriétés auprès de non-juifs dans la vieille ville et dans la partie arabe de Jérusalem, a obtenu gain de cause. Cette organisation ne cesse d’avancer ses pions. Elle détient plus de 70 bâtiments dans les quartiers chrétien et musulmans. Elle y a installé une yéchiva, un séminaire d’études religieuses, une cinquantaine d’appartements, ainsi qu’un petit musée. Une partie de ces biens étaient détenus par des juifs avant leur départ forcé lors de pogroms qui se sont produits durant des révoltes arabes dans la vieille ville en 1929 et 1936.
Active depuis 40 ans, bénéficiant de généreux dons accordés essentiellement par des juifs américains, « Ateret Ha Cohanim » affiche ouvertement son jeu en proclamant sur son site Internet son intention « de restaurer la vie juive au cœur de l’ancienne Jérusalem ». Pour réaliser discrètement ses transactions et protéger les vendeurs chrétiens ou musulmans menacés de prison voire de mort par l’Autorité palestinienne, l’organisation utilise les services de paradis fiscaux telles les Îles Vierges.
La communauté chrétienne s’étiole
Ses projets d’extension menacent directement une petite communauté chrétienne qui s’étiole au fil des ans et ne regroupe plus que 2 % de la population de Jérusalem. Le danger est tel que la plupart des hauts dignitaires chrétiens sont montés au créneau ces derniers mois. L’archevêque de Cantorbéry, Justin Welby, et l’archevêque anglican en Israël, Hosam Naoum, ainsi que le patriarche arménien Nurham Manougian se sont élevés contre les tentatives de « pousser les chrétiens »hors de la vieille ville. Au total, les dirigeants des Églises à Jérusalem ont lancé des cris de détresse à sept reprises en sept mois contre les menaces pesant sur la présence chrétienne.
Le custode Francesco Patton, le plus haut représentant de l’Église catholique et gardien des Lieux saints chrétiens en Terre Sainte, a lui aussi donné de la voix. Selon lui, la présence des chrétiens est devenue « précaire et notre avenir est en danger ». Ne mâchant pas ses mots, il a écrit récemment que la vie de nombreux chrétiens est devenue « insupportable du fait de groupes radicaux locaux et de leur idéologique extrémiste » à Jérusalem.
Vandalisme contre des églises
Outre l’offensive sur le front de l’immobilier, la plupart des responsables des Églises ont déploré des actes de vandalisme contre des églises, diverses « offenses »commises à l’encontre d’ecclésiastiques ou de fidèles. Ces méfaits ont même poussé le ministère grec des Affaires étrangères à protester le mois dernier en exigeant qu’Israël agisse « de façon appropriée » contre l’intrusion de jeunes nationalistes religieux juifs dans la chapelle de la Pentecôte située sur le mont Sion situé près de la vieille ville.
Le custode a regretté qu’une minorité « radicale ait pu ces dernières années trop facilement gâcher la vie de nombreuses personnes, spécialement si leurs actes ne font pas l’objet d’une enquête et que leurs délits restent impunis ». Seule petite réserve : il a tenu à bien préciser que « ces groupes radicaux ne représentent pas le gouvernement et le peuple d’Israël ».
Les autorités israéliennes, de leur côté, plaident non coupable en affirmant que les achats de biens dans la vielle ville sont légaux et soumis au contrôle de la justice. Concernant les agressions antichrétiennes, la police israélienne affirme ouvrir des investigations à la suite de chaque plainte sans donner toutefois de détail sur le nombre de suspects interrogés ou interpellés.
Jérusalem, « capitale éternelle » pour l’État israélien
Seule certitude : Israël revendique une totale souveraineté sur l’ensemble de la vieille ville entourée de murailles ainsi que sur les quartiers arabes de Jérusalem-Est conquis comme la Cisjordanie lors de la guerre des Six-Jours de juin 1967. L’État hébreu a ensuite annexé la partie arabe de Jérusalem, comprenant la vieille ville, en proclamant que Jérusalem était désormais sa « capitale réunifiée et éternelle » d’Israël tout en assurant que la liberté des cultes serait assurée. Cette annexion n’a pas été reconnue par la communauté internationale. Donald Trump a procédé en 2020 au transfert de l’ambassade des États-Unis de Tel-Aviv à Jérusalem. Mais le drapeau israélien avait été retiré de la voiture de Joe Biden lorsqu’il s’est rendu il y a deux semaines dans la partie arabe de Jérusalem et aucun responsable officiel israélien n’a été autorisé à l’accompagner.
Dans ce sombre tableau, existe malgré tout un motif d’espoir. En février, l’Autorité des Parcs nationaux israéliens qui voulaient « nationaliser » des terrains situés dans la partie chrétienne du mont des Oliviers qui surplombe la vieille ville a dû renoncer à cette opération à la suite de la mobilisation des églises en Terre sainte. Ce projet visait des terrains sur lesquels se trouvent des propriétés et des lieux saints chrétiens. Dans ce cas précis, l’unité a payé…